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Essai

Militants politiques en Jordanie

La Jordanie, monarchie constitutionnelle, mais plus encore régime sécuritaire, fait peu de place à l’opposition et encore moins à ses militants, islamistes, nationalistes ou communistes. Un livre récent de Pénélope Larzillière retrace les mille et un tracas que rencontre le militantisme en terre hostile et comment il y fait face grâce à son idéalisme et à son dévouement.

L'image montre un groupe de policiers ou de soldats, avec des uniformes distinctifs, se tenant les mains. Au centre, un homme en majorette avec un béret se distingue. Derrière eux, des membres des forces de l'ordre portent des casques et des équipements de protection. L'environnement semble urbain, avec des bâtiments en arrière-plan. L'atmosphère peut suggérer une situation de tension ou de manifestation.
Police et armée pendant une manifestation à Amman.
Charles Roffey, 20 janvier 2012.

Pénélope Larzillière, sociologue et spécialiste du Proche-Orient, a étudié l’engagement politique et syndical en Jordanie. Un choix doublement original : d’une part le militantisme est souvent négligé dans les études savantes au profit de « la rue » ou des militaires ; de l’autre le dernier royaume hachémite, resté à l’écart du Printemps arabe, est de ce fait marginalisé par l’actualité. C’est pourtant un laboratoire de choix ; après une longue phase d’autoritarisme sans complexe, une relative et récente ouverture bornée par un cadre légal coercitif autorise — au moins sur le papier — l’expression et la participation politiques. Les services de sécurité restent omniprésents et la répression, bien que moins systématique, perdure.

Pour autant, l’opposition existe et des voies alternatives de contestation ont émergé. Le vécu des opposants éclaire alors les conditions de cet engagement politique face à un régime répressif. Une enquête de terrain de plusieurs années a permis de reconstituer les trajectoires de soixante militants de longue durée issus des différentes tendances : islamistes, nationalistes et communistes. Hormis les islamistes qui ont toujours été autorisés, bien que parfois réprimés par la monarchie jordanienne, les opposants sont passés d’un militantisme clandestin à une scène publique très contrôlée...

Comment devient-on militant ? Y-a-t-il un parcours type ? Quel est le sens donné à l’engagement selon qu’on appartient à telle ou telle sensibilité ? Comment s’effectuent les premières adhésions ?

L’orientation vers tel ou tel courant idéologique est liée aux lieux de socialisation secondaire qui sont souvent les premiers lieux de socialisation militante. On trouve peu de cas ici de familles engagées sur plusieurs générations, mais parfois l’influence d’un frère aîné est soulignée. L’université et le lycée sont alors des passages essentiels ou commencent tous les engagements. Les « passeurs », professeurs ou camarades, y jouent un rôle important, de même que les hégémonies locales d’un mouvement ou d’un autre. Si une orientation islamiste dans une université de gauche peut surprendre, on s’aperçoit vite qu’elle s’est effectuée plus tôt, dans un lycée à majorité islamiste. Dans tel village, le centre des jeunes était majoritairement communiste et les jeunes qui y sont passés le sont devenus. Un animateur qui fournit des livres et prend le temps de longues discussions politiques y sert de passeur.

Reste évidemment le défi de la durée. Quelle est le temps de l’engagement ? Si initialement il est fonction en partie des hasards de la vie, que se passe-t-il ensuite ?

Une fois l’idéologie choisie, la plupart des militants s’y tiennent. Ce sont les sympathisants beaucoup plus que les militants qui circulent ; pour ces derniers l’impact de la socialisation militante est très fort. D’autre part, pour les islamistes et les communistes — beaucoup moins pour les nationalistes — la référence idéologique ne concerne pas seulement un positionnement politique mais devient un véritable mode de vie, souvent mis en pratique dans une forme d’entre-soi.

Se posent ensuite à tout militant, dans les phases ultérieures de son engagement, le choix de ce que l’auteur appelle drôlement « les arènes du militantisme ». Elles ne sont pas nombreuses, si même elles existent en raison de l’interdiction, de droit ou de fait, des partis politiques ou de l’absence d’élections honnêtes.

Dans ce contexte, l’enjeu pour les militants de l’opposition est bien plus la création d’arènes alternatives de mobilisation que la participation à un jeu politique sévèrement limité, une participation qui apparaît plutôt comme une compromission. Les syndicats, les ONG et les associations sont des débouchés naturels à condition de savoir se renouveler, de recourir à une expertise et d’intervenir sur différentes scènes. Mais là, la différence est grande entre les Frères musulmans fort d’une hégémonie sociétale incontestée même par la monarchie et les communistes ou les nationalistes dévastés par l’échec de leur orientation.

La relative marginalité sociale des communistes s’en trouve renforcée alors qu’ils perdent leur appui international après la chute de l’URSS. Privés de soutien social, fortement réprimés, leur entre-soi communiste dissous alors que querelles et divisions s’accroissent à l’intérieur du PC jordanien, les désaffections et les remises en cause se multiplient…

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