La presse internationale des derniers jours a été prudente mais résolument optimiste. Presque pas un titre qui mette en doute l’issue positive des réunions de Genève sur la question du nucléaire iranien (7-9 novembre 2013). Il n’est pas exagéré de parler d’une certaine euphorie médiatique.
Pour les médias, tout concourait à laisser croire que les relations tumultueuses entre l’Iran et les pays occidentaux allaient connaître des jours meilleurs, entraînant du même coup la perspective d’un nouvel ordre régional qui ne pouvait qu’être bénéfique à tous les pays de la région et pour les relations internationales. À n’en pas douter, les « 5+1 »1 et l’Iran étaient sur le point de publier une déclaration commune scellant leur entente. Barack Obama et Hassan Rohani avaient ouvert la voie en marge de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2013. Ce qui était inconcevable depuis des années est devenu réalité : ils se sont parlé ! Le président iranien avait aussi échangé des vœux avec le roi d’Arabie saoudite quelque temps auparavant. Certes, le protocole diplomatique l’exigeait, mais leurs messages respectifs auraient pu être passés sous silence. S’il fallait s’en tenir aux commentaires des médias occidentaux, arabes et iraniens des derniers jours, la réunion de Genève ne pouvait que produire un accord sur le nucléaire iranien.
L’Iran s’apprêtait à recevoir la visite de Yukiya Amano, le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) comme gage de sa bonne volonté et preuve de son engagement. En contrepartie, les pays occidentaux se préparaient à lever leurs sanctions selon un processus prudent, partiel, réversible mais bien réel. De part et d’autre, les attentes étaient fortes. Le ministre des affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif était presque le plus optimiste. Il avait annulé un déplacement à Rome pour rencontrer Catherine Ashton à Genève2. Un accord l’aurait ravi, mais même un petit pas dans la bonne direction ne l’aurait pas mécontenté. Téhéran et Londres parlaient d’échanger des chargés d’affaires. L’opinion publique iranienne restait sceptique, mais à Téhéran on se faisait fort d’expliquer à domicile les bienfaits d’un accord, surtout s’il démontrait que l’Iran avait été respecté et que ses droits avaient été reconnus. C’était affaire de légalité internationale mais aussi de passions collectives.
Les positions des parties étaient connues. L’Iran demandait une levée des sanctions internationales, les mesures de confiance qui en découlaient, la reconnaissance de son droit à enrichir l’uranium et la normalisation de ses relations avec les pays occidentaux. Téhéran réaffirmait que si son droit à l’enrichissement n’était pas négociable, mais que son périmètre pouvait être discuté. Les pays occidentaux restaient eux aussi sur des positions affirmées depuis longtemps : interdire à l’Iran de développer toute industrie et recherche nucléaire à usage militaire.
C’est dans ce contexte que le 9 novembre survenait la déclaration conjointe Ashton-Zarif. Elle annonçait la suspension de cette deuxième série de négociations, indiquant sobrement qu’il restait des « divergences » entre les parties et fixait un nouveau rendez-vous pour le 20 novembre. Il n’y a pas eu d’accord. Très vite, il fut reproché à la France d’être à l’origine de cet échec non envisagé par les médias. Mais dans son ensemble, la presse internationale s’est attachée à préserver l’ambiance constructive qui avait entouré les négociations de Genève3.
Des exigences de dernière minute
À Genève, la France aura été ce caillou dans la chaussure qui empêche de marcher confortablement. Ni isolée ni « suiviste », selon les termes de son ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, c’est elle qui aura détourné la réunion de Genève d’un accord possible. Les exigences françaises auraient concerné la fermeture du réacteur nucléaire d’Arak, l’avenir des stocks d’uranium enrichi, et enfin la nature et la séquence de la levée des sanctions telle que voulues par Téhéran.
L’attitude française est largement contestée, sauf par les néoconservateurs américains, le premier ministre israélien et les pays arabes du Golfe. La presse iranienne est critique, mais mesurée. Elle indique que Laurent Fabius s’était invité à Genève alors que sa présence n’était pas prévue. Catherine Aston a alors été obligée de convier dans l’urgence ses homologues allemand et britannique. Les médias iraniens étaient convaincus que Laurent Fabius était venu à Genève « à la demande » du premier ministre israélien pour empêcher tout accord, ce que ni John Kerry ni Barack Obama n’avaient pu lui promettre.
Des propos du ministre français à Genève, la presse n’a souvent retenu que la partie de la phrase par laquelle il indique qu’« il faut bien sûr prendre en compte pleinement les soucis de sécurité d’Israël », omettant le plus souvent la suite de sa déclaration relative à la sécurité « de l’ensemble des pays de la région », référence aux pays arabes du Golfe et en premier lieu à l’Arabie saoudite. Des parlementaires iraniens, notamment Charif Hosseini, ont critiqué l’attitude des pays occidentaux, qualifiée « d’inamicale » et de « malhonnête », réservant à la France la plus grande part de leurs accusations4.
Israël ne se sent pas lié par un accord avec l’Iran. Le premier ministre Benyamin Nétanyahou avait d’ailleurs fait campagne en 2012 sur le thème du danger « existentiel » que posait un Iran nucléaire pour Israël. Devant le parlement, il avait lancé en direction de ses compétiteurs pour les élections que celui« qui minimise le danger qu’un Iran nucléaire pose à Israël ne mérite pas de diriger le pays ne serait-ce qu’un seul jour ». À destination de Téhéran, il avait affirmé qu’Israël était désormais en mesure d’agir militairement « contre l’Iran et ses satellites ». Depuis les négociations de Genève, le gouvernement israélien ne manque pas une occasion de dénoncer ce qui n’est pas encore un accord. Le ministre de la défense Moshe Ya’alon parle d’« erreur historique » à propos de tout accord qui serait passé avec Téhéran. Nétanyahou dénonce toute décision en ce sens qui verrait l’Iran « tout obtenir sans rien payer » en échange :
Limiter les dégâts
Lors de sa visite dans le Golfe qui a suivi les réunions de Genève, John Kerry, le secrétaire d’État américain s’est attaché à réduire la portée de l’échec de Genève. Il n’était pas « déçu » et espérait la poursuite des négociations. Non, il n’y a pas de désaccord entre les pays occidentaux, a-t-il indiqué en se référant à la France ; il n’y a eu qu’une impossibilité pour l’Iran d’accepter certains points à ce moment précis des négociations5. Kerry a pris soin de rassurer les pays arabes du Golfe : Washington n’entendait pas changer sa relation stratégique avec eux, ni d’ailleurs avec Israël. Téhéran n’a pas été en reste dans la minimisation de l’échec de Genève ; Mohammad Javad Zarif a confirmé son optimisme des premiers jours.
Au lendemain de la réunion, Yukiya Amano (AIEA) et Ali Akbar Salehi, le chef de l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran, se sont accordés sur une déclaration conjointe sans en donner le contenu, laissant ainsi du champ aux négociations du 20 novembre. Selon toute vraisemblance, leur accord porte sur des questions de méthode, de périodicité et de régularité des visites de l’Agence. Ce n’est donc pas sans raison que Téhéran a accepté d’accorder des visas à l’AIEA pour permettre l’inspection du réacteur à eau lourde d’Arak et de la mine d’uranium de Gachin, deux vieilles pommes de discorde avec les pays occidentaux. Une nouvelle feuille de route aurait donc été agréée entre l’AIEA et l’Iran sur la vérification de la nature pacifique du programme nucléaire iranien. Elle prévoirait la possibilité pour l’AIEA d’avoir accès à davantage d’informations sur le programme nucléaire de l’Iran, de connaître l’emplacement de ses nouveaux réacteurs et ses projets en matière de réacteurs de recherche. Les inspections pourraient commencer d’ici trois mois. En revanche, la feuille de route ne prévoit pas les visites des installations militaires de Parchin. La question sera évoquée plus tard, en fonction du bon déroulement de la mise en œuvre de l’accord qui vient d’être passé. Cet accord technique est une mesure de confiance supplémentaire de la part de Téhéran. Il aurait probablement été plus complet si la réunion de Genève avait débouché sur un accord diplomatique.
Moscou s’est tout autant attaché à démontrer que la réunion du 20 novembre allait profiter des « avancées » de la réunion de Genève. Pour la Russie, on ne peut parler d’échec ; il s’agit de négociations en deux temps. Un surcroît de « volonté politique » est certes nécessaire mais un accord est en vue6. Épilogue le 20 novembre.
Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Orient XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.
1Les cinq membres du Conseil de sécurité des Nations unies plus l’Allemagne.
2Catherine Ashton, Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, vice-présidente de la Commission européenne, coordonne les efforts des pays occidentaux sur le nucléaire iranien.
3Jonathan Marcus, « Iran nuclear : Positive signs despite talks breakdown », BBC, 11 novembre 2013.
4[« Iranian MP Blasts West’s Insincerity in GenevaTalks », FNA, 11 novembre 2013.
5« Iran backed out of nuclear deal », BBC, 11 novembre 2013.
6« Russia’s Lavrov Urges ’Political Will’ to Solve Iran Nuclear Row », Ria Novosti, 10 novembre 2013.