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Festival

Le festival Ciné Palestine s’engage auprès des réalisateurs

25 mai-3 juin · La 4e édition du Festival Ciné Palestine se déroule cette année du 25 mai au 3 juin, avec 28 films projetés, dont deux en avant-première nationale : The Reports on Sarah and Saleem de Muayad Alayan et What Walaa Wants de Chrissy Garland. L’objectif est une nouvelle fois de faire découvrir la diversité du cinéma palestinien au public français, en mettant en lumière la nouvelle génération de cinéastes.

L'image représente une affiche pour le "Festival Ciné-Palestine". Le fond est de couleur orange, et l'illustration en noir et blanc montre un groupe de personnes aux traits variés, portant des valises et divers objets, suggérant un thème lié au voyage ou à l'exil. Le texte indique les dates de l'événement, qui se déroule du 25 mai au 3 juin, et mentionne les lieux : Paris, Montreuil, Saint-Denis et Aubervilliers. L'ensemble évoque un événement culturel centré sur le cinéma palestinien.

Pour cette quatrième édition, fort du succès des trois précédentes, le Festival présente 28 documentaires, films de fiction et courts-métrages qui seront projetés dans ses cinémas partenaires à Paris, Montreuil, Saint-Denis et Aubervilliers. Après l’édition 2017, intitulée « Regards croisés sur 1967 », centrée sur la guerre dite « des Six Jours », la Nakba s’est rapidement imposée comme fil conducteur de cette nouvelle édition.

Ce focus s’avère d’autant plus fondamental que le 14 mai dernier, l’armée israélienne s’est livrée à un véritable massacre des manifestants de la « marche du retour » à Gaza, le jour de l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem à l’occasion du 70e anniversaire de la proclamation d’indépendance d’Israël. Le bilan officiel de 60 morts (110 morts depuis le début de la marche du retour) et de quelque 3 000 blessés par balles réelles hisse ce 14 mai 2018 au rang de la journée la plus meurtrière depuis l’opération « Bordure protectrice » de 2014.

L’actualité dans laquelle cette édition s’inscrit rappelle justement, s’il en était besoin, l’importance des images pour documenter, témoigner et résister, et le rôle que peut et doit endosser le cinéma en pareille circonstance. Dans le même temps, l’édition 2018 du festival survient également après la grand-messe cannoise qui accueillait un pavillon palestinien de représentation officielle pour la première fois depuis sa création en 1946. Emblématiques d’un interminable statu quo politique, mais aussi du rôle de la culture comme porte-voix, les évènements vont incontestablement accompagner ce quatrième volet.

Une plateforme de soutien à la création

En à peine trois ans, le FCP est devenu un rendez-vous incontournable, autant pour les cinéphiles que pour les cinéastes. Il est d’abord l’occasion de révéler les talents de cette nouvelle vague et donc de rompre avec l’image d’un cinéma palestinien uniforme et policé. À un autre niveau, le FCP réaffirme un peu plus chaque année son engagement auprès des cinéastes. En effet, si la qualité et la richesse de la création cinématographique palestinienne ne sont plus à démontrer, son industrie demeure, quant à elle, encore à construire.

Pour accompagner cette émergence, la 4e édition se dote de journées professionnelles. Elles visent à contribuer à la structuration et au renforcement de cette industrie. Les 28 et 29 mai à la Cité internationale des arts, l’Arab Fund for Arts and Culture (AFAC), MAD Solutions, FilmLab Palestine, mais aussi le Centre national du cinéma (CNC) animeront tables rondes, projections et master classes sur le diptyque production-distribution. Il y aura notamment une étude de cas des deux derniers films de la réalisatrice Annemarie Jacir When I Saw You et Wajib, tant ces longs-métrages sont emblématiques d’une coproduction internationale réussie. Sur ces deux jours, toujours dans cette idée d’anticiper « l’après », des projections sont prévues, destinées aux exploitants parisiens, distributeurs et vendeurs internationaux.

Dès sa première édition, le FCP a toujours eu vocation à décloisonner la scène arabe alternative, mais aussi à créer des ponts entre les artistes. Et ce, pas uniquement pour le cinéma. Pour la deuxième année consécutive, l’affiche a été réalisée par l’artiste de rue et graphiste algérien Walid Bouchouchi. Sur un fond orange, des personnages en noir et blanc marchent, pour signifier à la fois l’exil, mais aussi le retour.

En optant pour une iconographie hautement symbolique, poétique et moderne, l’équipe du festival rappelle que si parler de la Nakba implique de revenir sur le passé, il s’agit surtout d’évoquer le présent. « La Nakba en tant que nettoyage ethnique se poursuit sur l’ensemble de la Palestine mandataire sous différentes formes », rappelle la co-coordinatrice Samia Labidi. Dans le même esprit, l’équipe avait fait appel au fleuron de la scène musicale arabe pour le concert de soutien au festival le 20 avril dernier. Le rappeur palestinien Osloob, la flutiste franco-syrienne Naïssam Jalal, le chanteur libanais Bachar Mar-Khalifé, le chanteur syrien Jundi Majhul, Makkouk Disquaire Club ou encore le rappeur libanais El Rass avaient alors tous répondu présent.

Toutes ces initiatives nécessitent des fonds. S’il existe beaucoup de festivals de cinéma palestinien dans le monde, le FCP se distingue par sa volonté de créer des interactions à l’issue des projections, en invitant le plus grand nombre possible de réalisateurs. Pour l’édition 2018, il y aura notamment deux master classes en présence des réalisateurs, consacrées à l’œuvre de Maï Masri et au réalisateur Kamal Aljafari. Chaque année, « c’est un pari, explique la co-coordinatrice Samia Labadi, la plupart d’entre eux sont basés à Ramallah. Pour venir en France, ils doivent traverser le pont Allenby, pour ensuite rejoindre l’aéroport d’Aman en Jordanie. C’est donc plus onéreux à prendre en charge ». Une campagne de crowdfunding a d’ailleurs été lancée. Elle vise notamment à couvrir les frais liés aux voyages, visas et hébergements des artistes.

Des documentaires pour témoigner

Que peut le cinéma ? Telle est la question qui anime cinéastes, cinéphiles et chercheurs lorsqu’il s’agit du lien entre septième art et territoires en conflit. Un questionnement d’autant plus pertinent dans le cas de la Palestine. En effet, en matière de représentation visuelle, la Nakba a entraîné la disparition médiatique des Palestiniens pour au moins une vingtaine d’années, jusqu’à l’émergence de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), créée en 1964.

La programmation annonce neuf films consacrés à cette date charnière : les docu-fictions We Began by Measuring Distance de Basma Alsharif et Past Tense Continuous de Dima Hourani, les documentaires Restored Pictures de Mahassen Nasser-Eldin, Ma’loul fête sa destruction de Michel Khleifi, Recollection puis The Roof de Kamal Aljafari ou encore la fiction Les Dupes de Tawfiq Saleh.

Il n’en demeure pas moins que la totalité des films présentés entre en résonance avec cet événement fondateur de l’histoire palestinienne. Comme si la catastrophe de 1948 avait préconditionné la génération de cinéastes qui a émergé au cours des années 20001.

À noter également que le documentaire occupe une place prépondérante dans la programmation. S’il y a, aujourd’hui encore, moins de films de fiction dans le cinéma palestinien, c’est bien sûr à cause du coût, des facilités de tournage qu’apporte au documentaire l’utilisation de la caméra numérique. Mais c’est aussi et surtout parce que l’urgence politique est de témoigner2.

Un cinéma documentaire prédominant donc, et, à travers lui, une multitude de langages qui s’affirment. Des grands thèmes se dessinent, comme celui des frontières avec Route 181, Fragments d’un voyage en Palestine-Israël d’Eyal Sivan et Michel Khleifi ou encore Les Dupes. Elles sont omniprésentes dans le nouveau cinéma palestinien, qu’elles soient internes, comme pour le passage de Ramallah, Jérusalem-Est, ou externes d’un pays à l’autre3 dans We began by Measuring Distance, A Drowning Man de Mahdi Fleifel, Rupture de Yassmina Karajah. Mais aussi dans Your Father was 100 years old, and so was the Nakba de Razan Alsalah dans lequel Oum Amin, une grand-mère, retourne virtuellement dans sa ville natale Haïfa au moyen de Google Map Street View — son seul recours pour revoir la Palestine.

La programmation met également en évidence la question des réfugiés et de l’externalisation des frontières. « La Palestine est le camp et le camp un morceau de Palestine », affirme l’un des personnages du documentaire Les Chebabs de Yarmouk. Le Festival rend d’ailleurs un hommage à son réalisateur, Axel Salvatori-Sinz, récemment disparu, en projetant son court-métrage Cher Hassan. Alors qu’il circule dans Paris, des images du camp palestinien de Yarmouk lui reviennent en mémoire. Il s’adresse à son ami Hassan, torturé à mort par le régime syrien. Ce documentaire fait écho à 194. Nous enfants du camp, dans lequel le réalisateur Samer Salameh relate son quotidien et celui de ses amis activistes depuis le camp de Yarmouk, alors qu’il est contraint de rejoindre l’Armée de libération de la Palestine un mois avant le soulèvement syrien. Les Enfants de Chatila de Maï Masri donne, quant à lui, la parole aux enfants réfugiés de Beyrouth.

Les archives pour faire corps

L’archivage est l’un des autres thèmes de prédilection, notable dans cette 4e édition. La création cinématographique palestinienne entretient en effet un rapport particulier avec celle-ci. « En quittant Beyrouth, assiégée par l’armée israélienne en 1982, L’OLP perd l’ensemble de ses archives audiovisuelles. Elles sont probablement détruites ou confisquées par les occupants »,écrit l’historienne Stéphanie Latte Abdallah. Si plus tard certains films ont été retrouvés, cette rupture avec le patrimoine audiovisuel explique sans doute la place centrale que l’archive occupe aujourd’hui. Comment la créer, la rejouer ou, au contraire, la réinventer ? Les documentaires Recollection de Kamal Aljafari, Past Tense Continuous de Dima Hourani, Restored Pictures de Mahasen Nasser-Eldin ou encore Emwas, Restoring Memories de Dima Abou Ghoush semblent se saisir de cette question. Sur les bobines de films américains et israéliens tournés dans la ville de Jaffa entre les années 1960 et 1990, le réalisateur Kamal Aljafari efface les personnages, laissant ainsi la place au champ des possibles. Dans Restored Pictures, Mahasen Nasser-Eldin dresse le portrait de Karimeh Abbud, née à Bethléem en 1894, première femme photographe professionnelle de Palestine.

La collection d’archives écrites et visuelles informe sur la Palestine avant la Nakba, comme le trait d’union indispensable à la construction d’une narration collective. Avec le docu-fiction Past Tense Continuous, Dima Hourani se réapproprie les images imprimées dans la mémoire collective pour mettre en parallèle faits historiques et faits d’actualité.

La guerre, la mémoire, l’enfermement

Depuis la Nakba, bien d’autres conflits ont continué à bouleverser, façonner et inspirer les cinéastes. Maï Masri, qui fait l’objet d’une rétrospective, questionne les conséquences de la guerre sur les civils. D’abord à Naplouse au plus fort de la première Intifada où elle raconte la vie d’enfants dans une ville assiégée (Les Enfants du Feu). Puis au Liban, au lendemain de la guerre civile qui a bouleversé le pays pendant 16 ans, où elle évoque la reconstruction à travers le portrait de femmes dans Rêves Suspendus. Plus récent, Ambulances de Mohamed Jabaly est le récit de la dernière guerre de Gaza en juillet 2014. Sa narration subjective, caméra à l’épaule, immerge le spectateur dans la réalité brutale d’un conflit sanglant auprès d’une équipe d’ambulanciers.

D’autres thématiques émergent dans cette programmation. La musique, par exemple, apparaît comme bien plus qu’un simple exutoire. Elle devient le porte-voix des communautés marginalisées dans From Beneath the Earth de Sami Alalul. Avec A Magical Substance Flows Into, Jumana Manna part sur les traces de l’énigmatique ethnomusicologue, le docteur Robert Lachmann. Elle dresse un état des lieux de la musique traditionnelle palestinienne à la croisée des influences musicales juives, kurdes, marocaines, yéménites, bédouines et chrétiennes coptes. La broderie joue aussi le rôle de lien mémoriel et narratif dans La Palestine de fil en aiguille. Carol Mansour et Muna Khalidi vont à la rencontre de femmes de milieux différents. À travers le récit de leur crainte de voir l’art de la broderie disparaître et de leurs souvenirs, l’individuel s’entretisse au collectif.

Enfin, le corps comme allégorie des frontières entre l’espace privé et l’espace public s’impose, très prégnant cette année, et ce dès l’ouverture du festival avec The Reports on Sarah and Saleem de Muayad Alayan. Cette fiction met en scène la liaison extraconjugale entre un Palestinien et une Israélienne. La découverte de leurs rendez-vous intimes et clandestins plonge les protagonistes dans l’enfer d’une enquête à dimension politique. Toomas Jarvet porte à l’écran l’histoire de Maher dans Rough stage, ancien prisonnier politique et artiste dans l’âme, qui affronte de nombreux obstacles pour monter son spectacle de danse contemporaine. Le corps est aussi pris au piège d’un checkpoint dans le film d’animation de Samira Badran Memory of the Land alors qu’il véhicule espoir et sensualité dans le court-métrage Bonboné de Rakan Mayasi.

Cette année, pour la première fois dans l’histoire du Festival de Cannes, un pavillon palestinien a rejoint le village international de la Croisette. Impulsée par Mohanad Yaqubi, réalisateur producteur (Idiom Films), Rashid Abdelhamid producteur (Made in Palestine Project) et soutenue par le ministère de la culture, cette présence représente un moment historique pour une industrie en quête de structuration. À cette occasion, le Palestine Film Institute (PFI) a été créé. Son ambition sera d’abord d’établir un fonds de soutien au cinéma dans les années à venir. Il permettra également d’impulser des initiatives de formations et de renforcer les accords de production internationaux. En somme, le PFI veillera à une meilleure articulation de ce cinéma, lequel repose pour l’instant essentiellement sur des initiatives privées, associatives ou des coproductions.

Le FCP était, lui aussi, sur place. L’équipe a saisi cette opportunité pour rassembler neuf autres festivals étrangers dédiés au cinéma palestinien. Les festivals de Boston, Washington, Haïfa, Toronto, Bristol, Doha, Bruxelles, Venise ou encore Cagliari étaient donc représentés à leurs côtés au pavillon. Par ailleurs, « nous avons eu énormément d’échanges avec des réalisateurs, des producteurs internationaux et des programmateurs. Des projets sont nés sur place. Le fait de pouvoir se rencontrer fait avancer les choses », s’enthousiasme Samia Labidi. Cette initiative réaffirme le fort désir du FCP de soutenir le cinéma palestinien dans toutes ses étapes, du développement à la production et jusqu’à la diffusion.

L’autre versant de l’histoire

Ce pavillon marque donc une nouvelle étape en faveur d’une reconnaissance institutionnelle pour ce cinéma singulier, qualifié d’« exilic cinema »4 qui avait déjà su séduire, à maintes reprises, les jurys successifs à Cannes. Dès 1987, Michel Khleifi avait obtenu le Prix de la critique internationale pour son film Noce en Galilée. En 2002, Intervention divine d’Elia Suleiman avait obtenu le Prix du jury, Dégradé des frères Abou Nasser avait été sélectionné durant l’édition 2015 de la Semaine de la critique. Cette année, pas de film palestinien en compétition, mais la réalisatrice Annemarie Jacir était membre du jury d’Un certain regard. Alors que le festival a été rattrapé par l’actualité, la réalisatrice a invité d’autres membres du jury tels que Virginie Ledoyen et Benicio del Toro à la rejoindre lors d’un rassemblement et de la minute de silence en soutien à la Palestine. Cette mobilisation a été l’un des temps forts qui confirme encore une fois le rôle de Cannes sur la scène internationale.

Bien plus qu’un divertissement, le cinéma occupe une place majeure dans l’écriture et la compréhension de l’histoire. « Il y a une puissance de frappe du cinéma israélien en termes de création artistique, mais aussi une présence institutionnelle très forte. Pour le moment, ils détiennent les clés de narration et de représentation de ce qui se passe en Israël-Palestine » rappelle la co-coordinatrice. Les efforts pour implémenter une industrie du cinéma palestinien ne visent pas seulement à promouvoir une production riche et vivante ; ils sont aussi une contrepartie nécessaire à ce narratif unilatéral.

1«  La seconde Intifada a vu naître une effervescence créatrice sans précédent parmi les artistes palestiniens. Dans le domaine du cinéma, ce nouvel élan s’est manifesté par les débuts d’un grand nombre de jeunes cinéastes derrière la caméra, et la multiplication de tournages de films dans les territoires palestiniens et en Israël  », écrit Laure Fourest dans «  Un cinéma palestinien ‟en mal d’archive” Ateliers d’anthropologie, 36 | 2012.

2Dimitri Nicolaïdis et al., «  Palestiniens, Israéliens : que peut le cinéma  ? Entretien avec Janine Euvrard  », Mouvements 2003/3 (no27-28)  ; p. 90-93.

3Sabine Salhab, «  La frontière dans les cinémas du Moyen-Orient : Cristallisation et catharsis  », Les Cahiers de l’Orient 2009/2 (N° 94)  ; p. 145-154.

4Hamid Naficy, «  Palestinian Exilic Cinema and Film Letters  », dans Dreams of a Nation : On Palestinian Cinema, New York, Verso. 2006  ; p. 90-104.

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