« C’est Beyrouth ! »

Photographes et vidéastes à l’Institut des cultures d’Islam · L’Institut des cultures d’Islam à Paris présente une exposition collective de photographes et vidéastes sur Beyrouth, qui s’attache à dévoiler les différentes facettes de la ville en évitant les clichés et en proposant des représentations différentes de celles que l’on se fait habituellement. Jusqu’au 28 juillet.

Vianney Le Caer/Institut des cultures d’Islam

C’est Beyrouth  est l’intitulé de l’exposition et il ne faut pas omettre le point d’exclamation, insiste son commissaire Sabyl Ghoussoub. Parce que ce point d’exclamation fait de la formule une interjection, maintenant entrée dans le langage courant, de la même façon que « libanisation » est devenu depuis la guerre du Liban un terme générique pour qualifier un chaos ou une situation inextricable et incompréhensible. « C’est Beyrouth ! » veut dire un peu la même chose ; la formule est reprise avec humour pour cette exposition qui veut montrer d’autres facettes de Beyrouth et de ses habitants.

Comment vit-on aujourd’hui à Beyrouth ? Un parti pris de tranche de temps a été choisi comme cadre pour les travaux des seize photographes et vidéastes : 2006-2018. Paradoxalement, alors que l’idée d’échapper aux clichés — l’image de carte postale du Liban, ses plages l’été et ses sommets enneigés l’hiver, ou les innombrables images de la guerre qui ont inondé la presse pendant plus d’une décennie —, choisir la date de 2006 comme point d’origine est encore lié à la guerre, puisque c’est cette année qu’a eu lieu le dernier conflit entre Israël et le Liban. On n’y échappe pas. D’ailleurs, le commissaire justifie ce choix en déclarant que depuis cette dernière guerre de 2006, le pays vit dans un état de « ni guerre ni paix ».

C’est cette date qu’a choisie Fouad Elkoury pour situer son récit. Dans un montage vidéo composé de photographies qui défilent comme si un narrateur regardait défiler sa vie, il raconte une histoire d’amour alors que les bombes pleuvent sur Beyrouth. Que ce soit pour évoquer son amoureuse ou pour relater la chronique du conflit, la voix off très distanciée du narrateur provoque une sensation de dédoublement ; on aime en temps de guerre, oui, mais comme si on se regardait soi-même vivre.

Fouad Elkoury/Institut des cultures d’Islam

La majorité des photographies présentées documentent des minorités. Myriam Boulos suit des employées de maison pendant leur jour de congé, quelques heures le dimanche, et rend visible cette communauté d’immigrées asiatiques ou africaines, habituellement cantonnée dans l’espace privé et si vulnérable. Les contraintes qui pèsent sur elles relèvent bien souvent d’une forme d’esclavage moderne. La photographe choisit de les suivre lors d’une séance de maquillage ou d’une promenade dans la ville. Son parti pris est ainsi de les montrer hors de leur lieu de travail, libres de leurs mouvements et de leur circulation.

Myriam Boulos/Institut des cultures d’Islam

Dans une vidéo, Roy Dib met en scène deux amants que l’on entend converser sans les voir, roulant sur une route en direction de la frontière vers la Cisjordanie, une frontière fantasmée puisque dans la réalité il est impossible de franchir ce territoire. Voyage symbolique sur le franchissement des frontières permettant au réalisateur d’aborder l’homosexualité, dépénalisée au Liban depuis quelques mois seulement.

Ammar Hassan/Institut des cultures d’Islam

La religion est omniprésente, dans son expression très exubérante ; ainsi Amar Hassan nous dévoile les corps de miliciens du Hezbollah qui revendiquent leur appartenance religieuse en d’impressionnants tatouages de leur chef spirituel dessiné très fidèlement sur un torse ou un dos. Des corps photographiés sans visage sur un fond sombre comme pour marquer l’intrusion dans une intimité à moitié dévoilée. Tandis que de son côté, Patrick Baz arpente les rues et surprend des manifestations et expressions du sentiment religieux dans la communauté chrétienne : les tenues ostentatoires des processions, les statues gigantesques du Christ transportées dans la ville, ou encore les mariages collectifs alignant des dizaines de mariées en robe blanche dans des célébrations à la chaîne.

Patrick Baz/Institut des cultures d’Islam

C’est une identité fragmentée qui ressort de ces œuvres, comme si la ville comprenait des tas de petites communautés vivant chacune dans son coin. On ne sait pas si elles trouvent par moments le temps de se croiser. La scénographie est d’ailleurs fragmentée et influence la perception du spectateur. Les œuvres sont présentées dans plusieurs salles et réparties entre les deux bâtiments de l’Institut des cultures d’Islam, ce qui entraîne la sensation pour le spectateur de se promener dans une maison, d’ouvrir des portes pour voir ce qu’il y a à l’intérieur, et même de faire une incursion dans les sous-sols, là où se trouvait le hammam. Puis l’on sort pour la suite de l’exposition dans le deuxième bâtiment au bout de la rue, traversant ainsi ce quartier très animé du 18e arrondissement de Paris.

L’exposition révèle une scène libanaise très vivante où la photographie tient une place importante. L’ouverture de nouveaux centres d’exposition photographique comme le Mina Image Centre ou le Beirut Center of Photography en est l’indicateur.

Cette exposition rend compte de la multiplicité des visages de Beyrouth et le souhait des organisateurs est de pouvoir la montrer à Beyrouth, parce que, disent- ils, il est temps que les Libanais voient d’autres représentations sur leur pays.

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