Affirmations LGBTQ+ dans le monde arabe

« Mr Gay Syria », un concours pour la liberté

Le documentaire de la réalisatrice turque Ayse Toprak Un visa pour la liberté, Mr Gay Syria raconte la quête de reconnaissance de réfugiés homosexuels syriens à Istanbul. L’un d’eux se présente au concours « Mister Gay Univers », mais le monde qu’il cherche à conquérir avec ses amis est d’abord celui d’une vie sans mensonges ni humiliations.

artqueerhabibi/Instagram

Hussein, 24 ans, est garçon coiffeur dans un salon d’Istanbul, spécialiste de ces coupes spectaculaires qu’affectionne la jeunesse turque, transformant l’art capillaire en langage social. Volumes démesurés aux pointes ciselées façon manga, parfois décolorées, et toujours nuques et tempes rasées de près en savants dégradés. Rien n’arrête Hussein et sa clientèle qui rient de leurs audaces, comme si se coiffer autrement, dans un pays dirigé par le très rigide islamo-conservateur Recep Tayyip Erdoğan, était en soi une forme de rébellion.

Ce jeune homme au visage doux et au regard souvent triste arbore une coiffure tout aussi démente que celle de sa clientèle. Hussein est un réfugié syrien entré illégalement en Turquie alors que la guerre ravage son pays. Son statut social est d’autant plus fragile que sans papiers, il est aussi homosexuel. Or la situation des LGBTQ+ sous le règne d’Erdoğan est loin d’être brillante. Dans une scène forte du documentaire Un visa pour la liberté, Mr Gay Syria dont il est le personnage principal, on voit la police charger sans ménagement les participants à une manifestation des homosexuels pour défendre leurs droits. Des images de flics de New York traquant d’autres gays et lesbiennes dans le quartier de Christopher Street viennent à l’esprit. C’était en 1969, le grand départ de la révolte des homosexuels dans le monde, dont le parcours n’est pas encore achevé.

Tortures, lapidations et meurtres en Syrie

Mais il est tout de même plus facile d’être homosexuel à Istanbul qu’à Damas ou ailleurs en Syrie. Tourné par une réalisatrice turque, Ayse Toprak, Un visa pour la liberté, Mr Gay Syria met en scène des hommes syriens qui ne craignent pas d’apparaître à visage découvert, et montrent un grand courage. En Syrie, pays qu’ils ont fui, se réfugiant pour la plupart au Liban et en Turquie, les « relations contre nature » sont, selon l’article 520 du Code pénal de 1949, passibles de trois ans d’emprisonnement. Si jusqu’au début des années 2000 existaient quelques discrets lieux de rencontres dans les grandes villes, Damas, Alep et Homs, ils ont fermé et disparu.

Depuis le début de la guerre civile, plusieurs organisations, dont Human Rights Watch (HRW), l’Observatoire syrien des droits humains ou le Conseil des droits de l’homme des Nations unies ont rapporté des dizaines de cas de tortures, de viols, de lapidations et de meurtres d’homosexuels en Syrie, commis par les djihadistes, notamment à Raqqa, mais aussi par les forces du régime de Bachar Al-Assad à Damas. Les images d’homosexuels jetés par des combattants de l’Organisation de l’État islamique (OEI) du toit d’immeubles à Raqqa et Deir es-Zor devant la foule ont partiellement témoigné de cette terrible réalité.

Avec quelques amis dont Omar, un adorable gaillard qui met du khôl à ses yeux, Hussein habite en semaine un appartement communautaire non loin du salon où il travaille. Le week-end, il rejoint sa petite fille, sa femme et ses parents, réfugiés syriens eux aussi, dans un quartier périphérique de la ville. Ils ignorent tout de sa double vie. Hussein craint son père et plaint son épouse, et ce climat pesant donne une mélancolie très particulière au film. Tout paraît d’abord impossible, lointain, inaccessible dans ce documentaire réalisé en 2018 par Ayse Toprak, et qui n’a rien perdu de son actualité, tant l’intensité des rapports entre les personnages est puissante, croisant grands malheurs et fous rires, destins tragiques et folles révoltes. Ces réfugiés syriens, comme tant d’autres LGBTQ+ dans le monde, pratiquent une sous-culture queer, faite d’autodérision, et dans ce cas précis de courage quotidien face à l’adversité et à la précarité, mais aussi une dense et tendre amitié entre eux.

Changer le récit, changer la perception

Tout va basculer quand Hussein rencontre Mahmoud Hassino, lui aussi homosexuel originaire de Syrie, et qui est réfugié, officiellement pour sa part, à Berlin en Allemagne. Cet homme massif au regard pétillant s’occupe d’une association facilitant le droit d’asile et l’intégration des homosexuels du monde arabo-musulman en Allemagne. Mahmoud est venu à Istanbul pour convaincre Hussein et quatre autres réfugiés syriens de postuler au titre de Mister Gay Syria afin de désigner l’un d’eux pour postuler au titre de « Mister Gay Univers », dont le concours est organisé cette année-là à Malte.

Il veut avec cette participation changer le récit, changer la perception que les autres ont des homosexuels arabo-musulmans en s’imposant dans le monde de paillettes et d’artefact qu’est un concours de beauté, particulièrement ridicule dans ce cas précis. « Je veux une autre image des homosexuels syriens que celle de gens que Daech balance du toit des immeubles », dit Mahmoud. La sélection du postulant, organisée dans un étroit cabaret stambouliote, est un moment très fort du documentaire. Chacun va y aller de son show, danser ou chanter, dans une synthèse de tout ce que la culture queer et son bric-à-brac de perruques, de bijoux, de tenues outrageuses peuvent avoir de comique et d’universel. Hussein gagne la compétition avec une sorte de prière chantée à sa mère, pour qu’elle le comprenne enfin, qu’elle cesse de le juger, qu’elle ne le rejette pas.

« La chose la plus importante, c’est que les Syriens LGBT se lèvent et montrent leurs visages au monde », dit alors gravement Hussein. Il va préparer le concours Mister Gay avec toutes les étapes que ce genre d’épreuves comporte : soins du visage, séances photos, interviews à la presse internationale. Mais rien ne va se passer comme prévu. Malte, membre de l’Union européenne depuis 2004 est cette année-là le pays organisateur de Mister Gay Univers. La petite île de Méditerranée a, comme de nombreux autres pays européens, une politique restrictive à l’égard des réfugiés d’origine syrienne, et va refuser le visa d’entrée à Hussein, l’empêchant de participer à la compétition. Et la famille d’Hussein va découvrir la réalité de son homosexualité, entraînant une rupture déchirante pour le jeune homme.

L’immense qualité du documentaire d’Ayse Toprak est, dans un contexte douloureux, de nous faire partager l’intimité de ces homosexuels syriens, de donner de l’épaisseur à un combat qui peut sembler dérisoire, et même pathétique à nos yeux blasés d’Occidentaux, celui de participer à un concours de beauté gay, summum du conformisme social alors qu’il s’agit pour Hussein et Mahmoud a contrario de défier le conformisme qui les étouffe. Mais la réalisatrice montre aussi l’hypocrisie de ces mêmes Occidentaux, prompts à verser une larme sur le sort de ces maudits de la terre, mais pas prêts pour autant à les accueillir. C’est la belle leçon d’Un visa pour la liberté, Mr Gay Syria : les discriminations sont partout, et quelles que soient leurs formes, seul le combat collectif peut les faire reculer.

Depuis le tournage du film, Hussein a obtenu le statut de réfugié en France, et vit désormais à Marseille, où il a repris son métier de coiffeur.

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