Chamboulement diplomatique autour de la Syrie

Revue de presse du 23 au 29 septembre 2013 · Les décisions prises en marge de l’Assemblée générale des Nations unies ont profondément modifié le jeu diplomatique dans ses ramifications avec le dossier syrien. Elles constituent une rupture par rapport aux choix diplomatiques de ces deux dernières années. Les frappes militaires contre la Syrie sont provisoirement écartées. Il s’agit désormais de rechercher un règlement pacifique à la crise, quitte à sceller de nouvelles alliances. La place et le rôle des parties en présence s’en trouvent chamboulés.

Bachar Al-Assad par Fabio Rodrigues Pozzebom /Agência Brazil ; Barack Obama, photo de la Maison-Blanche].

Après des mois de blocage, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté le 27 septembre une résolution sur le démantèlement des armes chimiques syriennes. Le texte prévoit même le recours au chapitre VII de la Charte des Nations unies, au cas où la Syrie ne respecterait pas ses engagements. Mais pour que la force soit utilisée contre le régime de Bachar Al-Assad, il faudra revenir devant le Conseil de sécurité. La Russie et la Chine pourraient alors user de leur droit de veto comme elles l’ont déjà fait à trois reprises. D’ici novembre, les inspecteurs internationaux devront visiter chacun des centres de production et de stockage syriens. L’élimination devrait être achevée d’ici mi-20141.

L’heure de Genève II

La conférence internationale dite « de Genève II », dont la date n’est pas fixée, retrouve sa place dans la panoplie diplomatique internationale. Elle aura pour vocation de créer les conditions d’une transition vers un gouvernement représentatif, comme l’a prévu le communiqué de Genève du 30 juin 20122.

La Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution (ou Coalition nationale syrienne) s’y prépare. Elle proclame sa représentativité et sa légitimité comme si elle craignait déjà d’être hors jeu. Khaled Saleh, l’un de ses porte-paroles, rappelle qu’elle a été reconnue par plus de 120 pays et qu’elle n’a pas soutenu l’idée de frappes contre la Syrie, mais seulement demandé que ceux qui avaient utilisé l’arme chimique soient poursuivis. Il souligne que sa représentativité s’est renforcée depuis que le Conseil national kurde est plus présent en son sein (accord du 16 septembre 2013). Il explique que le schisme que vient de connaître l’opposition n’est dû qu’à la frustration de combattants qui se sentent abandonnés par la communauté internationale et qui ne croient plus au processus politique3.

Damas pose ses pions

Le régime syrien aura été rapide à tirer les conséquences des dernières évolutions diplomatiques à New York. Walid Mouallem, vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères, a déjà indiqué que le gouvernement ne traiterait pas avec la Coalition nationale syrienne dans la perspective de la conférence internationale prévue de longue date. Reprenant les termes de la résolution 2118 qui vient d’être adoptée par le Conseil de sécurité, il a beau jeu de réclamer une opposition « pleinement représentative du peuple syrien ».

Il lui est tout aussi facile de rappeler qu’Assad est président jusqu’à l’élection de 2014 et qu’à ce titre ce sont ses envoyés qui représenteront la Syrie à la conférence internationale à venir. Telle aura été l’une des conséquences de l’accord de Genève sur le démantèlement des armes chimiques : le régime de Damas a retrouvé le statut d’interlocuteur de la communauté internationale. En contrepartie, l’opposition représentée par la Coalition nationale syrienne a reculé d’un rang. Déjà en perdition, elle subit de plein fouet la promotion du régime. S’adossant à la diplomatie américaine qui vient de renouer avec le président iranien, Mouallem « en rajoute » en conseillant d’inviter l’Iran à la conférence de Genève II, car Téhéran pourrait « éclairer » les États-Unis sur la situation réelle en Syrie4.

Les premières évaluations indiquent que l’arsenal chimique du régime est en grande partie inutilisable et qu’en l’état il pourrait être détruit plus rapidement que prévu. Neuf mois semblent un délai raisonnable aux experts5.

Le clin d’œil d’Assad aux non-interventionnistes n’est pas passé inaperçu. Dans un entretien avec teleSUR (réseau vénézuélien, 25 septembre 2013), il a pris soin de rappeler qu’il n’excluait pas, malgré l’accord de Genève, une frappe militaire américaine6, avertissant ainsi tous ceux qui, aux États-Unis, en Europe et dans les pays arabes, y sont majoritairement défavorables7. Il en faudrait plus pour qu’il s’en fasse des alliés, mais son message est astucieux. Il ne manquerait plus qu’il annonce sa candidature à l’élection présidentielle de 2014.

La Coalition nationale syrienne des forces de l’opposition et de la révolution est aux abois

Il est difficile de dire si les menaces de frappes militaires américaines contre le régime ont eu un effet sur certains des groupes constituant l’opposition syrienne. Les plus radicaux d’entre eux, non membres du Conseil national syrien (CNS), ont peut-être craint d’être la cible des missiles américains tout autant que le régime. Le plus certain est que la décision de Barack Obama de ne pas attaquer le régime a démoralisé l’opposition démocrate. Il a donné le sentiment qu’il se désintéressait d’elle au profit d’une solution impliquant Assad.

On ne peut que constater que cette période a été le témoin d’une relance des affrontements entre groupes de l’opposition pour déboucher sur un événement fondateur.

Treize groupes ont annoncé avoir fait sécession. Conduits par Jabhat Al-Nosra, ils ont rompu avec les autres combattants anti-Assad soutenus par les pays occidentaux et par certains pays arabes. La confusion est d’autant plus grande que certains des combattants appartenant à la Coalition nationale syrienne les ont suivis8. Peut-être ont-ils estimé qu’il valait mieux quitter le camp des perdants probables et rejoindre les vainqueurs possibles. L’ambition est de fonder « une structure islamique basée sur la charia ». Depuis l’annonce de cette nouvelle coalition islamique, trois groupes s’en sont retirés, dont Jabhat Al-Nosra.

Parce qu’Assad semble être redevenu un interlocuteur par la grâce de l’accord de Genève, la Coalition nationale syrienne a le sentiment qu’Obama l’a délaissée au profit du président syrien. L’administration américaine n’a d’ailleurs pas reconnu son gouvernement intérimaire, ni le premier ministre qu’elle vient d’élire, Ahmed Tomeh9. Son statut de représentante de l’opposition s’en trouve démonétisé. La Coalition nationale syrienne pensait être la plaque tournante de la prochaine conférence internationale de Genève II. Elle doit désormais livrer une bataille diplomatique à front renversé. Désunie, affaiblie par ses propres dissensions, ayant perdu une partie de ses troupes, elle est en position de faiblesse. Elle pourrait tout aussi bien refuser d’aller à Genève. D’ici là, elle doit faire face à l’armée du régime et combattre certains djihadistes. Tenter d’équilibrer les divers courants politiques qui la parcourent est une œuvre de chaque instant. Communiquer avec ses « amis » qui la financent, la critiquent, pèsent sur ses choix et ne lui donnent pas les moyens militaires qu’elle réclame est une obligation existentielle. L’Armée syrienne libre (ASL), dont elle assure la direction politique, se méfie d’elle. Elle apparaît de moins en moins comme une alternative crédible. Elle n’a aucune influence sur la dynamique à l’œuvre sur le terrain. Tout part à vau-l’eau. La question de savoir qui représente l’opposition est plus pertinente que jamais10,11.

« Surtout, pas trop de zèle »

La phrase est attribuée à Talleyrand12, qui mettait ainsi en garde ses subordonnés contre toute décision prise à chaud, sous le coup de l’émotion ou en réaction à l’enthousiasme populaire. Il préconisait le sang-froid pour ce qui concernait la guerre, la paix ou la sécurité de la nation. Cette maxime pourrait bien s’appliquer à Obama. Dans une volte-face qui ne manquera pas d’être un cas d’école diplomatique, il s’est refusé à frapper militairement le régime après avoir donné l’impression qu’il y était résolu. Au dernier moment, il a fait choix d’une solution diplomatique (l’accord de Genève du 14 septembre sur l’élimination des armes chimiques). Cette volte-face continue de lui être reprochée. On lui reproche d’avoir semé la confusion sur ses intentions et érodé la crédibilité des États-Unis.

L’esprit de la maxime prêtée à Talleyrand se retrouve aussi dans son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies. Obama a écarté l’exceptionnalisme et l’interventionnisme des États-Unis13, ces conceptions selon lesquelles son pays a le droit et le devoir d’intervenir partout dans le monde, d’être le gendarme du monde14. En opposition à ses prédécesseurs, Obama a semblé dire qu’il n’y a pas de solution américaine à chaque problème international15. Nul doute que cette humilité lui sera reprochée, non seulement aux États-Unis, mais aussi chez ceux qui attendent que les Américains règlent leurs difficultés, jouent les arbitres, les gendarmes, ou fassent office de « courtiers honnêtes ».

Pendant des décennies, le grand frère a souvent été disponible quand c’était nécessaire et utile. Désormais, il va falloir accepter qu’il s’occupe de ses propres affaires. En revanche, les non-interventionnistes américains s’en satisferont pleinement, même s’ils ignorent que c’est encore Talleyrand qui a forgé l’expression « non-intervention » en 1830 au moment de l’indépendance de la Belgique.

Que sont devenus les amis des Américains ?

Les opposants américains à Obama estiment que le président néglige, voire renie, ses alliés et que son détachement pourrait coûter cher à l’Amérique. Il aurait même changé de camp, préférant Bachar Al-Assad, Hassan Rohani et Vladimir Poutine à ses alliés régionaux de longue date16. À cause de sa politique, les intentions américaines sont de moins en moins lisibles. La région pourrait perdre confiance. Si Obama a abandonné Hosni Moubarak à son sort et tenu à distance la Coalition nationale syrienne, pourquoi n’en ferait-il pas autant avec les monarques du Golfe ? Pourquoi s’est-il risqué à accepter la main tendue de Rohani, sachant qu’il froisserait les monarchies ? Les enjeux sont pourtant fondamentaux. Le pétrole de la région représente 30 % de la production mondiale. Les fonds souverains de la région représentent le tiers de l’ensemble des fonds souverains. L’économie du monde passe par la stabilité des pays du Golfe17 ; Obama, lui conseillent ses adversaires politiques, ferait bien de s’en souvenir.

Même si le terme est excessif, le « rapprochement » entre Obama et Rohani a bien provoqué une onde de choc dans les pays arabes du Golfe. L’Arabie saoudite se serait sentie « outragée » par la décision d’Obama de répondre favorablement au geste d’ouverture de l’Iran. Elle serait disposée à ne plus considérer les intérêts et les souhaits des Américains pour ce qui concerne la Syrie. La menace n’est pas si réelle, les pays du Golfe n’ayant en réalité que peu de capacités de nuisance18.

De fait, ils ne peuvent être que consternés. Leur stratégie syrienne se comprenait dans la mesure où faire tomber le régime de Damas signifiait affaiblir l’Iran et l’islam révolutionnaire qui se déployait au sein des révoltes arabes. Que Washington installe Assad dans un jeu diplomatique nouveau et renoue avec Téhéran après des décennies de guerre froide rend caduque la stratégie régionale des pays arabes du Golfe. Dans leurs pires cauchemars, ils voient Assad rester au pouvoir et l’Iran chiite renforcé dans ses ambitions régionales19.

1Michael R. Gordon, U.N. Deal on Syrian Arms Is Milestone After Years of Inertia, The New York Times, 26 septembre 2013.

3Andrew Parasiliti, Syrian Coalition Prepares For Geneva II Conference, Al-Monitor, 29 septembre 2013.

4Andrew Parasiliti, Syrian FM Refuses to Deal With US-Backed Opposition Group, Al-Monitor, 29 septembre 2013.

5Joby Warrick, Most of Syria’s toxins can be destroyed more easily than officials initially thought, The Washington Post, 27 septembre 2013.

6Entretien Assad (en espagnol).

7Assad says he doesn’t rule out US attack, Associated Press, 25 septembre 2013.

8Liz Sly, Karen DeYoung, Largest Syrian rebel groups form Islamic alliance, in possible blow to U.S. influence, The Washington Post, 25 septembre 2013.

9Charles Lister, Syrian Militant Islamists Denounce SNC and Form “Islamic Alliance”, Syria Deeply,, 27 septembre 2013.

10Rania Abou Zeid, Syrian opposition groups stop pretending, The New Yorker, 26 septembre 2013.

11Frederic C. Hof, US Non-Recognition of the Syrian Interim Government, Atlantic Council blog, 26 septembre 2013.

12Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754-1838), communément nommé Talleyrand, homme d’État et diplomate français.

14David E. Sanger, For Obama, an Evolving Doctrine on Foreign Policy, The New York Times, 24 septembre 2013.

15Tom Switzer, Three Realist Lessons From Obama’s Syria Missteps, The American Conservative, 26 septembre 2013.

16Lee Smith, Obama Switches Sides, The Weekly Standard, 25 septembre 2013.

17Adam Ereli, America neglects its allies at its peril, The Hill Magazine, 27 septembre 2013.

18Ellen Knickmeyer, U.S. Moves on Syria, Iran Anger Saudi Arabia, Wall Street Journal, 29 septembre 2013.

19Alastair Crooke, Syria : the strategy has backfired, The Guardian, 29 septembre 2013.

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