Hébron. À une trentaine de kilomètres de Jérusalem, l’une des villes les plus importantes de Cisjordanie où vivent quelque 200 000 Palestiniens, et où 800 colons protégés par 2 000 soldats leur pourrissent la vie. Placée sous le contrôle exclusif de l’armée israélienne, la ville — la seule à être colonisée de l’intérieur — est séparée en deux quartiers : H1 pour la partie palestinienne et H2 pour celle des colons. Dans H2 Hébron, si Ruth Rosenthal et Xavier Klaine optent pour titrer sur la zone des colons, c’est pour mieux disséquer et mettre en pièces cette aberration.
Ruth annonce la couleur : née à Haïfa en 1977, en rupture idéologique avec ce pays qui l’a vue naître, elle profite de l’opportunité de retrouver une ancienne amie d’enfance mariée à un ultra-orthodoxe pour s’immerger dans ce poste avancé de la colonisation israélienne, où le gouvernement israélien vient tout récemment d’autoriser, en toute illégalité, la construction d’une nouvelle colonie, le quartier Hezekiah, sur une base militaire. Une nouvelle violation du droit international et dont H2 Hébron vient donner la mesure avec cette création théâtrale âpre et perturbante.
On avait découvert ce couple de performeurs et musiciens en 2011, au festival Impatience, avec Jérusalem Plomb Durci où ils analysaient la construction et la diffusion du discours nationaliste israélien fondé sur « la dictature de l’émotion » et le véritable lavage de cerveau auquel sont soumis les Israéliens pour y adhérer et couvrir les exactions d’un État toujours plus répressif et ultra-droitier. La forme coup de poing, très visuelle et chorégraphiée avait fait mouche.
Visite guidée au coeur de l’occupation
H2 Hébron se révèle plus austère et se présente comme une parodie de visite guidée au cœur de l’enfer et de l’occupation israélienne. Le public est disposé dans un système bifrontal et fait face à une table gigantesque où viendra s’échafauder peu à peu sous ses yeux la maquette du quartier « H2 », modélisée par Quentin Brichet, avec ses repères névralgiques. On a traversé, pour arriver, par l’est, Kiriat Arba, la colonie la plus grande et la plus extrémiste, et l’on pénètre par l’artère principale, la rue Shuhada avec ses maisons et ses postes militaires…
Ruth est seule en scène pour interpréter les innombrables voix qui restituent l’atmosphère — irrespirable — de Hébron. Elle commence par faire lire un texte sur Baruch Goldstein, icône des activistes israéliens qui, en 1994, entra dans la mosquée d’Ibrahimi (aussi appelée « Tombeau des patriarches ») pendant la prière du ramadan, assassinant à bout portant 29 Palestiniens et en blessant 133 autres. Non seulement ce meurtre de masse ne fut pas condamné, mais les Palestiniens en furent punis : « Après le massacre, les juifs ont pris 60 % de la mosquée : la pièce la plus grande, l’entrée principale et le jardin autour ».
La ville palestinienne, une des plus anciennes au monde, recèle les trésors patrimoniaux des trois religions monothéistes. Elle a été, selon la terminologie officielle, « stérilisée », c’est-à-dire vidée de ses habitants palestiniens au profit de quelques familles de colons juifs. Parmi les plus extrémistes, ils affichent ouvertement leur haine et leur racisme à l’abri des pistolets mitrailleurs qu’ils portent ostensiblement en bandoulière. Protégés par un État qui ne lésine pas sur les moyens d’assurer leur sécurité : « deux soldats pour un colon durant la semaine et quatre pendant le weekend », et leur impunité : ils peuvent envahir les rues et les maisons palestiniennes, attaquer les habitants quand bon leur semble. L’armée, qui a quadrillé la ville de checkpoints, n’hésite pas à noyer les rues du quartier sous des rafales d’eau puante pour rajouter l’humiliation à la terreur.
Une mise en scène sobre et puissante
Avec sa silhouette frêle, Ruth Rosenthal, dans un ballet presque frénétique, ne ménage pas sa peine pour rendre compte de l’enfer d’Hébron. Elle y a fait plusieurs séjours successifs avec son compagnon. Tous deux ont emmagasiné des centaines de témoignages de Palestiniens et de colons ultra-sionistes, de militaires en activité ou ayant servi à Hébron, de responsables politiques palestiniens et aussi d’observateurs internationaux censés assurés une mission de stabilité, de militants…
Au final, plus de 500 pages d’entretiens pour aboutir à la « substantifique moelle » de ce récit d’une heure trente, efficace et désespérant, où l’on parcourt la ville historiquement, géographiquement et politiquement. La comédienne a opté pour l’utilisation d’un micro qui vient distordre sa voix et faire entendre la gamme de toutes celles qu’elle restitue dans un parti pris de linéarité et de neutralité qui vole en éclats face à la violence de la situation. Cela rend parfois le fil de la narration difficile à suivre, mais si la comédienne s’est entêtée à suivre cette ligne d’interprétation, c’est parce qu’elle se révèle au final plus puissante que si elle avait voulu incarner des situations et des témoignages. En manipulant simplement des objets, avec juste quelques images vidéos (Olivier Perola), préférant la parole aux images, elle rend compte d’une réalité indescriptible.
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