1er juin 2018. Razan Al-Najjar, une jeune Palestinienne de 20 ans, est abattue par le tir d’un sniper de l’armée israélienne à la frontière entre la bande de Gaza et Israël. Elle était secouriste bénévole sur les lieux des manifestations qui ont jalonné la Grande Marche du retour. Cette année-là c’était le 70e anniversaire de la Nakba.
Chantal Montellier est une scénariste et dessinatrice politique, bédéaste et écrivaine française. Elle suivait sur les réseaux sociaux les activités de cette jeune fille, dont le beau visage s’impose bientôt à elle comme figure incontournable de la résistance palestinienne. Presque autant que son assassinat, l’indifférence des médias mainstream la bouleverse. « À peine morte, Razan était déjà effacée ; pire : interdite », écrit-elle. Elle décide alors de lui consacrer un dessin par jour pendant un an, jusqu’au premier anniversaire de sa mort, et publie son travail au fur et à mesure sur sa page Facebook, bientôt soutenue par un petit groupe de supporters.
Un an de dessins plus tard s’est imposée l’idée qu’il fallait « poser des mots sur les images », et l’autrice est donc « partie en chasse d’écrivains, de journalistes, de défenseurs de la cause… ». Je suis Razan est le résultat de cette mise en relation de ses dessins avec des témoignages, des rappels historiques, des poèmes, des dialogues imaginaires, des hommages.
La réponse extrêmement brutale d’Israël aux manifestations de Gaza a fait au moins 254 morts, dont 44 enfants et 23 603 blessés entre mars et décembre 2018, selon un rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA). « C’était une balle perdue », disent pourtant en résumé les militaires israéliens à propos de Razan Al-Najjar. Perdue surtout pour l’image de l’armée « la plus morale du monde », car outre les rapports de l’ONU, le New York Times a enquêté sur les circonstances de sa mort, visionnant plus de 1 000 photos et vidéos, interrogeant des dizaines de témoins et des officiers israéliens avant de reconstituer minutieusement la scène1. Ces images, ainsi que d’autres vidéos d’amateurs en ligne, montrent très clairement que les soldats israéliens tiraient à balles réelles et sans sommation dans les groupes de manifestants non armés de l’autre côté de la ligne de frontière entre Gaza et Israël. Razan n’est pas morte accidentellement.
Dans les dessins de Chantal Montellier, son visage souriant, sa silhouette en blouse blanche de secouriste sont martelés de façon obsédante, avec pour contrepoint le rappel de Guernica, le célèbre tableau de Picasso : dénonciation d’un massacre, dénonciation finalement de tout massacre et de toute violence de masse. Avec le slogan « Je suis Razan » paraphrasant le désormais emblématique « Je suis Charlie » pour affirmer qu’il n’y a aucune raison que l’empathie et la solidarité dues aux victimes ne s’applique pas à une jeune Palestinienne qui, à 4 000 km de Paris à vol d’oiseau, n’a cessé d’affirmer avec courage son engagement : « Je suis ici, sur la ligne de front, en tant que bouclier humain protecteur pour sauver les blessés », dit-elle dans une interview peu avant sa mort.
Lâchons le mot – si peu souvent concédé aux femmes — : Razan est une héroïne, ici comme là-bas. C’est ce qu’exprime ce livre, fait d’émotion et d’hommages mérités.
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