Toutes les vies de Kojin est un titre ironique, car le film traite en fait de la mort promise au Kurdistan irakien — comme dans la plupart des pays de la région — aux homosexuels. Bien que peu nombreux à s’assumer, ils doivent « disparaitre » dit un homme qui ne les aime pas. Mais Kojin le refuse. Ce jeune homme de 23 ans, au sourire charmeur, mais aux yeux fatigués, veut aimer librement, se maquiller, se faire des mèches. Avoir « le plaisir de sortir comme cela est plus grand que la peur des menaces », dit-il. Elles sont considérables : dans son pays, l’homosexualité n’a pas de nom. En kurde, il n’y a pas de mots pour en parler, encore moins de références, de livres…
Diako Yazdani, jeune réalisateur de ce documentaire sur la trajectoire de Kojin, est réfugié en France depuis 2011. Pour rencontrer sa famille, il n’a pas d’autre choix que de se rendre au Kurdistan irakien, à Souleimaniye. Jeune bigot, pilier de mosquées radicales jusqu’à 18 ans, Diako Yazdani s’est éloigné de la religion et se dit athée. Quand un ami homosexuel est chassé par sa famille en Iran, il est profondément choqué, découvre petit à petit la pénible situation des homosexuels kurdes, décide d’en faire un film, autour de la personnalité de Kojin, seul homosexuel qui accepte de lui parler à visage découvert au Kurdistan irakien.
Lui-même hétérosexuel, Diako Yazdani est évidemment frappé par la différence de la situation des homosexuels kurdes avec ceux d’Europe de l’Ouest, où il vit désormais. Poids des traditions claniques et du code d’honneur, qui donne droit à un membre d’une famille de tuer un parent homosexuel, poids également de la religion qui pourchasse la « déviance » et laisse aux homos le choix entre la « guérison » et la mort, l’homosexualité est pour la majeure partie de la population une « honte » et une souffrance pour ceux qui la vivent.
Des homophobes confrontés à l’homosexualité
Mais le film serait un peu court s’il s’en tenait au simple état des lieux d’un douloureux problème. Dans un dispositif astucieux, qui donne beaucoup d’humanité et même de la drôlerie à ce documentaire, Diako Yazdani inverse l’ordre des choses et interroge ceux qui abhorrent l’homosexualité en les confrontant devant sa caméra à Kojin. D’abord à sa famille, au cours d’un pique-nique bucolique dans un doux paysage sur les hauteurs de la ville. Son père médecin et très pieux pense que Kojin devrait se faire opérer pour devenir femme, comme cela il ne serait plus gay. Sa mère se soucie surtout du qu’en dira-t-on, craint que l’on prenne son fils pour un homosexuel puisqu’il s’intéresse à ce sujet bizarre, insiste pour qu’il affirme face caméra qu’il n’est pas « comme ça ».
Ensuite Kojin se présente à un imam pourchasseur de djinn (diable) aux manières surprenantes de « grande folle ». Pour ce religieux qui pratique des exorcismes, pas d’autre choix que « le guérir d’abord et le tuer ensuite ». Il semble cependant avoir pour Kojin de la tendresse, et la caméra de Diako Yazdani saisit dans des regards de l’imam l’ombre d’une interrogation. Il parle finalement d’« étapes » avant de le tuer, mais on n’oublie pas que non loin, en Syrie, l’organisation de l’État islamique (OEI) jetait les homosexuels — après repentance — du toit des immeubles.
Enfin, toujours un peu à l’écart de la ville, dans un sous-bois cette fois, six hommes sont confrontés à un supposé acteur qui joue à l’« homosexuel », Kojin lui-même. Certains ne supportent pas cette rencontre, fût-elle fictionnelle. Seul un homme tente en vain de faire valoir un esprit de tolérance face à ses voisins véhéments qui réclament la mort pour l’homosexuel.
Même si un intellectuel kurde interrogé dans une belle bibliothèque va faire preuve d’un peu d’empathie, parler de « spiritualité gay », avant la fin du tournage Kojin prend le chemin de l’exil en Allemagne. Depuis plus de deux ans, il réside dans un camp près de Francfort, dans l’attente de papiers.
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