Bonnes feuilles

Avi Shlaim, la mémoire à vif d’un juif arabe déraciné de Bagdad

Avi Shlaim a quitté Bagdad avec sa famille en 1950, à l’âge de 5 ans, pour Tel-Aviv. De ce déclassement identitaire et social, de la violence de son second pays contre les Palestiniens, cet historien du conflit israélo-arabe a tiré un récit de vie. Extraits – traduits en français par Orient XXI — de la première partie de Three Worlds. Memoir of an Arab-Jew, publié en juin.

Cette image en noir et blanc montre une famille posant ensemble. À gauche, un jeune garçon portant une tenue de marin est assis. À côté de lui, une femme au style classique avec des cheveux coiffés en pompadour se tient. En face d'elle, une petite fille avec un sourire doux porte une robe avec un gilet. À droite, un homme en costume, portant des lunettes, regarde la caméra. L'arrière-plan est sobre, ajoutant une touche nostalgique à cette photo de famille.
Avi Shlaim, deux ans (à gauche), avec sa mère, son père et sa sœur à Bagdad, en 1947

Mon père s’est approché. Je jouais avec mes amis au pied de notre grand ensemble dans la ville israélienne de Ramat Gan, à l’est de Tel-Aviv. C’était une chaude journée d’été. Mes amis et moi étions vêtus de la même manière, shorts et sandales. Mon père, quant à lui, portait un costume trois-pièces et une cravate. C’était au milieu des années 1950 et j’avais une dizaine d’années. Je suis né à Bagdad en 1945 dans une famille juive, trois ans avant la naissance de l’État d’Israël. Ma famille a quitté Bagdad pour s’installer en Israël en 1950, lorsque j’avais cinq ans. À la maison, nous parlions arabe ; la langue du jeune État juif était l’hébreu, adapté à l’ère moderne à partir de l’hébreu biblique. Mes sœurs et moi avons appris l’hébreu très rapidement à l’école et nous le parlions avec nos amis et entre nous. Mon père, âgé d’une cinquantaine d’années, avait encore du mal à apprendre cette langue extrêmement difficile.

Il était donc normal que mon père me parle en arabe, mais cela me gênait énormément ; c’était presque une souffrance. Israël a été fondé par des juifs d’Europe centrale et orientale et s’enorgueillit de faire partie de l’Occident, de ce que l’on appelait à l’époque le monde libre. Nous étions des juifs d’un pays arabe, toujours officiellement en guerre avec Israël. Les juifs européens avaient tendance à nous considérer comme socialement et culturellement inférieurs. Ils attachaient également des connotations négatives à la langue arabe. Non seulement l’arabe était la langue de « l’ennemi », mais elle était généralement considérée comme laide et primitive.

Un sentiment d’impuissance et de honte

Jeune garçon impressionnable, j’ai adopté et intégré les croyances et les préjugés de mon nouvel environnement. Je voulais tourner le dos à mon héritage arabe, à la culture et aux coutumes de la diaspora, et me transformer « en nouvel Israélien » parlant l’hébreu. Parler arabe ne cadrait pas avec la nouvelle identité que j’étais en train d’adopter. Mais comme mon père s’adressait à moi en arabe, je n’avais d’autre choix que de lui répondre en arabe. J’étais submergé par un sentiment d’impuissance et de honte et je sentais le rouge me monter aux joues. Je répondis à mon père en monosyllabes confus et à peine audibles. Je voulais lui dire que c’était normal de parler arabe à la maison, mais que je préférais lui parler hébreu devant mes amis. En leur présence, je ne l’ai pas pu. Je n’ai pu me résoudre à dire quoi que ce soit à mon père ni à ce moment-là ni plus tard à la maison. Je souhaitais que la terre s’ouvre et m’engloutisse. Ce silence devait régner sur ma relation avec mon père jusqu’à la fin de sa vie, et je n’ai bien sûr jamais pensé à l’humiliation que cet incident avait dû représenter pour lui.

Cet épisode mineur est emblématique des émotions qui m’ont accompagné tout au long de mon enfance en Israël. En effet, si je devais choisir le facteur principal de ma relation avec la société israélienne pendant mon enfance, ce serait un sentiment d’infériorité, parce que j’étais un petit garçon irakien. C’est peut-être surprenant, mais au cours de mes premières années, ce sentiment n’a engendré ni ressentiment ni rébellion. Au contraire, le statu quo semblait appartenir à l’ordre naturel des choses : j’acceptais sans broncher la hiérarchie sociale qui plaçait les juifs européens en haut de l’échelle et les juifs des pays arabes et islamiques en bas. Je ne pensais pas non plus avoir de capacités ou de talents particuliers que la société israélienne aurait ignorés. Je n’éprouvais pas ce sentiment brûlant d’injustice qui pousse certaines personnes défavorisées à faire leurs preuves. Au fond, je me voyais comme un garçon ordinaire, avec quelques handicaps et quelques limites, et aucune perspective d’avenir. J’étais paresseux, apathique, étranger à mon environnement, mais en même temps résigné à mon sort. L’idée de « se prendre en main » était totalement étrangère à mon mode de pensée.

Des versions biaisées du conflit

À l’époque, je n’avais aucune idée sur la condition d’Irakien en Israël, sur les avantages et les inconvénients qui pouvaient l’accompagner. Son principal avantage pour moi a été plus tard la capacité de transcender les stéréotypes nationaux et d’adopter un point de vue plus équilibré, voire détaché, sur le conflit israélo-arabe. Ce n’est pas un conflit ordinaire. Il s’agit de l’un des conflits les plus amers, les plus longs et les plus insolubles des temps modernes, qui suscite des passions intenses et un esprit partisan des deux côtés. Les écoles et les médias israéliens promeuvent encore aujourd’hui une version biaisée du conflit dans laquelle Israël ne peut rien faire de mal, et les Arabes rien faire de bien. Les écoles et les médias arabes véhiculent de la même manière une image dévoyée qui présente les Palestiniens comme des victimes innocentes et les juifs — terme souvent utilisé de manière interchangeable avec les Israéliens — comme de méchants égoïstes, cruels et sans scrupules, voire carrément diaboliques.

Les deux camps croient passionnément en la justesse de leur cause. Tous deux adhèrent à un récit étroitement nationaliste de l’histoire. Comme la plupart des récits nationaux, il est souvent simpliste, sélectif, moralisateur et intéressé. Ayant vécu enfant dans un pays arabe, j’étais conscient de la possibilité d’une coexistence pacifique entre Arabes et juifs. Je ne voyais pas les Arabes comme des ennemis, mais comme un peuple, un peuple fier et sensible. Mes origines irakiennes m’ont donc aidé, lorsque j’ai grandi, à développer une vision plus nuancée, basée sur l’empathie pour toutes les parties impliquées dans ce conflit tragique et apparemment insoluble.

À cet égard, mon cas n’est pas représentatif. Un nombre important de juifs irakiens qui se sont installés en Israël sont devenus des nationalistes de droite qui méprisent les Arabes. Dans ma jeunesse, j’ai moi aussi flirté avec les idées de droite, comme je le décris au chapitre 8. Il est impossible de savoir comment j’aurais pu évoluer politiquement et idéologiquement si j’étais resté en Israël. Ce qui est clair, c’est que ma période droitière n’a pas duré longtemps. L’éloignement d’Israël a créé en moi une attitude plus indépendante et plus réfléchie à l’égard de la société israélienne. Les années passées en Angleterre comme étudiant au lendemain de la guerre de juin 1967 m’ont permis de voir au-delà des simples certitudes et d’acquérir une perspective plus critique sur le nationalisme en général, ainsi qu’une compréhension plus sophistiquée des divers ingrédients qui font du conflit israélo-arabe le pire brouet infernal de tous les brouets infernaux. Je me suis progressivement rendu compte que le nationalisme est à la base de la plupart des conflits internationaux. Le problème avec le nationalisme, comme l’a écrit Marylin Monroe dans son journal, c’est qu’il nous empêche de penser.

Expérience vécue et vaste histoire

Mon livre est l’histoire personnelle d’un jeune juif irakien, racontée par un historien professionnel formé à Cambridge. Il raconte ma vie jusqu’à l’âge de 18 ans, en Irak, en Israël et en Angleterre, mais il est écrit de mon point de vue d’aujourd’hui : celui d’un homme de 75 ans, spécialiste reconnu du conflit israélo-arabe et professeur émérite de relations internationales à l’université d’Oxford. Selon Virginia Woolf, beaucoup de mémoires sont des échecs parce qu’ils « laissent de côté la personne à qui les choses sont arrivées ». Dans mon cas, le petit garçon impressionnable et l’adolescent troublé sont au cœur de l’histoire, mais le contexte du drame est décrit par l’universitaire d’âge mûr. En effet, le but de ce livre est d’utiliser mon expérience personnelle pour illustrer et éclairer une histoire beaucoup plus vaste, celle de l’exode juif d’Irak après la création de l’État d’Israël en 1948. Le résultat est un fragment d’autobiographie, une histoire de famille et, je l’espère, une contribution à une meilleure compréhension de l’histoire des juifs des pays arabes.

Ce livre cherche à retrouver et à faire revivre une civilisation juive singulière du Proche-Orient, qui a été balayée dans la première moitié du XXe siècle par les vents froids du nationalisme. J’essaie d’y parvenir en racontant l’histoire d’une famille plutôt que par le biais de recherches et d’analyses académiques. Nous étions une famille juive irakienne de la classe moyenne supérieure, qui a été déplacée d’Irak sous les pressions combinées des nationalismes arabe et juif, poussée par la xénophobie irakienne et attirées par l’État juif qui venait de naître. Nous faisions partie de l’exode massif des juifs d’Irak vers Israël en 1950-51. Le départ de notre patrie était dû à des forces qui échappaient totalement à notre contrôle, et même à notre compréhension. J’ai commencé à écrire ce livre pour tenter de donner un sens à mes débuts dans la vie, et pour rassembler les fragments de l’histoire de ma famille. J’ai fini par faire le récit d’un drame familial survenu au cours d’une période turbulente de l’histoire du Proche-Orient.

Le destin de notre famille est celui d’une communauté tout entière, une communauté qui a été déracinée d’un monde dans lequel elle se sentait chez elle vers un monde dans lequel elle a dû faire des ajustements douloureux. En conséquence, l’histoire de notre famille est replacée dans un contexte plus large : l’histoire de la communauté juive en Irak. L’histoire tourne autour de la vie sédentaire et agréable que nous avons menée aux côtés des musulmans en Irak, de l’angoisse et de la douleur du déplacement, des problèmes d’adaptation à une nouvelle vie dans la « Terre promise », de mes mauvais résultats scolaires en Israël qui ont conduit mes parents à m’envoyer étudier en Angleterre, et des trois années essentiellement malheureuses que j’ai passées à Londres dans ce qui s’apparentait à un second exil de ma patrie d’origine.

Entre les deux fleuves de Babylone

La trajectoire de ma famille donne au livre à la fois sa séquence chronologique et sa saveur humaine. Ce qui confère à notre histoire un intérêt historique et sociologique plus large, c’est le fait que nous appartenions à une branche de la communauté juive mondiale qui a aujourd’hui presque disparu. Nous étions des juifs arabes. Nous vivions à Bagdad et étions bien intégrés dans la société irakienne. Nous parlions arabe à la maison, nos coutumes sociales étaient arabes, notre mode de vie était arabe, notre cuisine était délicieusement moyen-orientale et la musique de mes parents était un amalgame attrayant de musique arabe et juive. Pour ce que j’en sais, mon arbre généalogique peut remonter à l’exil des juifs de Judée à Babylone, il y a deux millénaires et demi. Le psaume 137 de la Bible exprime le désir du peuple juif, pendant son exil à Babylone, de retourner à Sion : « Assis au bord des fleuves de Babylone, nous pleurions en nous souvenant de Sion ». Sion est l’un des noms bibliques de Jérusalem, et de la terre d’Israël dans son ensemble. Pour ma famille, cependant, Sion n’avait aucun attrait. Nous nous étions profondément enracinés entre les deux fleuves de Babylone et nous n’avions aucune raison de vouloir arracher ces racines.

Nous étions des Irakiens dont la religion était juive et, en tant que tels, nous étions une minorité comme les yézidis, les catholiques chaldéens, les Assyriens, les Arméniens, les Circassiens, les Turkmènes et d’autres minorités irakiennes. Les relations entre ces diverses communautés avant l’ère du nationalisme, malgré d’inévitables tensions, se caractérisaient davantage par le dialogue que par le « choc des civilisations ». Bagdad était connue comme « la ville de la paix » et l’Irak était une terre de pluralisme et de coexistence. Au sein de la communauté juive, nous avions beaucoup plus en commun avec nos compatriotes irakiens, sur le plan linguistique et culturel, qu’avec nos coreligionnaires européens. Nous ne nous sentions pas la moindre affinité avec le mouvement sioniste et nous n’éprouvions aucun désir d’abandonner notre patrie pour aller vivre en Israël.

Une descente en bas de l’échelle

Sur un point, cependant, nous n’étions pas une famille juive irakienne typique : du côté de ma mère, nous étions sujets du puissant empire britannique. Mon arrière-grand-père maternel a quitté l’Irak dans sa jeunesse pour se rendre à Bombay, où il a fait fortune et où il est devenu sujet britannique. Il est revenu en Irak pour y prendre sa retraite, et il a construit une synagogue qui porte son nom. Mon grand-père maternel, né sujet britannique, a quitté Bombay pour l’Irak avec ses parents à l’âge de 16 ans. Il a ensuite travaillé comme interprète pour le consulat britannique de Bagdad. Deux de ses trois fils ont été recrutés par l’armée britannique pendant la seconde guerre mondiale et ont servi comme officiers dans le corps des renseignements. Toute la famille a vécu en Irak, un État fondé par l’empire britannique sur les ruines de l’empire ottoman. À la fin, la famille a été contrainte de quitter le pays, notamment parce qu’en facilitant la prise de contrôle de la Palestine par les sionistes, la Grande-Bretagne a contribué à alimenter l’hostilité des musulmans à l’égard des juifs dans l’ensemble du monde arabe. Du côté de mon père, tous étaient des juifs irakiens.

Mes grands-mères paternelle et maternelle, qui sont venues en Israël avec nous, éprouvaient une grande nostalgie pour l’Irak d’avant et l’appelaient souvent Jana mal Allah, « le Jardin d’Eden ». Pour elles, l’Irak était la patrie bien-aimée, tandis que la terre d’Israël était un lieu d’exil. Leur véritable sentiment aurait pu s’exprimer dans une inversion du psaume 137 : « Assis au bord des fleuves de Sion, nous avons pleuré en nous souvenant de Babylone. » Leur situation difficile met en évidence un paradoxe fondamental au cœur du sionisme. Le sionisme a mis l’accent sur le lien historique du peuple juif avec sa terre ancestrale au Proche-Orient, mais il a donné naissance à un État qui s’identifiait presque exclusivement à l’Occident dans son orientation culturelle et géopolitique. Israël se considérait, et il était considéré par ses ennemis, comme une extension du colonialisme européen au Proche-Orient, comme étant « dans » le Proche-Orient, mais pas « de » lui. Dans ce type d’État eurocentrique, il était difficile pour des personnes comme mes grands-mères de se sentir chez elles.

Ma mère, qui a 96 ans et vit en Israël, parle souvent des nombreux amis musulmans qui venaient chez nous à Bagdad. Un jour, je lui ai demandé si nous avions des amis sionistes. Elle m’a regardé en pensant que c’était une question étrange, puis elle a répondu en insistant :« Non ! Non ! Le sionisme est une affaire d’ashkénazes. Il n’avait rien à voir avec nous ! » Telle était, en substance, l’opinion de mes aînés sur le sionisme avant que nous ne soyons catapultés en Israël, sa réalisation principale. Sion était un petit pays lointain dont nous ne savions pas grand-chose. Notre migration vers Sion s’est faite par nécessité et non par idéologie. On peut dire sans exagération que nous avons été enrôlés de force dans le projet sioniste. En outre, la migration vers Israël est généralement décrite comme une aliyah ou une ascension. Dans notre cas, le passage de l’Irak à Israël était résolument une yeridah ou descente, une descente vers le bas de l’échelle sociale et économique. Non seulement nous avons perdu nos biens et nos propriétés, mais au cours de ce voyage vers les marges de la société israélienne, nous avons également perdu notre fort sentiment d’identité de juifs irakiens, fiers de l’être.

Choc des civilisations et faux-semblants

Plus tard, au cours de ma carrière en Angleterre, en tant que spécialiste des relations internationales au Moyen-Orient et en tant qu’acteur intellectuel, j’ai contesté deux récits dominants : La thèse du « choc des civilisations » de Samuel Huntington, et le récit sioniste sur les juifs des pays arabes. Ce dernier exclut implicitement la possibilité d’une identité judéo-arabe. Le récit sioniste soutient que l’antisémitisme est inhérent à la religion islamique, que l’islam a toujours persécuté les juifs, que l’hostilité envers les juifs est endémique dans tous les pays arabes, que les juifs de ces pays ont été menacés d’anéantissement par un nouvel Holocauste et que l’État naissant d’Israël s’est vaillamment porté à leur secours et leur a offert un havre de paix. Le récit sioniste affirme en outre que l’antisémitisme arabe est un obstacle infranchissable à un règlement pacifique du conflit entre Israël et ses voisins arabes. Dans cette lecture, la migration des juifs des pays arabes vers Israël est attribuée principalement à la persécution et aux préjugés qu’ils ont subis dans leur pays d’origine. Et s’ils adoptent des positions politiques dures une fois en Israël, c’est à cause de leur expérience réelle de la vie parmi les Arabes. Toutefois c’est seulement durant ces dernières années que j’ai commencé à réfléchir en profondeur à la manière dont mon expérience personnelle a contribué à façonner ma vision du monde et m’a amené à remettre en question le « choc des civilisations » ainsi que le récit sioniste.

La thèse du « choc des civilisations » de Samuel Huntington a eu une certaine influence au début des années 1990. Ce professeur de Harvard pensait qu’après la fin de la guerre froide et l’effondrement de l’Union soviétique, le monde reviendrait à son état normal, caractérisé par des conflits culturels. Selon lui, les distinctions les plus importantes entre les peuples ne sont plus politiques ou idéologiques, mais culturelles. Les êtres humains sont divisés selon des lignes culturelles, occidentales, islamiques, hindoues, etc. La culture islamique est présentée comme fondamentalement hostile à l’Occident. Les habitants du monde islamique rejetteraient les valeurs de l’Occident. Selon Huntington, ils sont avant tout attachés à leur religion plutôt qu’à leur État-nation. Et leur religion est incompatible avec les idéaux libéraux occidentaux tels que l’individualisme, le pluralisme, la liberté et la démocratie.

Cette thèse, aujourd’hui largement discréditée, a exercé une influence majeure sur l’approche du conflit israélo-arabe de certains historiens sionistes. Ces historiens considèrent que le conflit est enraciné dans le dogme islamique et la haine des juifs. En écho à Huntington, ils mettent l’accent sur la dimension religieuse et spirituelle du conflit. Benny Morris, par exemple, décrit la guerre arabe contre Israël en 1948 comme un djihad, une guerre sainte. Dans la conclusion de son livre sur la première guerre israélo-arabe, il écrit que cette guerre n’était pas seulement une lutte entre deux mouvements nationaux pour un morceau de territoire, mais « une partie d’une lutte plus générale, globale, entre l’Orient islamique et l’Occident »1. Un autre exemple est celui de Martin Gilbert, historien juif britannique et ardent sioniste, qui a consacré le dernier de ses nombreux ouvrages à l’histoire des juifs en terre musulmane. L’ouvrage est ambitieux, puisqu’il couvre 1 400 ans d’histoire judéo-arabe, depuis l’avènement de l’islam au VIIe siècle jusqu’à nos jours. Mais il n’est guère plus qu’un catalogue de la haine, de l’hostilité et de la violence des musulmans à l’égard des juifs.

L’antisémitisme serait la force fondamentale et sous-jacente qui a façonné les relations entre musulmans et juifs. En empilant les histoires d’horreur les unes sur les autres, Gilbert a cependant brossé un tableau trompeur. Il a été psychologiquement préparé à voir de l’antisémitisme partout. Il en résulte une distorsion de l’histoire des relations judéo-musulmanes au service d’un programme politique sioniste2. Huntington et ces historiens sionistes ont en commun une mentalité orientaliste. Ils s’appuient sur des stéréotypes de l’Orient. Ils expliquent l’hostilité des musulmans à l’égard de l’Occident, et par extension l’hostilité des Arabes à l’égard d’Israël, comme le produit inévitable de leur religion et de leur culture plutôt que celui de circonstances historiques spécifiques. Le choc aurait lieu entre la civilisation judéo-chrétienne et l’Islam. Une vision essentialiste de ce qu’être musulman veut dire conduit à une description réductrice de l’approche musulmane du monde extérieur en général et des juifs en particulier. Ce type d’analyse est désespérément anhistorique. Il réduit la diversité du monde musulman à une entité monolithique d’ignorance et de colère, et ne tient pas compte des griefs très réels, et non imaginaires, que les musulmans nourrissent à l’égard des puissances occidentales et d’Israël.

Cette vision eurocentrée et simpliste du monde trouve un parallèle dans la vision du monde de certains activistes islamiques radicaux. Les islamistes radicaux soutiennent que l’histoire des Arabes et des juifs est l’histoire d’un conflit fondamental entre la religion et la culture. Selon eux, les juifs n’ont jamais fait partie du tissu de la société arabe ; ils étaient des étrangers, un élément hostile, voire une cinquième colonne dans la maison de l’Islam. L’État d’Israël est considéré par eux comme une entité illégitime, implantée en leur sein par les puissances coloniales, dans le but de les diviser et de les affaiblir. Les sionistes et les islamistes utilisent donc l’histoire des relations judéo-musulmanes de manière sélective pour servir leurs programmes respectifs, séculiers ou religieux. Les deux groupes incitent à la méfiance à l’égard de l’ennemi et appellent à une mobilisation constante dans la lutte pour la suprématie et la domination. L’histoire de ma famille ne cadre ni avec le récit sioniste ni avec le récit islamiste de l’expérience juive sous domination islamique. Plus profondément, elle s’oppose aux prémices du « choc des civilisations » qui sous-tendent ces deux récits. L’histoire de ma famille n’est donc pas seulement intéressante en soi ; elle contient des éléments qui peuvent nous aider à comprendre le cours de l’histoire moderne du Proche-Orient. Plus précisément, elle sert de correctif au récit sioniste qui considère les Arabes et les juifs comme étant congénitalement incapables de vivre ensemble en paix, et condamnés à un conflit et à une discorde permanents.

Un tiers de la population de Bagdad est juive

Le sionisme est un mouvement européen du XIXe siècle : il offrait la solution d’un État juif en Palestine aux juifs qui souffraient de discrimination et de persécution en Europe. En Irak, en revanche, il existe une vieille tradition de tolérance religieuse et une longue histoire d’harmonie relative entre les différents segments de la société. Les juifs n’étaient ni des nouveaux venus ni des étrangers en Irak. Ils n’étaient certainement pas des intrus. Ils vivaient à Babylone depuis 586 avant J.-C., quand le roi Nabuchodonosor avait détruit leur royaume à Jérusalem et les avait conduits en exil. Des siècles plus tard, Babylone est devenue le centre spirituel de la diaspora juive et le siège de deux de ses académies religieuses les plus éminentes, Sura et Pumbedita (l’actuelle Falloujah). C’est là que fut compilé le Talmud de Babylone et que fut codifiée la loi juive. Les juifs étaient donc fermement installés à Babylone bien avant l’avènement de l’islam au VIIe siècle de notre ère. Quand l’Irak est devenu un État majoritairement musulman, les juifs sont restés partie intégrante de la société irakienne. Au moment de la première guerre mondiale, les juifs représentaient un tiers de la population de Bagdad et cette ville était souvent décrite comme une ville juive. Après la guerre, ils ont continué à jouer un rôle important dans la vie sociale, économique, littéraire, intellectuelle et culturelle de l’Irak. C’est précisément cette importance qui a nourri l’antagonisme des musulmans à leur égard, à l’ère du nationalisme et de la montée du sectarisme.

Diverses formes de discrimination à l’encontre de la minorité juive ont été pratiquées sous l’empire ottoman, mais rien de comparable à ce qui se passait dans l’Europe chrétienne. Sous les Ottomans, les juifs irakiens améliorent considérablement leur situation et bénéficient des tanzimat, les réformes du XIXe siècle. Ils ont des représentants au parlement ottoman et dominent le commerce. Dans le royaume moderne d’Irak, formé de trois provinces ottomanes après l’effondrement de l’empire, les juifs restent une minorité parmi d’autres. En Europe, ils étaient la minorité considérée avant tout comme « l’autre » et donc comme un problème. L’Europe était confrontée à ce que les ennemis des juifs appelaient souvent la « question juive ». La « solution finale » nazie à cette question a conduit à l’extermination de six millions de juifs européens. Contrairement à l’Europe, le Proche-Orient n’a pas connu de « question juive ». L’antisémitisme était une maladie européenne et c’est de là qu’il s’est propagé. Les juifs d’Irak ne vivaient pas dans des ghettos et n’ont pas connu la répression violente, la persécution et le génocide qui ont marqué l’histoire de l’Europe. Ce n’est pas sans raison que Mark Mazower a appelé son histoire du XXe siècle européen Dark Continent3. Il a fallu à l’Europe beaucoup plus de temps qu’au monde arabe pour accepter les juifs comme des concitoyens égaux. En Irak, il y a eu des difficultés et des tensions, et un pogrom tristement célèbre contre les juifs en juin 1941. Toutefois, le tableau d’ensemble était celui d’un cosmopolitisme, d’une coexistence pacifique et d’une interaction fructueuse. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de problèmes concernant le statut des juifs de l’Islam. Mais il est à la fois confus et déroutant de regrouper toutes ces questions sous l’appellation « question juive ».

Ma famille n’a pas quitté l’Irak pour Israël en raison d’un choc des cultures, ni d’une intolérance religieuse. Notre univers ne s’est pas effondré parce que nous ne pouvions pas nous entendre avec nos voisins musulmans. Le moteur de notre déplacement était politique, et non religieux ou culturel. Nous avons été mêlés au conflit entre le sionisme et le nationalisme arabe, deux idéologies laïques rivales. Nous avons également été pris dans le feu croisé du conflit entre juifs et Arabes à propos de la Palestine. Ce conflit s’est développé au lendemain de la première guerre mondiale et s’est intensifié à la suite de la seconde guerre mondiale. En 1948, l’armée irakienne a participé à la guerre arabe contre l’État d’Israël nouvellement proclamé. La défaite arabe a entraîné une réaction brutale contre les juifs dans l’ensemble du monde arabe. Le sionisme a été l’une des principales causes de cette réaction. Il a donné aux juifs une base territoriale pour la première fois depuis plus de deux mille ans. Les fondamentalistes musulmans et les ultranationalistes arabes ont ainsi pu plus facilement identifier les juifs de leurs pays à l’ennemi sioniste détesté, et réclamer leur expulsion. Ce qui avait été un pilier de la société irakienne était de plus en plus perçu comme une sinistre cinquième colonne.

Pour les sionistes, la priorité absolue a toujours été de faire venir le plus grand nombre possible de juifs du monde entier pour construire l’État juif. Leur objectif, depuis le début, était de créer un État juif indépendant sur une partie aussi grande que possible de la Palestine, avec autant de juifs et aussi peu d’Arabes que possible à l’intérieur de ses frontières. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, les activités des sionistes se sont principalement concentrées sur les grands centres de population juive d’Europe de l’Est. Les juifs du Proche-Orient étaient considérés comme du « matériel humain » inférieur qui ne pouvait apporter qu’une contribution limitée à la construction d’un État juif moderne en Palestine.

L’Holocauste a entraîné un renversement des attitudes sionistes à cet égard. En anéantissant le principal réservoir humain destiné à l’État juif, il a contraint les dirigeants du mouvement sioniste à se tourner vers l’Orient. En d’autres termes, à la suite de l’Holocauste, les juifs du Proche-Orient sont devenus pour la première fois un élément vital du projet sioniste de construction d’un État juif durable en Palestine.

Les victimes palestiniennes

Au cours de la guerre israélo-arabe de 1948, environ 750 000 Arabes ont quitté leur maison en Palestine, ou en ont été chassés. En arabe, cette année fatidique est appelée la nakba, ou la catastrophe. En hébreu, on l’appelle la « guerre d’indépendance ». Pour les sionistes, 1948 n’était pas seulement un triomphe militaire, mais un jalon historique, l’accession au statut d’État et à la souveraineté, le moment où les juifs ont été réinscrits dans l’histoire du monde. Par conséquent, nous avons deux récits nationaux radicalement différents sur 1948. Ce qui est indéniable, c’est que la création de l’État d’Israël a entraîné une injustice monumentale à l’égard de la population autochtone. Les Palestiniens sont évidemment les principales victimes du projet sioniste. Plus de la moitié d’entre eux sont devenus des réfugiés et le nom de Palestine a été rayé de la carte. Mais il existe une autre catégorie de victimes, moins connue et dont on parle beaucoup moins : les juifs des pays arabes. Un mélange toxique de nationalisme arabe et de sionisme a empêché les juifs et les musulmans de continuer à coexister pacifiquement dans le monde arabe après la naissance d’Israël.

Ces mémoires portent sur la deuxième catégorie de victimes du mouvement sioniste, telle qu’elle se reflète dans l’histoire de ma famille. Je le répète, nous étions des juifs arabes. Il n’y a pas de meilleure façon de définir notre identité avant notre déplacement. Pourtant, le terme de juif arabe est vivement contesté en Israël. Vous pouvez librement vous décrire comme un juif français, un juif russe, un juif roumain ou même un juif allemand, malgré l’association sinistre entre l’Allemagne et l’Holocauste. Mais si vous vous décrivez comme un juif arabe, comme je le fais, vous rencontrez immédiatement de l’opposition. Le trait d’union est important. Les détracteurs du terme « juif arabe » le considèrent comme une confusion et un amalgame de deux identités distinctes. Pour moi, le trait d’union unit : un Arabe peut aussi être un juif et un juif peut aussi être un Arabe.

Cela va à l’encontre de la croyance israélienne largement répandue selon laquelle si l’on est arabe, on ne peut pas être juif, et si l’on est juif, on ne peut pas être arabe. La notion de juif arabe est considérée comme une impossibilité ontologique. Les juifs et les Arabes sont habituellement dépeints comme des figures opposées, enfermées dans un conflit éternel. Du côté arabe, les extrémistes souscrivent également à cette vision directe et bipolaire. On nous répète sans cesse qu’il y a un choc des cultures, un fossé infranchissable entre les musulmans et les juifs. La thèse du « choc des civilisations » s’est enracinée, fournissant des munitions aux partisans du rejet des deux côtés du fossé israélo-arabe.

Mon histoire, un défi au récit dominant en Israël

L’histoire de notre famille en Irak — et celle de nombreuses familles oubliées comme la nôtre — brosse un tableau radicalement différent. Elle renvoie à l’époque d’un Proche-Orient plus pluraliste, caractérisé par une plus grande tolérance religieuse et une culture politique fondée sur le respect mutuel et la coopération entre les différentes minorités ethniques. L’histoire de ma famille est un rappel puissant des identités proche-orientales autrefois florissantes, qui ont été découragées, voire supprimées, pour répondre à des agendas politiques nationalistes. Ma propre histoire révèle les racines de mon désenchantement à l’égard du sionisme. Elle montre comment mon expérience vécue m’a rendu sceptique à l’égard du discours sioniste et pourquoi, bien des années plus tard, elle a contribué à faire de moi un historien israélien révisionniste.

En ce sens, mes mémoires sont un tract révisionniste, un document transgressif, une histoire alternative, un défi au récit sioniste largement accepté sur les juifs des pays arabes. Il suggère également que l’histoire des relations entre juifs et musulmans en Irak a été délibérément déformée au service de la propagande sioniste.

Le livre est donc à la fois un témoignage personnel d’un passé complexe et un essai avec un argument politique. Les trois mondes du titre du livre sont Bagdad, où j’ai vécu jusqu’à l’âge de cinq ans ; Ramat Gan, de cinq à quinze ans ; et Londres, de quinze à dix-huit ans. La toile de fond de ce récit est une période mouvementée de l’histoire juive qui a vu la diffusion de la propagande nazie en Irak, le génocide nazi des juifs d’Europe, la partition de la Palestine, la naissance de l’État d’Israël, la naissance du problème des réfugiés palestiniens, l’exode massif des juifs d’Irak et d’autres pays arabes vers Israël, et les tensions entre ashkénazes et séfarades dans les premières années de la création de l’État, tensions qui, d’une certaine manière, perdurent jusqu’à aujourd’hui.

Personnellement, à chaque déménagement, j’ai dû m’adapter à une nouvelle société et apprendre une nouvelle langue, d’abord l’hébreu, puis l’anglais. Le processus a été loin d’être facile ou direct. Pour reprendre les termes d’Ella Shohat, ces mémoires traitent des « paysages linguistiques » et de la « cartographie émotionnelle de la dislocation ». Ella Shohat est une éminente critique culturelle d’origine juive irakienne qui, depuis des décennies, remet en question le récit conventionnel de l’histoire juive et en particulier, son parti pris eurocentré. Son analyse critique couvre un large éventail de questions : la nature du sionisme, la place des mizrahim ou juifs orientaux dans la société israélienne, le conflit israélo-palestinien et d’autres déplacements et diasporas du Proche-Orient. Elle affirme que les récits classiques de l’histoire juive ont eu tendance à projeter les expériences des juifs de l’Europe chrétienne sur celles, totalement différentes, des juifs des espaces musulmans. Elle rejette ce qu’elle appelle la « ghettoïsation » et la « pogromisation » de l’histoire des juifs du Proche-Orient ; en d’autres termes, l’hypothèse erronée selon laquelle les juifs du Proche-Orient vivaient dans des ghettos et que leur histoire consistait en une chaîne ininterrompue de pogroms. Son travail nous mène au-delà des visions binaires et polarisées. Il met en lumière la figure centrale du juif arabe et aborde la relation entre la question de la Palestine et celle des juifs arabes. Il établit également des parallèles poignants entre le traumatisme et la dislocation des Palestiniens et ceux des juifs arabes. L’affirmation la plus frappante de Shohat est que les institutions colonialistes et orientalistes au cœur du projet sioniste étaient dirigées non seulement contre les autochtones arabes de Palestine, mais aussi contre les immigrants juifs des États arabes voisins.

Edward Said a analysé le mouvement sioniste du point de vue de ses victimes palestiniennes. Ella Shohat a innové en l’analysant du point de vue de ses victimes mizrahi – mizrahim étant le terme collectif désignant les juifs de tous les pays arabes. Son travail m’a ouvert les yeux, notamment sur la nature insaisissable de l’identité. « La guerre est l’amie des binarismes », a écrit Shohat dans un essai historique sur les arabes juifs,« laissant peu de place aux identités complexes ». Son récent recueil d’essais m’a aidé à mieux comprendre les forces politiques qui ont façonné ma vie, et il m’a donné un élan particulièrement puissant pour continuer à me pencher sur les questions existentielles qui vont bien au-delà de mon parcours individuel4.

Un autre livre qui m’a profondément marqué est celui d’Orit Bashkin, The New Babylonians : A History of the Jews in Modern Iraq5. Bashkin est une universitaire ashkénaze israélienne qui a rédigé une thèse de doctorat à Princeton, et qui enseigne aujourd’hui l’histoire à l’université de Chicago. Son livre offre un compte-rendu sympathique et éclairant de la vie intellectuelle, sociale et culturelle des juifs d’Irak dans la première moitié du XXe siècle. Elle analyse les textes produits par les juifs irakiens et explore les contextes historiques qui ont façonné le monde de leurs auteurs. Dans son livre, on rencontre de nombreux types de juifs « qui considéraient l’Irak comme leur patrie, l’arabe comme leur langue et la coexistence partagée entre les différentes communautés irakiennes comme leur vision politique ». La lecture du livre de Bashkin m’a permis de connaître l’histoire de ma propre communauté. Il m’a également aidé à surmonter l’inhibition que j’éprouvais à écrire l’histoire de ma vie et à me mettre en scène. Il m’a rappelé que l’histoire est une collection de biographies individuelles. En même temps, son étude m’a fourni un contexte et un cadre dans lequel je pouvais essayer d’insérer mon histoire personnelle.

L’accent mis sur l’antisémitisme est au cœur du récit principal de la victimisation universelle des juifs. L’historien juif américain Salo Baron a inventé l’expression « la conception larmoyante de l’histoire juive ». Il s’agit de l’histoire juive comme une exposition sans fin à l’antisémitisme, au harcèlement, à la discrimination, à l’oppression et à la persécution, dont le point culminant est l’Holocauste. Baron a utilisé ce terme de manière désapprobatrice. Il pensait que cette conception larmoyante simplifiait et déformait la véritable histoire des juifs d’Europe, qu’elle gonflait les déficits et passait sous silence les éléments positifs et les réalisations. Mais même si l’on admet, pour les besoins de l’argumentation, que la vision larmoyante correspond à l’histoire des juifs d’Europe, elle ne rend certainement pas justice à l’histoire des juifs du Proche-Orient. Il est donc important de rappeler et d’enregistrer les périodes de cosmopolitisme et de coexistence dont certains juifs, comme ma famille, ont bénéficié lorsqu’ils vivaient dans des espaces musulmans avant la naissance de l’État d’Israël. Face à l’épave lamentable du Proche-Orient contemporain, c’est le meilleur modèle que nous ayons pour un avenir plus radieux. Je reviendrai sur ce point dans l’épilogue.

1Benny Morris, 1948 : The First Arab-Israeli War, New Haven : Yale University Press, 2008 ; p. 394.

2Martin Gilbert, In Ishmael’s House : A History of Jews in Muslim Lands, New Haven, Yale University Press, 2010.

3Le continent des ténèbres, Une histoire du XXe siècle, éditions Complexe, 2005.

4Ella Shohat, Colonialité et ruptures. Écrits sur les figures juives arabes, traduit de l’anglais par Joëlle Marelli, Lux Quebec, coll. Humanités, 2021

5Stanford University Press, 2012, non traduit en français.

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