Dans le in et le out du nom du festival, in renvoie aux Palestiniens « de l’intérieur », de la Palestine historique, et out à ceux de la diaspora. Manière de rappeler notamment que la mobilité n’est pas considérée comme un droit fondamental pour les Palestiniens du in, rappelle Amina Hamshari, la directrice de l’Institut culturel franco-palestinien (ICFP), organisateur de l’initiative. Elle cite les déboires administratifs de plusieurs artistes à l’heure de rejoindre la France : « Dans les faits, il est relativement plus simple de parcourir 3 330 kilomètres d’un continent à l’autre, plutôt que de franchir les 14 kilomètres qui séparent Jérusalem de Ramallah. Alors le festival est aussi là pour resserrer les liens d’une société fragmentée ».
Palest’In & Out a pour objectif, depuis sa première édition, de révéler « la création palestinienne dans ce qu’elle a de plus contemporain dans ses formes d’expression, dans les sujets qu’elle aborde. C’est refléter le récit culturel actuel dans ce qu’il a de plus créatif, de plus sincère, de plus émouvant. » Après des décennies de guerre et d’occupation, elle n’est en aucun cas réductible à la céramique, la broderie ou à des clichés folkloriques. Et ce serait tout aussi erroné que de la croire moribonde, étouffée par des conditions matérielles difficiles. La richesse et de la diversité de ses propositions artistiques s’était déjà laissée voir, par exemple lors de l’exposition « Palestine : la création dans tous ses états » en 2009 à l’Institut du monde arabe (IMA), qui avait rassemblé dix-neuf artistes vivant et travaillant dans les territoires palestiniens et dans différents pays de la diaspora. En 2013, la 53e édition de la Biennale de Venise avait accueilli pour la première fois un pavillon palestinien, avec une installation intitulée « Otherwise Occupied ».
Plus récemment, l’exposition « La Palestine à l’IMA », clôturée en mars de cette année, a confirmé pour le public parisien la vitalité de cette création palestinienne en présentant les œuvres de Shadi Alzaqzouq, Khaled Jarrar, Larissa Sansour et Bachir Makhoul. À cette occasion, on a pu s’étonner de la capacité de distanciation des artistes, souvent ironiques, sur la situation actuelle en Palestine. « Notre discours culturel doit être cohérent avec notre temps. Nous devons saisir les opportunités d’idées novatrices, des nouveaux modes d’expressions contemporains qui coïncident avec notre société, avec sa réalité, pour qu’il projette un discours plus cohérent, plus humain de notre société », estime Walid Abdel Salam, l’ancien directeur général des arts au ministère de la culture en Palestine dans la vidéo de présentation du festival.
La Palestine entre fiction, poésie et humour
On comprend aisément la nécessité absolue pour la Palestine de faire connaître ses artistes sur la scène internationale, de leur permettre de rencontrer des directeurs de festivals, des galeristes, de les aider à exister artistiquement et ainsi de contribuer à véhiculer un visage plus « humain » de leur pays. C’est peut-être pour cette raison qu’on ne retrouve pas, dans ces propositions d’artistes, d’images de guerre, de violence, de souffrance, de destruction, toute la réalité d’un conflit telle qu’il nous apparaît via la presse et les écrans de télévision. Ces images-là, et les discours qui les accompagnent, se ressemblent, s’amoncellent année après année, de décennie en décennie et n’apportent rien à la connaissance de la société palestinienne.
Bien sûr — comment pourrait-il en être autrement ? – l’art contemporain palestinien est habité par la disparition possible/impossible d’une société, d’une culture, d’un peuple et de son territoire, hanté par le morcellement, l’enfermement, les tragédies intimes, les checkpoints, l’exil, pourtant les artistes recherchent une expression autre que documentaire. Aucune trace de propagande, aucun appel à la compassion : ils transforment, transcendent, disent autrement, singulièrement, usent de la fiction, de l’allégorie, de l’humour. Photographes, vidéastes, danseurs, cinéastes, plasticiens musiciens, performeurs prétendent à une reconnaissance basée non pas sur leur identité de Palestiniens, mais sur leur seule démarche artistique. La grande actrice palestinienne israélienne Hiam Abbass, à qui le festival rend cette année hommage, interrogée sur sa participation en tant que membre du jury, commente : « j’ai découvert une nouvelle expression sur des thématiques différentes. Le travail des deux lauréats en courts-métrages, Mahmoud Abou Ghalwa et Amer Nasser m’a tout particulièrement touchée. Sans aucun équipement, leur film Bateau de papier est non seulement techniquement très abouti, mais en plus, il est d’une poésie absolument détonante, par rapport au contexte de Gaza dans lequel ils évoluent. »
Existe-t-il une spécificité de la création contemporaine palestinienne ? Il en est au moins une, selon Rula Halawani, la fondatrice du département de photographie de l’université de Birzeit et également jurée du festival : « La question de faire de l’art politique ne se pose pas dans le contexte palestinien. Notre existence est entièrement et à tous les niveaux définie par les circonstances politiques. » Et elle ajoute : « Le monde a l’image du peuple palestinien qui résiste, cependant il a aussi des ambitions artistiques et veut profiter de la vie ».
Pendant l’occupation, la création continue
Mais comment peut-on se former et vivre en tant qu’artiste en Palestine ? Quelle place peut bien avoir la création artistique dans le contexte de l’occupation, y compris en termes de financement et de structures éducatives et culturelles ? Amina Hamshari, directrice de l’ICFP, répond : « Le budget de la culture correspond à 0,03 % du budget total de l’Autorité palestinienne. Ainsi, c’est la société civile qui porte littéralement en Palestine le mouvement artistique contemporain. Les théâtres, les compagnies, les associations culturelles diverses, les galeries bénéficient souvent de subventions de l’étranger et sont les principaux espaces où tous les Palestiniens se croisent et se forment aux pratiques artistiques. Ce sont des lieux où se perpétue la démocratie, se forgent les changements sociaux, malgré l’humiliation de l’occupation. Les ponts avec la recherche sont fondamentaux dans cet esprit d’accompagnement des artistes dans leurs démarches artistiques car l’enfermement physique rétrécit les cerveaux. Situé au cœur de l’université de Birzeit, le Musée universitaire fondé par Vera Tamari, grande dame de la culture palestinienne, permet un dialogue entre les disciplines universitaires et les artistes. C’est indispensable pour nourrir leur vision de la société et favoriser les expressions créatrices innovantes. L’exposition historique « Unlike other springs », qui vient de s’achever a rassemblé les plus grands plasticiens palestiniens dans cet “empire” universitaire de Birzeit qui accueille énormément d’étudiants. Cette manifestation a révélé la nécessité de s’ouvrir à des contenus qui vont au-delà de la mémoire collective palestinienne et des formats traditionnels. »
Certains des artistes de renom exposés ont participé au jury de Palest’In & Out 2016. Ils ont un besoin viscéral de transmettre leur expérience et d’être en lien avec l’art contemporain mondial, conclut-elle.
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