Littérature

L’ombre du despote sur le Maroc

Youssef Fadel.

C’est un roman à deux voix qui évoque, sans jamais le nommer, le Maroc de Hassan II, la guerre au Sahara, le dévoiement de l’opposition « socialiste », la réalité sordide de la cour et le clientélisme et la corruption qui minent la société marocaine. La première parole est celle de Balloute, ancien bateleur sur la place Jemaa el-Fna, devenu bouffon du roi et longtemps persuadé, car fier de sa propre influence, que « le bouffon du roi, c’est le roi ». Balloute décrit ainsi les intrigues du palais et dresse en filigrane le portrait de « Sa Majesté », un « roi omniscient », un « homme prodigieux qui aime discuter les questions les plus ardues, qui reconnaît le point de vue des autres même s’il n’en tient pas compte, lui qui méprise tout point de vue qui n’est pas le sien ou daigne à peine l’entendre ».

La seconde voix est celle d’Hassan, le fils de Balloute, un humoriste qui fait « en sorte que, derrière le rire, il y ait une idée », ce qui lui vaut d’être régulièrement confronté à la censure. Conscrit, cantonné dans une caserne au Sahara sous la menace d’un ennemi invisible et sous les ordres d’un général affairiste (le lecteur identifie aisément feu le général Mohamed Oufkir, exécuté après avoir mené une tentative de coup d’État contre Hassan II), Hassan cherche à survivre et ne pense qu’à Zineb, son épouse restée au nord et dont il n’a plus de nouvelles. Un récit double teinté d’une ironie féroce et dont la trame et le style montrent ce que peut la littérature dans un contexte où toutes les vérités ne sont pas aisément assénées.

Écrivain marocain, dramaturge, metteur en scène, romancier et scénariste, Youssef Fadel est né en 1949 à Casablanca, où il réside. Il débute au théâtre, avec sa pièce La Guerre (1974) qui lui vaut huit mois de prison dans le cachot de Derb Moulay Chérif. Durant cette période, il écrit Le Coiffeur du quartier des pauvres, porté à l’écran par Mohamed Reggab (1982). Il crée ensuite plusieurs pièces de théâtre en arabe dialectal, à partir des années 1980.
Romancier, également depuis cette époque, il est l’auteur de : Les Cochons (Aljamiaa, 1983), Celestina (Najma, 1993), Le Roi des juifs, (Arrabita, 1995), Haschisch (Le Fennec, 2000/Actes Sud, 2007), Mitrou Mouhal (Le Fennec, 2006), Zoo Story (Le Fennec, 2007).
Il est l’un des membres fondateurs du Théâtre Shem’s et a dirigé la revue littéraire Najma.

  • Youssef Fadel, Un joli chat blanc marche derrière moi
    Traduit de l’arabe (Maroc) par Philippe Vigreux, Sindbad, Actes Sud. — 265 p. ; 22,80 €

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