Et si c’était à la France de bénir Allah ?

Les ambiguïtés d’un film plein de bonnes intentions · Sorti avant les attentats des 7 et 9 janvier contre Charlie Hebdo et un supermarché casher, le film de Abd Al Malik Qu’Allah bénisse la France pourrait faire figure de réponse aux questions qui se posent sur l’islam et les musulmans. Pourtant, malgré la bonne volonté du réalisateur, le film reste marqué par un certain angélisme et des zones de flou.

Film d’Abd Al Malik, 2014. Actuellement en salles.

Les sanglants attentats qui ont frappé la France les 7 et 9 janvier ont relancé, parfois de manière caricaturale, le débat récurrent sur le place de l’islam en France. Alors que de nombreuses injonctions, parfois des plus péremptoires, ont fusé pour demander aux musulmans de ce pays de se désolidariser de ces actes commis au nom de leur religion, le film du réalisateur et rappeur Abd Al Malik, de son vrai nom Régis Fayette-Mikano, pourrait faire figure de réponse. Qu’Allah bénisse la France en est ainsi le titre conciliant, ce qui, visiblement n’a pas empêché de nombreuses salles de décliner sa programmation...

Abd Al Malik veut rassurer et démontrer que la France est une chance pour les musulmans. C’est le message qu’il ne cesse de délivrer et il est dommage que ses passages dans les médias, notamment les télévisions, soient si rares. Pour autant, on est en droit de se demander si l’intéressé ne force pas le trait, oubliant les difficultés auxquelles sa religion mais aussi le milieu social défavorisé dans lequel il est né font toujours face.

En effet, à suivre le condensé biographique qui a mené l’enfant du Neuhof — un quartier populaire au sud de Strasbourg — des marges de la délinquance à la conversion à l’islam et à un statut d’artiste reconnu, on se demande en quoi la France a bien pu aider ce jeune Français d’origine congolaise. Certes, dans ce film basé sur son autobiographie éponyme, on découvre que l’auteur de l’étincelant album Gibraltar a été un très bon élève et qu’il a même pu intégrer une classe d’hypokhâgne. Mais, de cela, il n’est pas beaucoup question car ce que le spectateur retient d’abord, c’est le quotidien glauque d’un enfant d’une cité. Vols à l’arraché, trafic de drogue, embrouilles entre potes prompts à s’escroquer les uns les autres, violence verbale, rapports tendus pour ne pas dire haineux avec la police. La caméra d’Abd Al Malik montre bien cela et inscrit son film dans la lignée de La Haine de Mathieu Kassovitz. Et c’est d’ailleurs un événement dramatique — un règlement de compte sanglant — qui pousse l’intéressé à rejoindre la « voie de rectitude », autrement dit la conversion à l’islam, lui qui est né dans une famille chrétienne.

S’il résume parfaitement une réalité sordide qui perdure — rien n’a changé ou presque au Neuhof comme dans tant de cités de France où le trafic de stupéfiants et l’économie souterraine règnent en maître —, le film d’Abd Al Malik ne nous explique pas assez quel a été le cheminement spirituel et religieux du personnage principal. Il y a l’amie d’origine marocaine qui lui donne à lire un ouvrage sur le soufisme, il y a aussi les aînés, qui dispensent quelques bons conseils de tolérance et mettent en garde contre toute ostentation dans la pratique religieuse et contre le prosélytisme, mais le réalisateur échoue à nous expliquer comment et pourquoi il est entré dans la foi musulmane. S’est-il posé des questions à propos du rite ? Quels ont été ses doutes s’il y en a eu ?

Qu’Allah bénisse la France
Bande-annonce - YouTube

Un bon citoyen

Et, surtout, en quoi la conversion à la religion l’a-t-elle amené à changer son regard sur la France ? Car c’est bien cela que revendique l’auteur de Soldat de plomb, la chanson qui a fait décoller sa carrière. On sait que la pratique de l’islam — ou de toute autre religion — impose une discipline, voire une hygiène de vie qui peuvent contribuer à éloigner de la délinquance et à ne pas créer de problèmes à la collectivité et à l’État. En cela, on peut même penser que le titre du film aurait pu être inversé puisque ce serait plutôt à la France de bénir Allah, grâce à qui un jeune qui n’hésitait pas à vendre de la drogue ou à attaquer de vieilles femmes pour leur arracher leur sac est devenu un être responsable. Un bon citoyen décidé à oublier toute colère et révolte contre un pays qui l’a plutôt maltraité, ne serait-ce qu’en les confinant lui et les siens dans un ghetto urbain. En revanche, on aurait aimé qu’Abd Al Malik, qui, bien avant Michel Houellebecq, a publié un roman mettant en scène un favori à l’élection présidentielle de confession musulmane1, explique de manière un peu moins allusive pourquoi l’islam l’a mené à aimer la France et à ne plus avoir peur d’elle.

On regrettera aussi que l’un des moments forts du film, la scène de la lecture du verset 48 de la sourate V du Coran (La Table, Al-Mâ’ida), n’ait pas été sous-titrée, voire mieux mise en valeur sur le plan scénographique, puisque c’est ce passage qui, parmi d’autres, fonde l’obligation du croyant à respecter les autres croyances2.

Auprès d’une confrérie soufie

Contrairement à nombre de ses amis d’enfance, Abd Al Malik s’en est donc sorti, évitant notamment la mort violente ou la case prison. Dans ce chemin d’exception, le séjour au Maroc fait figure d’étape essentielle. Après sa conversion, le réalisateur y a vécu au sein d’une confrérie religieuse soufie, la Qadiriyya Boutchichiyya. Là aussi, il est dommage que le film n’évoque pas cela de manière plus détaillée. Hormis quelques images de convivialité, on ne saura rien de l’enseignement spirituel et religieux qui y est dispensé. Le réalisateur a-t-il eu des discussions fécondes avec ses maîtres ? Ont-ils abordé avec lui la question du vécu d’un musulman sur le sol européen ? Quel était son statut : disciple, simple invité ? Ce thème est d’autant plus important — et sensible — que cette confrérie attire nombre de jeunes musulmans nés sur le sol français et désireux eux aussi de trouver un sens à leur vie. À ce sujet, on retrouve d’ailleurs une conviction partagée par nombre de parents d’origine maghrébine qui, face aux difficultés éprouvées (ou créées) par leurs enfants en France, continuent, aujourd’hui encore, de penser qu’un passage par « le bled » serait à la fois formateur et bénéfique.

Par ailleurs, et concernant toujours la Qadiriyya Boutchichiyya, il aurait été intéressant d’en savoir un peu plus sur son organisation et son fonctionnement internes, sachant qu’un célèbre joueur de football, Hatem Ben Arfa, a accusé en 2012 Abd Al Malik et son manager d’avoir tenté en 2008 de « l’endoctriner » et de le faire entrer dans ce qu’il a qualifié de « sorte de secte ». À l’époque, le rappeur avait réagi en faisant annoncer par son avocat son intention de porter plainte contre le footballeur. Si l’affaire semble s’être tassée, il n’en demeure pas moins que des voix se font entendre au Maroc pour mettre en cause l’instrumentalisation des confréries religieuses par la monarchie afin de faire échec à l’islamisme radical. Une stratégie dont l’inconvénient majeur est de favoriser des structures jugées archaïques et opposées à toute modernisation de la société.

Angélisme surjoué

L’amour de l’autre et la tolérance font partie du message récurrent d’Abd Al Malik et son film se veut porteur d’un message d’espérance. Ce faisant, il donne l’impression que l’islam dont il est adepte impose de se garder de toute controverse d’ordre politique. En cela, son message peut contribuer à rassurer une opinion publique française traumatisée par les attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo et une épicerie casher. Mais cela risque de ne pas suffire car la question de la place de la religion musulmane en France exige aussi des engagements à la fois citoyens et politiques. De même, il n’est pas dit que cette modération, qui semble parfois un peu trop appuyée pour ne pas dire surjouée, rencontre une pleine adhésion au sein des diverses communautés musulmanes de France.

1L’islam au secours de la République, Flammarion, 2013.

2« À chacun de vous, Nous avons donné une loi et une voie. Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté. [S’Il ne l’a pas fait] c’est pour vous mettre à l’épreuve vis-à-vis de ce qu’Il vous a donné. Concurrencez-vous dans l’accomplissement des bonnes actions. Vous retournerez tous à Dieu. Il vous informera sur ce qui vous divise. »

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