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La Palestine entre économie locale et globalisation

Un autre mode de résistance · Comment vivre, consommer et agir dans une Palestine « glocale », c’est-à-dire prise entre une dynamique d’échanges mondialisés et les contraintes imposées par l’occupation israélienne ? Tel était le défi posé par le colloque organisé par l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) et l’université An-Najah à Naplouse et Sebastia, en partenariat avec le consulat de France et l’Institut français de Jérusalem, du 30 septembre au 2 octobre.

L'image montre un paysage avec un mur en béton qui semble délimiter une zone. Au fond, on peut voir des pylônes de communication et des lampadaires, suggérant une certaine infrastructure. Au premier plan, il y a un champ de cultures avec des lignes de légumes, probablement dans un état de sécheresse ou de négligence, tandis qu'un feuillage flou dans la partie inférieure de l'image ajoute une touche naturelle. Le ciel est bleu avec quelques nuages.
Cultures biologiques à Tulkarem, sous l’oeil des caméras de surveillance israéliennes.
Crédits Delphine Vincent.

Il est difficile d’imaginer que ce qui apparaît aujourd’hui comme le verrou d’une prison nationale était il y a encore quelques décennies une extraordinaire ouverture sur le reste du monde. C’est sur cette amère pensée que s’achève le film Five Minutes From Home de Nahed Awwad (2008), projeté en clôture de la première journée de conférence sur la place du village de Sebastia, dans le nord de la Cisjordanie. Se plongeant dans l’histoire de l’ancien aéroport de Jérusalem situé à Qalandia, entre Jérusalem et Ramallah, la réalisatrice y met en lumière un triste et symbolique parallèle avec le checkpoint qui l’a remplacé depuis quelques années, coupant Jérusalem de la Cisjordanie. Alors qu’aujourd’hui un trajet de Ramallah à Jérusalem peut prendre plusieurs heures, dans les années 1960 quelques dinars et une heure de vol suffisaient pour s’évader un week-end à Beyrouth ou à Amman.

Si la mondialisation s’est traduite sur tous les continents par un effacement progressif des frontières, les Palestiniens connaissent quant à eux un enfermement croissant, en particulier depuis la construction par Israël du mur « de séparation » et du système élaboré de checkpoints et de barrages l’accompagnant. La mobilité des Palestiniens est d’autant plus problématique, comme l’explique Stéphanie Latte-Abdallah, chercheure au CNRS (Ifpo, Palestine) et co-organisatrice avec Joni Aasi (université An-Najah) du colloque, qu’elle est hasardeuse et fonction des réalités différenciées de l’occupation sur le terrain. Chacun a accès à des droits particuliers (101 types de permis différents peuvent ainsi être délivrés aux Palestiniens), et un système répressif massif tisse ce qu’elle nomme une « toile carcérale » sur les territoires palestiniens.

Circuler sous occupation

Comment concevoir le développement et l’avenir du territoire national dans un monde globalisé, quand la Palestine subit en parallèle une privation de mouvement de ses habitants, ainsi qu’un morcellement croissant et une colonisation rampante ? Les échelles, les trajectoires de mobilité et les modes de circulation, cruciaux pour comprendre la mondialisation à travers le prisme de l’occupation, étaient nécessairement au cœur de toutes les problématiques soulevées pendant ces trois journées d’un colloque riche et diversifié, tant par les thèmes abordés que par les acteurs impliqués : architectes, urbanistes, artistes, chercheurs, agriculteurs et citoyens engagés.

L’absence, faute de permis, de plusieurs intervenants invités à cette rencontre internationale, rappelait à elle seule les difficultés à échanger… C’est donc branché sur Skype depuis Gaza que Mohamed Abou Sal a présenté au public d’An-Najah « Un métro à Gaza », projet artistique qui imagine résoudre la question des transports chaotiques dans la bande de Gaza par la création d’une interface utilisant l’ancien tracé du chemin de fer du Hedjaz1 ainsi que les tunnels de Gaza.

L’exception artistique

Si les frontières restent bien ancrées, sur les cartes comme dans les esprits, elles sont souvent plus étanches à l’intérieur du pays qu’avec l’extérieur, et l’enclavement territorial local a pour corollaire des déplacements vers des destinations plus lointaines et un recours accru aux nouvelles technologies. Marion Slitine, doctorante à l’Ifpo Jérusalem, évoque la mise en place croissante, dans le domaine de l’art, de financements, de partenariats et de bourses qui permettent aux Palestiniens de voyager par le monde plus aisément que sur leur propre territoire. Les capitales occidentales, et notamment Londres, sont friandes de production artistique palestinienne, qu’elle soit théâtrale, cinématographique ou plus largement « visuelle ». Les œuvres sont peut-être les productions palestiniennes qui s’exportent et se vendent le mieux, surtout lorsqu’elles ont pour cadre ou sujet la Palestine.

Pour la nouvelle génération, la simplification des échanges rendue possible notamment par le développement d’Internet apparaît comme une réelle opportunité de sensibiliser le reste du monde à la question palestinienne. C’est ainsi par exemple que le site Visualizing Palestine concentre les talents de ses designers sur des créations visuelles originales, basées sur des données des Nations unies et diffusées via les réseaux sociaux, pour faire évoluer une vision du conflit israélo-palestinien souvent biaisée et formatée.

Pour une consommation de résistance

La mondialisation économique signifie également l’importation de modes de vie et de consommation. Entre occupation coloniale et néolibéralisme, elle se présente en Palestine à la fois comme une opportunité et une contrainte. Yazid Anani, professeur d’architecture à l’université de Birzeit, dénonce la « schizophrénie » de Ramallah qui voit se multiplier les buildings, les restaurants et les cafés chics où les classes palestiniennes aisées viennent garer leurs grosses cylindrées et se retrouver autour d’un capuccino pour discuter de leurs cours de gymnastique. Une population qui vit selon lui dans l’illusion d’une modernisation et d’une reconstruction postcoloniale alors même que le pays vit sous occupation.

Ces aspirations à de nouveaux modes de vie empruntent largement à l’Occident mais aussi à Israël, dans une sorte de fascination pour l’occupant mélangée à une volonté de se sentir égal à lui. Un exemple emblématique en est la ville nouvelle de Rawabi, au nord de Ramallah, première ville planifiée par l’Autorité Palestinienne et dont l’architecture, l’urbanisme mais aussi la conception rappellent de manière troublante la configuration des colonies israéliennes.

Ces nouveaux modes de vie influencés à la fois par la mondialisation, le néolibéralisme et l’occupation ne touchent pas que les classes supérieures. Les marchés de Cisjordanie sont inondés de produits israéliens, qui font même concurrence aux productions locales. Pour des raisons économiques ou pour disposer d’un choix plus large de produits, il n’est pas rare que des Palestiniens succombent à l’attrait des supermarchés israéliens Rami Lévy, implantés dans les colonies voisines. Et cela quand, par ailleurs, les producteurs palestiniens doivent se résoudre à écouler leurs marchandises à bas prix et que l’économie palestinienne reste fortement dépendante des financements internationaux et des échanges avec Israël.

L’agriculture au pied du mur

Alors que le mouvement de boycott et désinvestissement (BDS) prend de l’ampleur en Palestine et à l’échelle mondiale, et ce tout particulièrement depuis la dernière agression israélienne à Gaza cet été, la construction d’une économie palestinienne indépendante, fondée sur une production et une consommation locales, peine à exister. Autour de la table du débat « Produire et consommer aujourd’hui », deux producteurs locaux, Fayez Al-Thaneeb et Mourad Al-Khouffash2 affichent pourtant leur détermination à développer une production locale et biologique en Palestine, en dépit des contraintes qui leur sont imposées et de la difficulté à vivre de leur travail. Pour soutenir les agriculteurs et sensibiliser les consommateurs, l’association Sharaka, en lien avec le mouvement BDS, organise quant à elle des ventes régulières de productions baladieh (locales, autochtones) en Cisjordanie.

Priorité à l’économie locale

Clôturant trois jours de discussions, Anne-Cécile Ragot, consultante et créatrice de l’association There Are Other Alternatives (Taoa) intervient sur la nécessité de penser l’économie locale comme une priorité, non seulement dans le domaine agricole mais dans tous les secteurs de production. Sa présentation ouvre de nouvelles perspectives, encourageant à la création en Palestine d’une monnaie locale complémentaire3 qui permettrait d’orienter les flux de monnaie vers des productions locales pour une meilleure emprise sur le développement économique territorial, comme ce fut le cas notamment en Amérique du Sud (en France avec les systèmes d’échanges locaux, les SEL).

Dans la ville marchande de Naplouse et le village de Sebastia — modèle de développement local basé sur le tourisme rural —, ces trois journées d’échange auront laissé avant tout l’espoir de voir émerger de nouveaux partenariats et initiatives, fortement encouragés par la réussite de cette rencontre entre le monde de la recherche et la société civile. À présent, comme l’ont conclu plusieurs participants, « à chacun de faire sa part ».

1Ligne de train qui reliait Damas à Médine, à travers le Hedjaz, région du nord-ouest de l’Arabie saoudite. Sa construction, sur l’ordre du sultan ottoman Abdul Hamid II, a été achevée en 1908. Une partie fut détruite durant la première guerre mondiale et jamais reconstruite.

2Fayez Al-Thaneeb est agriculteur et activiste, il a développé depuis 1984 une agriculture biologique dans sa ferme à Tulkarem, située à quelques pas du Mur et d’une usine israélienne de produits chimiques. Mourad Al-Khouffash a créé en 2006 la première ferme de permaculture en Palestine, dans le village de Marda. Il reçoit chaque année des agriculteurs, étudiants et volontaires du monde entier, afin de leur enseigner les pratiques de ce mode d’agriculture durable reposant sur l’écologie et le respect de la biodiversité.

3Une monnaie locale complémentaire est en usage dans une communauté et/ou un territoire limité. Elle n’est pas reconnue au niveau national, ni par le système financier en général, mais souvent acceptée dans les échanges économiques locaux.

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