La nouvelle donne iranienne

Pourquoi la République islamique résiste · Trente-cinq ans après la révolution de 1979, la République islamique survit à toutes les crises, à tous les défis. Cette résilience ne s’explique pas principalement par le caractère autoritaire du régime mais par sa capacité à s’adapter aux nouveaux défis, à la fois intérieurs et extérieurs. Un numéro de la revue Confluences Méditerranée permet de mieux comprendre pourquoi.

L’ayatollah Khamenei et Hassan Rouhani lors de la cérémonie d’investiture de ce dernier, le 4 août 2013.
Hassan Rouhani on Twitter (photo site officiel).

L’Iran se trouve à nouveau sous les feux de l’actualité. Il est en effet au centre d’événements majeurs au Proche-Orient : la guerre civile en Syrie, l’élection-surprise de Hassan Rohani, dont le discours modéré tranche fortement avec celui de son prédécesseur, la reprise d’un dialogue officiel direct avec les États-Unis, l’accord intérimaire sur son programme nucléaire. Certains déterminants de la politique étrangère de l’Iran sont assez bien connus. Ainsi en est-il de son soutien de toujours au Hezbollah libanais et au régime de Bachar Al-Assad en Syrie, de son soutien plus conditionnel et tactique au Hamas, de l’accroissement de son influence en Irak grâce l’intervention militaire américaine qui a évincé la minorité sunnite du pouvoir à Bagdad, de ses réserves de pétrole et de gaz parmi les plus importantes du monde, de son hostilité à Israël et de sa promotion du « front du refus » face aux États-Unis.

À côté de cela, alors qu’ils sont prépondérants, les moteurs internes de la République islamique qui animent en sous-main ces manifestations extérieures sont mal appréhendés. La vision la plus répandue se réduit généralement à celle mettant en scène conservateurs et réformateurs au sein du régime, sur fond d’une population qui n’aspirerait qu’à l’ouverture et au changement comme beaucoup ont cru — ou voulu — le voir dans le « mouvement vert » de 2009. Il s’agit également de sortir des schémas longtemps assénés par Washington et davantage encore par Tel Aviv, de se plonger dans le système politique iranien et de soulever un peu le voile sur ses réalités et ses luttes internes.

Le braquage des phares médiatiques sur l’élection de Rohani et sur les événements qui ont immédiatement suivi ne doivent pas laisser dans l’ombre ces réalités. Bien que portant le titre de président de la République et homologue officiel des chefs d’État étrangers, bien qu’élu au suffrage universel direct, Rohani est, comme ses prédécesseurs, davantage un chef de gouvernement qu’un chef d’État. Tout ce qui est défense, sécurité et politique étrangère reste sous la houlette du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei.

Faculté d’adaptation

De même, contrairement à certaines idées reçues, toute opposition n’est pas entièrement étouffée, ni absente du jeu politique iranien. Les opposants qui s’attaquent aux fondements du régime islamique sont certes réprimés, comme le sont les manifestations de rue remettant en cause les décisions du Guide. Dans le même temps, différentes tendances s’opposent au sein de l’appareil dans ce que l’on pourrait qualifier d’opposition intérieure « apprivoisée », mais non moins active, avec laquelle Khamenei doit composer pour préserver la solidité du système en place depuis 1979.

On constate ainsi une remarquable faculté d’adaptation du régime, prétendument rigide dirigé par l’ayatollah Khamenei, aux évolutions et aux contraintes intérieures et extérieures qui s’appliquent au pays. Adaptation et résilience qui empêchent que soient remis fondamentalement en cause le principe du vilayat-e faqih1, ni l’ambition — légitime — de recouvrer au sein de la communauté internationale un rôle régional, voire extra-régional, en rapport avec le potentiel humain et économique de l’Iran — terre, eau, richesses en hydrocarbures, population, savoir-faire – supérieur à celui des autres pays du Proche-Orient. Cette faculté d’adaptation se manifeste aussi par une apparente contradiction entre l’élection d’un modéré à la présidence de la République et la victoire concomitante des factions fondamentalistes aux élections municipales, toutes deux pourtant impossibles sans l’aval du Guide.

Un acteur incontournable

La capacité du régime à concilier une expression ouverte et modérée tournée vers l’extérieur et le maintien imposé du conservatisme à l’intérieur ne résout pas cependant le divorce prévalant avec la société civile. Celle-ci n’a de relation avec le pouvoir que lors des élections et cherche à préserver des droits minimaux face à une théocratie perçue comme indélogeable. Ce régime doit tenir compte de la forte dégradation des conditions socio-économiques à l’intérieur du pays, davantage provoquée par le cumul des sanctions internationales qui pèsent sur l’Iran à cause de son programme nucléaire que par la mauvaise gestion populiste de Mahmoud Ahmadinejad, aggravée dans les dernières années de sa présidence. Si le président Rohani semble avoir fait le choix d’une libéralisation de l’économie, l’amélioration de celle-ci dans la durée et la modernisation des infrastructures pétrolières et surtout gazières ont besoin de la levée des sanctions internationales.

Ainsi se croisent les intérêts de l’Iran et ceux défendus par le président Barack Obama qui aspire à une stabilisation du Proche-Orient afin de pouvoir porter davantage l’action des États-Unis sur l’Asie en général et la Chine en particulier. Le retour officiel en scène de l’Iran est en effet indispensable pour la stabilisation de la région. La normalisation entre Washington et Téhéran se heurte cependant à de nombreux obstacles, dressés par de fortes oppositions intérieures en Iran comme aux États-Unis ainsi que par des acteurs régionaux, comme Israël et l’Arabie saoudite. Cette dernière, rivale géopolitique de l’Iran pour la suprématie régionale a bénéficié de trente ans d’endiguement de Téhéran par la communauté internationale et surtout par les États-Unis. Son affrontement avec l’Iran se retrouve dans toutes les crises de la région, que ce soit en Syrie, en Irak, au Liban ou au Yémen.

Le cadre essentiellement politique de cette rivalité entraîne cependant, sans qu’elle en soit l’origine, une dimension idéologique et sectaire chiite-sunnite au niveau des acteurs impliqués sur le terrain, notamment syrien. Mais la restauration de la puissance régionale de l’Iran que poursuit Rohani passe également par la normalisation des relations avec les pétromonarchies du Golfe. Elle se heurte, avec l’Arabie Saoudite, à des antagonismes d’intérêts, mais prime cependant sur la nécessité idéologique de s’opposer à Israël pour rester leader de la « Résistance ».

Adaptation, résilience et compromis ont permis à la République islamique de survivre à toutes les pressions et violences subies depuis la chute du Chah, et même d’être aujourd’hui au Proche-Orient plus influente qu’elle ne l’a jamais été, sans avoir à tirer elle-même un seul coup de fusil. C’est ce que nous propose de mieux comprendre la revue Confluences Méditerranée publiée par L’Harmattan dans son numéro 88 « Iran : une nouvelle donne ? » à travers une série de contributions claires.

  • « Iran : une nouvelle donne ? » Confluences Méditerranée n °88
    Hiver 2013-2014, IReMMO/L’Harmattan, 2014 (sous la dir. de Clément Therme).

1Principe théologique et juridique qui confère au Guide la primauté sur le pouvoir politique séculier.

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