« Les princes disparus d’Arabie saoudite »

Un documentaire de la BBC · Un documentaire de la BBC diffusé le 14 août offre une vision crue de l’action des services secrets saoudiens contre des membres de la famille royale ayant exprimé des divergences.

De gauche à droite : Turki Ben Bandar Al-Saoud, Sultan Ben Turki Al-Saoud et Saoud Ben Saif Al-Nasr.
bbc.co.uk

Depuis son remplacement comme prince héritier d’Arabie saoudite le 21 juin 2017, le prince Mohammed Ben Nayef n’a plus reparu en public. Cet homme, naguère encore chef des forces de sécurité du royaume et promis à la couronne, serait en résidence surveillée. La rumeur de sa mort court également sur les réseaux sociaux.

Il n’est que le dernier en date et le plus en vue des « princes disparus d’Arabie saoudite » (Saudi Arabia’s Missing Princes) auxquels la BBC vient de consacrer un documentaire stupéfiant, diffusé en anglais et sur son service arabe. Cette version moderne du cachot qui aurait davantage sa place dans un épisode de la série Les Tudor a concerné avant lui plusieurs membres de moindre importance de la maison des Saoud qui avaient en commun de s’être exprimés en public contre le régime saoudien.

Saudi Arabia's missing princes - BBC Newsnight - YouTube

Khaled Ben Farhan Al-Saoud, dont la lignée est tombée en disgrâce il y a déjà longtemps, a commencé à remettre en question le système politique imposé par sa famille depuis le début du XXe siècle. Craignant pour sa sécurité, il s’est réfugié en 2013 en Allemagne où il a demandé l’asile politique. « Nous étions quatre membres de la famille en Europe. Nous avons critiqué la famille et le régime. Trois d’entre nous ont été kidnappés », a-t-il confié à la BBC.

C’est par exemple le cas de Sultan Ben Turki Al-Saoud, petit-fils du fondateur du royaume. Enlevé une première fois à Genève et placé en résidence surveillée, il est relâché pour raisons de santé et part se faire soigner aux États-Unis. Aussitôt, il porte plainte contre plusieurs responsables saoudiens. En janvier 2016, il s’apprête à se rendre en Égypte à bord d’un appareil mis à sa disposition par l’ambassade d’Arabie saoudite à Paris. Mais au lieu d’atterrir au Caire, l’avion se pose à Riyad où il est encerclé par des hommes armés. Les assistants du prince, européens et américains, sont confinés pendant trois jours avant d’être autorisés à quitter le pays.

Turki Ben Bandar Al-Saoud, pour sa part, est un ancien haut responsable des forces de sécurité du pays. Une querelle d’héritage se termine mal pour lui et il atterrit en prison. À sa libération, il part s’installer à Paris. À partir de juin 2012, il commence à poster sur YouTube des vidéos demandant des réformes politiques en Arabie saoudite. Il est arrêté au Maroc alors qu’il s’apprêtait à regagner Paris et extradé vers l’Arabie saoudite avec l’accord d’un tribunal marocain.

Quant à Saoud Ben Saif Al-Nasr, c’est un prince de rang modeste parmi les quelque dix mille princes saoudiens. On le dit playboy, aimant les casinos et les hôtels de luxe. Mais pour une raison ou une autre, à partir de 2012, il se met à tweeter contre la monarchie et en 2015, il soutient publiquement un appel à renverser le régime. Peu après, il disparaît. Il aurait été attiré dans un piège des services saoudiens qui, sous la couverture d’une société italo-russe, lui auraient proposé une commission pour pouvoir installer une succursale dans le royaume. L’avion de la compagnie venu le chercher à Milan ne s’est pas posé à Rome mais à Riyad et depuis, on n’a plus de nouvelles du jeune prince.

Comme l’explique Khaled Ben Farhan Al-Saoud dans le documentaire de la BBC, toutes les décisions concernant les membres de la famille Al-Saoud sont prises au plus haut niveau, celui du roi. Dans un premier temps, lorsque des signes de dissidence sont détectés, on empêche l’intéressé de voyager, ses revenus sont réduits, et, dans les cas les plus graves, il peut être placé en résidence surveillée, voire en prison. Cela en dit long sur la dépendance des membres de la famille royale, incapables pour la plupart d’avoir une activité rémunératrice en dehors du système d’allocations interne.

Ce que montre l’exemple d’au moins deux des quatre princes évoqués dans ce documentaire, c’est qu’à l’origine de la dissidence, on trouve rarement un désaccord politique comme ce fut le cas du prince Talal Ben Abdelaziz Al-Saoud1 à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Il s’agit de façon plus prosaïque d’une réaction de dépit suite à une frustration d’ordre financier, engendrant en représailles une prise de position politique hostile. On reste néanmoins confondu devant la naïveté de plusieurs de ces princes qui, après avoir publiquement critiqué le régime, voyagent sans prendre de précaution particulière, voire empruntent un avion mis à leur disposition par le régime honni.

Enfin, les exemples présentés par la BBC montrent que cette façon de faire n’a pas débuté avec le règne du roi Salman, marqué par une approche beaucoup plus brutale que celle de ses prédécesseurs, mais avait commencé bien avant, sous les règnes de Fahd et d’Abdallah.

1Mathilde Rouxel, « Le mouvement des ‟Princes rouges” en Arabie saoudite (1958-1964) », Les clés du Moyen-Orient, 2 août 2017.

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