Les anciens combattants ont à plusieurs reprises joué un rôle important dans l’histoire de la France. Ce fut vrai au XIXe siècle quand ils aidèrent les deux Bonaparte à remonter sur le trône ou, plus encore, après la première guerre mondiale quant ils exercèrent un véritable magistère sur la vie politique — et plus largement sur la société elle-même. Rien de tel après la guerre d’Algérie que livrèrent, du côté français, quelque deux millions d’appelés, de rappelés et de militaires de carrière, sinon un silence générationnel. Jean-Charles Jauffret, professeur à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, à qui l’on doit déjà la remarquable série La guerre d’Algérie par les documents1 — hélas interrompue pour raison officielle et opportune de « secret défense » –, explique l’effacement de ces deux millions d’hommes de la mémoire nationale.
Aidé par une solide équipe d’universitaires et d’étudiants d’Aix-en-Provence, l’auteur a patiemment interrogé un millier d’anciens d’Algérie, lu leurs lettres, épluché les journaux de marche des unités engagées et consulté les innombrables ouvrages, souvent édités à compte d’auteurs, par des septuagénaires désireux de parler avant qu’il ne soit trop tard. Le tout donne « un savoir stabilisé, documenté et référencé » pour reprendre les termes du préfacier, l’historien Jean-François Sirinelli, sur une question majeure : comment et pourquoi, entre 1956 et 1961, de jeunes Français ont-ils été amenés, bon gré mal gré, à mener une guerre anachronique et sale, l’avant-dernière guerre coloniale occidentale avant celle du Portugal du dictateur António de Oliveira Salazar contre l’Angola, le Mozambique et la Guinée-Bissau ? En 1967, Pierre Guyotat avait déjà dédié un monument funéraire littéraire2 à ces enterrés vivants oubliés sur des pitons du bled. Un demi-siècle plus tard, Jean-Charles Jauffret livre la version de l’historien, tout aussi magistrale.
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