Gaza. Une mémoire contre l’oubli

Dans Pour l’honneur de Gaza, le réalisateur palestinien Iyad Alasttal livre un témoignage poignant sur la vie dans l’enclave depuis le 7 octobre 2023, mettant en lumière celles et ceux qui luttent pour survivre malgré l’horreur et l’indifférence du monde.

Un homme âgé avec une canne se tient sur une rue déserte, entouré de bâtiments en ruine.
Extrait de Pour l’honneur de Gaza, du réalisateur palestinien Iyad Alasttal

« Le fait de ne rien entendre est lié à la mort, pas au calme de la fin de la guerre. » Cette phrase est l’une de celles que l’on peut entendre dans le film de Iyad Alasttal, journaliste et cinéaste palestinien, réfugié en France. Elle résume douloureusement la réalité d’une situation que plus personne ne peut hésiter à qualifier de génocide. Pour qu’un génocide soit en cours, il n’est nullement nécessaire que toute une population risque de disparaître. L’intention d’en exterminer le plus grand nombre suffit. Et à Gaza, entre les bombardements des équipements publics, des lieux de culte, des immeubles et de leurs habitants, l’interdiction de laisser entrer l’aide alimentaire et médicale, les coupures d’eau et d’électricité, l’objectif est bien de provoquer l’agonie d’un peuple.

Iyad Alasttal témoigne de cette tragédie qui dure depuis 595 jours. Mais il témoigne aussi de l’intense volonté des Palestiniens de continuer à vivre et de leur préoccupation permanente de ne pas laisser les enfants survivants (au moins 17 000 d’entre eux sont morts) s’abandonner au désespoir alors que d’aucuns n’ont plus ni parents ni famille et que leur existence présente ne ressemble en rien à celle d’avant.

Bande annonce de «  Pour l’honneur de Gaza  » d’Iyad Alasttal

Né en 1987 à Khan Younès, dans le sud de Gaza, Iyad Alasttal a suivi des études de cinéma à l’université de Corte, en Corse. Diplômé en 2013, il revient dans l’enclave où, en 2015, il commence à produire et tourner de courts documentaires sur la vie quotidienne de ses habitants. Certaines de ces Gaza Stories diffusées sur YouTube seront primées.

Il quitte la Palestine pour la France en février 2024 et entreprend bientôt la réalisation de Pour l’honneur de Gaza, travaillant avec des collaborateurs restés au pays, mettant au point le scénario, choisissant les personnages et montant les rushes. Le film a été terminé en 2024, ce qui explique qu’on y voit moins de bâtiments détruits qu’aujourd’hui et que le paysage n’est pas encore totalement réduit à un immense champ de ruines.

« Infecté par une maladie qui s’appelle l’espoir. »

L’ambition de Iyad Alasttal n’est pas de montrer les pilonnages incessants de l’aviation, le déploiement des soldats et les fusillades qui s’en suivent, ni la progression dans les rues défoncées des Merkava, les fameux chars israéliens qui n’hésitent pas à démolir les maisons et à écraser les gens.

C’est à travers les portraits de gens qui n’ambitionnent que de continuer à vivre en dépit de la violence qu’on déverse sur eux que le cinéaste témoigne de sa grande empathie pour ce peuple qu’il déclare « infecté par une maladie qui s’appelle l’espoir. »

Une « infection » — que l’on pourrait rebaptiser « courage » — dont fait preuve ce marionnettiste qui, castelet1 sur le dos, se déplace de tente en tente, déclenchant les rires du jeune public. Ou ce dentiste pour enfants qui essaie, avec les moyens du bord, de sauvegarder leur dentition mise à mal par les conditions d’hygiène et de nourriture qu’on leur inflige. Mais être dentiste ne suffit pas : il faut aussi s’improviser thérapeute et organiser des jeux afin de faire oublier pour un moment l’inhumanité à laquelle la soldatesque israélienne, ivre de vengeance, s’emploie à condamner les nouvelles générations gazaouies.

« Parfois, je me demande ce qui nous arrive »

L’expression du courage, c’est aussi cette petite fille, imposante de calme et de dignité, qui se déclare abandonnée, ayant compris que les droits humains dont se gargarisent les pays occidentaux ne s’appliquent pas aux Palestiniens.

Des considérations d’adulte qui lui viennent de son expérience traumatisante et injuste, mais aussi de parents qui lui ont appris qu’en principe il y a des conventions internationales et qu’on ne peut pas traiter « la population palestinienne de Gaza comme un groupe sous-humain ne méritant pas le respect de ses droits fondamentaux ni de sa dignité », ainsi que l’a dénoncé Amnesty International2.

Depuis octobre 2023, au vu des amoncellements de décombres et du nombre de morts — plus de 53 000 à ce jour —, c’est pourtant ce traitement insupportable qui a été infligé aux Gazaouis. Désemparée, une femme journaliste résume cette situation avec une sorte d’incrédulité : « Parfois, je me demande ce qui nous arrive. Où sommes-nous ? Et qu’est-ce que nous faisons ici ? Ce qui nous arrive est incompréhensible et terrible. » — avant d’ajouter qu’elle préférerait ne pas avoir d’enfants pour qu’ils ne soient pas confrontés à une telle abomination.

« Mourir sur sa terre est mieux que l’exode »

La caméra de Iyad Alasttal nous invite à suivre le musicien Ahmad Abu Amsha qui ne lâche pas sa guitare et, suivi d’une cohorte d’enfants, s’installe sur une dune pour évoquer le camp de tentes précaires qu’est devenu son pays.

Nous rencontrons aussi cette architecte qui, ne pouvant pas quitter l’enclave, croque dans un carnet des silhouettes de monuments emblématiques des villes du monde où elle voudrait aller. Il y a aussi cet humanitaire qui se démène comme un beau diable afin de trouver de la nourriture pour les déplacés. On découvre également cet homme qui a connu les geôles israéliennes et qui en garde des séquelles physiques et psychologiques, ou encore cette autre petite fille qui regarde avec tristesse une photo la représentant lorsqu’elle n’était pas atteinte d’une alopécie due à un traumatisme causé par les bombardements incessants.

Un autre journaliste gazaoui — les seuls à pouvoir témoigner de l’intérieur —, dont le dossard Press fait de lui une cible de choix résume la situation hors norme que vivent les habitants de Gaza : « C’est juste une question de temps, il n’y a qu’un missile ou une balle qui nous sépare de la mort. ». À ce jour, plus de 210 d’entre eux ont été tués.

Après avoir donné la parole à un vieil homme qui attend le retour de ses (grands) petits enfants partis pêcher, Iyad Alasttal le saisit sur le chemin du retour, sa canne sculptée à la main. Tourné vers nous, il affirme sa détermination : « Je n’ai pas voulu partir d’ici, car c’est ma patrie. Déjà on est parti en 1948. Nous ne le referons pas. Mourir sur sa terre est mieux que l’exode. »

Parmi ces personnages que l’on aura croisés le temps d’une projection, certains ont disparu, morts « sur leur terre ». Impossible de les oublier tant ils nous ressemblent. Avec gravité, respect et talent, Iyad Alasttal a su empêcher leur effacement et les inscrire dans nos mémoires.

1Élément de décor de théâtre de marionnettes servant de cadre à l’espace scénique  ;

2«  La population palestinienne de Gaza victime d’un génocide  », enquête d’Amnesty International publiée le 5 décembre 2024.

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