La grande qualité du dernier livre de Charles Enderlin, l’ancien correspondant de France 2 à Jérusalem, comme d’ailleurs de ses ouvrages précédents, c’est le refus de l’approche superficielle à la mode, sous couvert d’actualité et de sensationnalisme. Car la relation de la France avec ses juifs ne commence pas lors de la résurgence des actes antisémites en 2002. À défaut de remonter jusqu’aux origines de communautés datant de l’occupation romaine, puis victimes de persécutions répétées sous l’Ancien Régime avant d’être émancipées par la Révolution1, l’auteur entame son récit avec le décret Crémieux et l’affaire Dreyfus.
Si les violences antijuives d’alors n’atteignent pas, en métropole, le degré des pogroms meurtriers d’Algérie, elles n’en traumatisent pas moins les juifs de l’époque. Et pourtant ceux-ci se veulent pour la plupart assimilés au point de se présenter comme « israélites ». Initiateur, comme Émile Zola et tant d’autres intellectuels, du combat contre la réaction antisémite, Bernard Lazare rompt dès 1899 avec Theodor Herzl, pour qui les juifs, inassimilables, doivent disposer d’un État bien à eux en Palestine.
Ancré dans la victoire des dreyfusards, ce choix qu’on pourrait qualifier – n’en déplaise à Emmanuel Macron — d’« antisioniste » est conforté par la contribution du judaïsme français à la première guerre mondiale. Mais la haine des juifs redresse la tête au cours des années 1920 et 1930 pour atteindre son apogée avec Vichy et le génocide. Charles Enderlin raconte les spoliations, les rafles, les déportations et la résistance qu’elles provoquent, mais il soulève aussi le voile pudique qui dissimule, d’ordinaire, la collaboration du Consistoire central et de certains membres de l’establishment juif avec Philippe Pétain et son « État ».
Vient, après-guerre, la percée du sionisme, d’abord lors de la naissance d’Israël en plein conflit, puis plus nettement encore à l’occasion de la guerre de 1967. La mobilisation, à l’époque, doit beaucoup aux juifs d’Afrique du Nord, devenus majoritaires du fait de l’arrivée massive des pieds-noirs d’Algérie. Au « franco-judaïsme », jusque-là presque unanime, va progressivement s’imposer le « franco-sionisme ».
Comme toute médaille, le choix historique de Charles Enderlin comporte un revers. Les éditeurs trouvent volontiers les livres trop longs. Confronté aux exigences du sien, l’auteur explique n’avoir pas voulu sacrifier les résultats, effectivement passionnants, de sa plongée dans le passé. Il lui a donc fallu faire court — trop court ? — sur la période récente. Enderlin évoque la radicalisation du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et de ses intellectuels organiques, parallèle à celle des gouvernements israéliens de droite et d’extrême droite. Mais le lecteur reste un peu sur sa faim. S’agit-il d’un phénomène propre à l’institution, ou bien reflète-t-il l’évolution des Français juifs ? Comment vivent-ils la résurgence, réelle et exagérée, d’un certain antisémitisme ? Quel rapport entretiennent-ils avec Israël et ses actuels dirigeants ?
On trouvera de précieux éléments de réponse dans le livre de Samuel Ghilès-Meilhac sur le CRIF2, mais aussi dans les enquêtes, plus ou moins fiables, réalisées par des instituts de sondage3.
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1Esther Benbassa, Histoire des Juifs de France, Points Seuil, Paris, 1997.
2Le CRIF. De la Résistance juive à la tentation du lobby, Robert Laffont, Paris, 2011.
3On lira notamment les enquêtes d’IPSOS de décembre 2017 et de novembre 2018 pour la Commission nationale consultative des droits de l’homme.