Road-movie

Cisjordanie-Israël. D’un côté du mur à l’autre

Le film 200 mètres du Palestinien Ameen Nayfeh a été présenté dans le cadre de la huitième édition du festival Aflam qui fait découvrir des films sur les sociétés arabes contemporaines. Déjà présenté en avant-première au Festival international du film de Venise, en septembre 2020, 200 mètres a obtenu le prix du public.

© Shellac Films

Rouler 200 kilomètres en voiture pour parcourir une distance de 200 mètres, c’est la situation absurde que subit le personnage principal du film, Moustafa, joué par Ali Suleiman. Moustafa habite en Cisjordanie et de l’autre côté du mur, à 200 mètres, résident sa femme et ses trois enfants. La proximité est telle qu’ils parviennent à se voir en se postant sur leur balcon. Le soir, quelques signaux lumineux d’une maison à l’autre permettent de se souhaiter bonne nuit tout en se parlant au téléphone. Ils se rendent visite de temps en temps après avoir passé les checkpoints de la police israélienne.

200 mètres (2021) — Bande annonce VF — YouTube

Mais c’est un peu plus facile pour Salwa, la femme de Moustafa, qui bénéficie de quelques avantages en étant palestinienne d’Israël, tandis que son mari, ferme sur ses principes, a choisi de rester vivre chez sa mère de l’autre côté du mur. Le dilemme de beaucoup de Palestiniens : partir pour une vie plus tranquille et risquer de perdre ses biens, son habitation, son commerce ou un terrain. Rester, c’est tenir une position coûte que coûte mais aussi subir des montagnes de tracas, comme on a pu l’observer ces dernières semaines lorsque certains habitants de Cheikh Jarrah à Jérusalem-Est ont été menacés d’expulsion alors qu’ils possédaient leur habitation depuis plusieurs générations.

Un long périple semé d’embûches

En suivant le parcours de Moustafa, nous le voyons endurer ce que beaucoup de Palestiniens vivent quotidiennement : règles kafkaïennes, tracasseries administratives, humiliations multiples qui n’ont fait que s’aggraver depuis la construction du mur en 2002, au mépris du droit international.

Lorsque Moustafa apprend qu’un de ses enfants a été victime d’un accident et hospitalisé, il tente par tous les moyens de rejoindre sa famille, mais c’est sans compter sur l’entêtement de l’agente de sécurité israélienne qui lui interdit le passage de ces tourniquets installés aux checkpoints qui trient ceux qui vivent de l’autre côté du mur. Commence alors un périple semé d’embûches pour contourner cet interdit.

Le film nous emmène sur la route qu’emprunte Moustafa. Ses péripéties, certaines dramatiques, d’autres humoristiques, éclairent sur les subterfuges dont il faut user pour arriver à ses fins dans cette situation. D’abord, négocier un tarif avec le chauffeur de taxi habitué des passages risqués parce qu’interdits, qui lui-même négocie avec d’autres chauffeurs pour des tronçons de route plus dangereux. On découvre ainsi cette économie souterraine et ses trafics que l’édification du mur a engendrés. On apprend aussi que ce mur n’est pas complètement infranchissable. Une scène montre des adolescents ayant repéré une « faille » qui leur permet de s’aventurer de l’autre côté. Ces brèches sont jalousement gardées par des jeunes qui habitent non loin de là.

Attendre ensuite que le taxi se remplisse, et voilà le petit groupe embarqué. À côté de Moustafa, un adolescent qui cherche du travail, un jeune couple formé par un Palestinien de la diaspora en visite et d’une Allemande qui ne lâche pas sa caméra, filmant au long du chemin chaque fois que c’est possible, souvent en cachette. L’aventure de cette équipée ne sera évidemment pas de tout repos.

Toucher le public occidental

Lors d’un échange entre le réalisateur et le public organisé par Aflam au moment de la sortie du film en salles, les avis des spectateurs étaient tranchés autour du personnage de la jeune femme allemande : pourquoi une Allemande dans cette narration, et surtout pourquoi semble-t-elle comprendre l’hébreu ? Ce personnage du film fait débat. Dans une interview, le réalisateur explique vouloir intéresser un public large, non seulement au Proche-Orient, mais aussi en Occident, à un film populaire pour faire comprendre ce que vivent au quotidien les Palestiniens. Pour ce faire, ce personnage féminin est un moyen d’identification pour le public occidental.

Complexité des rapports interpalestiniens

Le réalisateur, Ameen Nayfeh, qui réside à Ramallah et dont c’est le premier fil, s’est inspiré de sa vie quotidienne ainsi que des témoignages de son entourage pour raconter ces petits faits qui rendent la vie quotidienne lourde d’obstacles. Mais ce n’est pas un film militant ; il est parsemé de détails révélant aussi les méfiances et défiances des Palestiniens entre eux, dévoilant des mentalités différentes selon qu’on affiche une plaque d’immatriculation de voiture des territoires occupés, ou bien celle qui permet de circuler aussi en Israël, parce que le lieu de résidence est Jérusalem — ce qui est le cas de l’épouse de Moustafa.

Ainsi, lorsque Moustafa s’écrie, dans un moment d’énervement vis-à-vis de ses compagnons de route à propos de la jeune femme allemande, que si elle est juive — ce qui est fort probable —, cela ne fait pas d’elle une coupable pour autant, cela apporte un point de vue qui n’est pas manichéen.

Solange Poulet, l’membre de l’équipe de programmation du festival Aflam, raconte que le distributeur Shellac — qui est plutôt spécialisé dans les films d’art et d’essai — a décidé de soutenir ce film populaire, d’une trame narrative classique, car il avait été séduit par le propos qui « parle de la question palestinienne et du conflit avec Israël sans l’évoquer de front ». Et elle rajoute que par la suggestion, implicitement, ce film nous raconte la complexité des rapports entre les Palestiniens.

Le propos de 200 mètres, malgré les maladresses du film, est de faire connaître à un public le plus large possible la réalité de la Palestine. Pour Ameen Nayfeh, « Les Israéliens ne comprennent pas grand-chose à notre quotidien, même les mieux intentionnés ». Deux cents mètres pour un Israélien, ce n’est pas la même distance ni le même temps que pour un Palestinien sur sa terre.

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