Religion

Algérie. Les ibadites, penseurs de la réforme de l’islam

L’historien Augustin Jomier a étudié les évolutions doctrinaires des oulémas ibadites implantés à la fin du XIXe siècle dans les communautés berbères du nord du Sahara. Il éclaire d’un jour nouveau les relations des religieux avec le pouvoir colonial puis avec le Front de libération nationale (FLN).

Ghardaïa, « capitale » du M’zab, fondée par les ibadites au XIe siècle, ca. 1920

Le réformisme musulman a gagné le M’zab, une région désertique du sud de l’Algérie, il y a presque un siècle, et c’est à l’histoire de son implantation et de son développement qu’est consacré un ouvrage savant tiré d’une thèse soutenue à l’université du Mans, qui a obtenu le prix 2021 du premier livre de la chaire d’études sur le fait religieux de Sciences Po Paris.

Les sept ksars, des villages fortifiés alignés le long de l’oued Mzab et peuplés par moins de 60 000 Berbères, ont une forte originalité. Avec le djebel Nefoussa en Libye, l’ile de Djerba en Tunisie, ces villages du M’zab ont été les refuges de l’ibadisme maghrébin, une école méconnue de l’islam apparue dans la succession tumultueuse qui a suivi la mort du troisième calife au VIIe siècle.

Pendant près de 150 ans, la doctrine s’est incarnée dans un État, l’imamat rustumide, qui a dominé le Maghreb et le sud de la péninsule Arabique. Les Omanais sont encore en majorité ibadites. La colonisation qui annexe le M’zab à l’Algérie française en 1882 bouleverse le statu quo, notamment religieux, inverse les flux commerciaux du sud vers la Méditerranée ; le pouvoir qui était local, loin d’Alger et de la suzeraineté ottomane, passe aux mains des officiers français des territoires militaires du sud qui l’exercent de loin.

Un usage religieux et de pouvoir

Face à eux, les oulémas — les savants musulmans — habitués à circuler entre Le Caire, Tunis, Alger et le M’zab, s’emparent peu à peu de l’idée de la réforme musulmane qui gagne alors le monde islamique et en font un usage à la fois religieux et de pouvoir. Ils s’affrontent aux conservateurs qui refusent les innovations et s’accommodent tant bien que mal du pouvoir colonial dans un jeu parsemé d’ambiguïtés.

De nombreux progrès matériels bousculent la vie quotidienne, de la poste au télégramme ou à la presse, que les uns acceptent et que les autres récusent. Mais surtout, le réformisme ibadite s’articule avec le mouvement des Oulémas musulmans d’Algérie (OUMA) apparu en 1932, sunnite et de rite malékite — doctrinalement différent donc — qui bientôt dominera l’imaginaire algérien et fournira au FLN en lutte contre la France une grande partie de son idéologie.

Ce rapprochement facilitera l’intégration du M’zab dans l’Algérie indépendante. Augustin Jomier, historien et arabisant, a utilisé des sources arabes et européennes pour renouveler notre compréhension de la colonisation en Algérie, de la capacité des Algériens à l’utiliser pour faire avancer leurs intérêts et ceux de leur pays. Loin des approches en noir et blanc des thuriféraires, il montre la complexité du réel à partir d’une minorité ethnique, les Mozabites, qui représentent moins de 1 % de la population algérienne, mais offrent un kaléidoscope fascinant de l’évolution du pays au siècle dernier.

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