Islamophobie, antisémitisme

Enracinement des discours racistes, responsabilité des médias

Après une interruption d’un an due à la pandémie de Covid-19, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) publie comme chaque année depuis trois décennies un dense et passionnant rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie.

Paris, 29 juin 2021. Affiches placardées en soutien à une candidature potentielle d’Éric Zemmour.
Ludovic MARIN / AFP

Les auteurs du rapport 2020 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ont fait le choix cette année de « porter une attention particulière à l’effet de la crise sanitaire sur les comportements racistes et antisémites, en s’intéressant notamment aux manifestations de racisme anti-Asiatiques et aux dérives antisémites sur YouTube ».

Ils constatent qu’au début de l’année 2020, « le mystère de l’origine du nouveau coronavirus », identifié pour la première fois en décembre 2019 à Wuhan, en Chine, « a grandement contribué à la stigmatisation et à l’augmentation des comportements racistes envers les personnes d’origine chinoise » et, plus généralement envers « toute personne dont les traits pourraient sembler “asiatiques“ ». Ils précisent cependant que « loin d’être un élément déclencheur d’une nouvelle forme de racisme », la pandémie a plutôt « rappelé l’ampleur des préjugés qui sont régulièrement véhiculés à l’égard des personnes asiatiques ». Il conviendrait par conséquent, demande la commission, d’« élargir les moyens de la recherche pour recueillir des données supplémentaires » permettant de « mieux prendre en compte » le racisme anti-Asiatiques, qui reste encore « trop méconnu, peu analysé en France, et, souvent, minimisé ou occulté ».

Complotisme et antisémitisme

L’année 2020 a également été marquée par l’émission en ligne, et notamment sur YouTube, de « discours douteux ou haineux » et de « théories complotistes qui reprennent régulièrement des préjugés antisémites anciens associant les Juifs au pouvoir et à l’argent ». Une enquête menée par Science Po et l’Université Gustave Eiffel, et dont la CNCDH cite les conclusions, a ainsi « permis de mesurer » en dépit du « “nettoyage“ réalisé en amont » par ses responsables « pour supprimer les comptes douteux », une « empreinte antisémite faible mais non négligeable » dans les commentaires déposés sur cette plateforme vidéo qui « occupe une place privilégiée dans l’espace numérique français ». C’est bien évidemment sur les « chaînes associées à différentes tendances de l’extrême droite politique française » que ces proférations racistes sont les plus nombreuses. Mais précise la commission, « c’est sur les chaînes YouTube des grands médias centraux » - dont nous verrons que certains d’entre eux portent par ailleurs une écrasante responsabilité dans la propagation de propos haineux - « qu’un internaute a une probabilité beaucoup plus forte de rencontrer un commentaire à empreinte antisémite ».

« Forte augmentation des faits anti-musulmans »

Ce sont les Roms constate ensuite le rapport qui « malgré une légère amélioration » par rapport aux années précédentes, restent encore et toujours en France « la minorité la plus stigmatisée », contre laquelle les pires stéréotypes racistes continuent d’être mobilisés : une forte majorité de Français considèrent qu’ils « ne veulent pas s’intégrer », qu’ils « exploitent très souvent les enfants », et qu’ils « vivent essentiellement de vols et de trafics ».

Les musulmans, eux aussi, font toujours l’objet d’une très vive défiance, « malgré un progrès sensible depuis quelques années ». Sans surprise, constate la CNCDH : « Le sentiment négatif envers l’islam est particulièrement fort chez les Français se situant “très à droite“ de l’échiquier politique, chez les sympathisants du Rassemblement national et parmi ceux qui se disent “plutôt racistes“ ». Cependant, « une minorité significative » de sympathisants du Parti socialiste, d’Europe Écologie - Les Verts et de La France insoumise partage avec cette frange réactionnaire l’opinion selon laquelle « l’islam est une menace pour l’identité de la France ».

Bien sûr, ces préjugés entraînent des passages à l’acte. La fin de l’année 2020 a été marquée, observe la commission, par une « forte augmentation des faits antimusulmans », dont la part s’élève à 16 % de l’ensemble des faits racistes recensés dans l’année – contre 8 % en 2019. Soit un doublement, en un an, du nombre de ces attaques. Ce sont principalement « les menaces qui ont augmenté », puisqu’elles sont en hausse de 75 % par rapport à l’année précédente. Les atteintes aux lieux de culte et cimetières musulmans ont quant à elles progressé de 38 %.

Au passage, la commission, après avoir constaté qu’il « déchaîne » toujours « les passions » et déploré les commentaires convenus selon lesquels son usage « ferait nécessairement le jeu du communautarisme, empêcherait la libre critique de la religion » et « rangerait dans le camp des “islamo-gauchistes“ », réaffirme courageusement qu’elle n’entend pas quant à elle renoncer au mot « islamophobie » - qu’elle utilise, précise-t-elle, « au sens de préjugé envers les musulmans et/ou leur religion, sans entrer dans les polémiques » que suscite son emploi.

Enfin, relève la CNCDH, « les préjugés à l’égard des Juifs », s’ils « restent nettement minoritaires », ne sont pas « pour autant marginaux ». Les auteurs du rapport observent que 22 % des Français jugent que « les Juifs ont trop de pouvoir en France », que 48 % pensent qu’ils « ont un rapport particulier à l’argent », et que 49 % estiment que « pour les Français juifs, Israël compte plus que la France ». Là encore, ce sont « les sympathisants de droite et plus particulièrement d’extrême droite qui sont les plus enclins à se montrer d’accord avec ces préjugés ». Rien d’étonnant, puisque l’époque est dominée, constatent encore ces auteurs, par « la promotion dangereuse de stratégies éditoriales favorisant le discours raciste ».

Marchands de haine

La commission exhorte donc les pouvoirs publics à « lutter efficacement contre la propagation de discours de haine dans les grands médias », et à « travailler à la disparition des stéréotypes dominants ». Cette formulation est par elle-même édifiante puisqu’elle indique assez nettement qu’il ne fait aucun doute, pour la CNCDH, que ces « grands médias » propagent effectivement - contrairement à ce que prétendent leurs responsables - des discours haineux et racistes.

De fait, son rapport précise que les « dérapages racistes » y ont été « particulièrement nombreux en 2020, dans un contexte de crise sanitaire propice aux discours stigmatisants, xénophobes, complotistes axés sur la désignation de boucs émissaires ». Citant les travaux de l’association Acrimed (Action-critique-médias), la commission constate à l’unisson de cet observatoire des médias une « banalisation » et un « enracinement de discours racistes, en particulier des discours anti-musulmans, sur les plateaux des talk-shows des chaînes d’information ». Et de pointer « tout particulièrement dans le cas de CNews la mise en avant d’agitateurs racistes comme produits d’appel ».

Les auteurs du rapport précisent qu’ « il n’est bien sûr pas question » pour eux « de dire que les médias français dans leur ensemble, ou de manière systémique, sont racistes ». Mais ils observent qu’ « au nom d’un droit au “politiquement incorrect“, des propos discriminants, stigmatisants, voire racistes, régulièrement tenus par certains éditorialistes ou chroniqueurs, sont considérés comme l’ingrédient indispensable pour attirer le public dans une course acharnée à l’audimat ». Et de citer à titre d’exemples les propos d’Éric Zemmour décrivant sur CNews les migrants de Lesbos comme des « envahisseurs […] qui n’ont qu’un espoir, c’est […] imposer leurs modes de vie à nos pays », ou les mineurs isolés comme des « voleurs, […] assassins, […] violeurs » qu’il « faut […] renvoyer ».

Constatant que « la défense de la liberté d’expression » est ainsi brandie par des marchands de haine « pour cautionner et répandre les préjugés racistes, les propos stigmatisants » et « les contre-vérités », la CNCDH rappelle que « l’incitation à la haine raciale doit être combattue, mais certainement pas débattue ».

Elle souligne également que « combattre le racisme dans les médias implique de dénoncer les propos racistes et l’absence de réaction des directions d’entreprises et des rédactions impliquées, ainsi que l’activité médiatique de certains éditorialistes et chroniqueurs dont les préjugés et les propos stigmatisent certaines catégories de population et nuisent à la cohésion de la société ».

Une gageure dans un pays où le chef de l’État apporte plutôt son soutien à Éric Zemmour, cependant que ses ministres défilent sur les plateaux de la chaîne où ce prédicateur d’extrême droite vend quotidiennement ses prêches haineux - celui-là même dont Jean-Michel Blanquer a même trouvé « très sain » qu’il puisse être candidat à la présidentielle.

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