Après « Intervention divine » en 2002, chronique d’un amour en Palestine au temps des checkpoints et Le temps qui reste en 2009, saga familiale sur le malheur des Palestiniens en Israël, le réalisateur Elia Suleiman poursuit avec It must be heaven une introspection aussi personnelle que politique sur son identité. Accentuant sa veine burlesque, il fait de la recherche de paradis auquel le titre fait référence une comédie quasi mutique, nourrie de micro-observations sur les gens et les choses qui l’entourent et qu’il croise, dans une sorte de solitude du Palestinien en marcheur de fond.
Ce nouveau film vient du cœur d’un homme abandonné dans un monde qui a délaissé la Palestine, rangée au rayon des casse-têtes insolubles. De Nazareth, la ville natale des espoirs douchés, à Paris, la capitale des illusions perdues et enfin New York la métropole des rêves brisés, Suleiman trimballe dans le film sa carcasse un peu voutée, sa tête grisonnante, marche à pas lents, presque ceux d’un vieillard, alors qu’il n’a pas encore 60 ans.
Comme dans ses précédents films, l’identité palestinienne est au cœur du propos. Mais il lui donne un tour plus contemporain, s’interroge sur la question très sérieuse de la mondialisation de la sécurité. À Nazareth comme à Paris et à New York, les flics sont, au-delà du personnage principal, le fil rouge de ce film. Faussement débonnaires dans la ville majoritairement chrétienne de Galilée ; arpentant une capitale française déserte un jour de 14 juillet, à pied, en roll’in ou à vélo ; pourchassant un ange qui réclame « Free Palestine » dans Central Park, ils sont ridiculisés à l’écran, c’est le principe du film comique.
La domination de l’ordre policier
Mais leur omniprésence signifie aussi que le monde est sous contrôle, comme la Palestine est sous occupation. À New York, les gens qui font leurs courses au supermarché sont lourdement armés, comme les colons à Jérusalem-Est et dans les territoires palestiniens occupés. Le double de cinéma de Suleiman en amuse le spectateur. Mais au sortir de la projection, l’angoisse domine. La vision de la Palestine, à travers le scénario d’un supposé film qu’il présente à un producteur français puis à une productrice américaine, n’est plus seulement l’illustration d’un conflit local, mais une leçon mondiale. Suleiman ne laisse pas son engagement hors-champ, il ne renonce pas à sa marque de fabrique, un humour distancé qui a fait ses preuves depuis Buster Keaton, en adressant une mise en garde : l’ordre militaire et policier qui opprime les Palestiniens est en train d’arriver partout. Il le fredonne l’air de rien, mais la chanson est lourde de sens.
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