Focus Gaza-Israël
« Peu nous importe désormais que quiconque nous aime »
Samer Abu Hawwash est poète. Il est né au Liban en 1972 dans une famille de réfugiés palestiniens originaire d’Haïfa. À l’heure où, selon les chiffres des Nations unies, un enfant est tué toutes les dix minutes dans la bande de Gaza, il a composé ce poème en arabe, « dans un moment de douleur, et devant le constat que le monde entier a abandonné Gaza ». Orient XXI en publie la traduction française.
Peu nous importe
Désormais 
Que quiconque nous aime 
Il nous suffit d’être aimés 
par l’archange sublime
Dans son ciel immaculé
Nos enfants le voient au loin
Il fait un signe des deux mains
En forme de cœur
Alors ils lui sourient
Nos femmes le voient 
Agiter un brin de jasmin blanc 
Alors elles ferment les yeux 
Une fois
Pour toutes
Nos hommes voient ses ailes bleues
Pures comme un ciel bleu
Il leur ravit le cœur 
Alors ils plient bagage 
Et partent vers lui
Peu nous importe à présent que quiconque nous aime
Les obus nous ont libérés de nos oreilles
Par lesquelles nous entendions les mots d’amour
Les missiles nous ont délivrés de nos yeux 
Qui pouvaient voir les regards de l’amour
Et les ténébreuses paroles nous ont libérés de nos cœurs 
Où nous avions choyé l’incantation d’amour
Peu nous importe désormais 
Que quiconque nous aime 
Dans cet univers
« Il semble bien, de toute façon, que c’était un amour à sens unique »
Disent nos vieux, lassés de l’idée de la terre
Notre poète se tient à l’horizon lointain 
Et crie : « délivrez-nous de cet amour cruel ! »
Puis il murmure, pour s’excuser
d’un juvénile optimisme passager :
« Rien sur cette terre
En réalité 
Ne mérite de vivre »1
Peu nous importe désormais que quiconque nous aime 
Nous sommes fatigués des paroles dites et du non-dit
Des mains tendues qui ne parviennent pas
Et des yeux ouverts qui ne voient pas 
Nous sommes fatigués de nous-mêmes 
En cette nuit interminable
Et de l’attachement obstiné de nos mères
À ce qui reste de nous 
D’un rocher que nous continuons de porter 
Éternelle malédiction 
De précipice en précipice 
De trépas en trépas 
Et nous n’arrivons toujours pas
Qu’importe, désormais, que quiconque nous aime 
Que quiconque nous accompagne 
Dans la procession de notre enterrement 
Voilà que nous marchons en silence vers une dernière errance
Nous nous tenons tous par la main 
Et nous avançons solitaires dans le désert du monde
À un moment 
L’un de nos enfants se retourne
jette un dernier regard sur les décombres 
Et dit en versant une larme unique :
Peu nous importe désormais que quiconque nous aime
1Référence au poème de Mahmoud Darwich, Sur cette terre, où il dit notamment : « Il y a, sur cette terre, ce qui mérite de vivre ».
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