Cinéma

Scènes de la vie ordinaire sous occupation

« Personal Affairs », un film de Maha Haj · Personal Affairs (Omor Shakhsiya) est le premier long-métrage de la réalisatrice palestinienne d’Israël Maha Haj. Au-delà de la chronique légère d’une famille dispersée entre Nazareth, Ramallah et la Suède, il montre les effets délétères de l’occupation israélienne sur les aspects les plus intimes de la vie des Palestiniens. En salles en France (Paris, Marseille, Montpellier, Nantes, Rouen, etc.) depuis le 1er mars 2017.

Ce premier film remarquable d’une jeune cinéaste palestinienne de Nazareth décrit de manière quasi ethnographique, avec de longs plans fixes composés comme des tableaux, la vie quotidienne d’un vieux couple à Nazareth et de ses trois enfants adultes, dispersés pour deux d’entre eux à Ramallah, et pour le dernier en Suède.

Passant de l’un à l’autre de ces espaces domestiques par un montage alterné dénué de toute dramatisation, la réalisatrice décrit le quotidien d’une classe moyenne qui ne paraît pas souffrir économiquement de l’occupation israélienne, mais dont les rapports de couple sont comme pétrifiés à un stade patriarcal où les femmes tentent de trouver des formes de résistance passive à la soumission économique et culturelle à laquelle elles sont contraintes.

Personal Affairs Bande Annonce — YouTube

La mère passe ses journées (et ses nuits) à tricoter en regardant des séries télévisées quand elle n’est pas dans sa cuisine en train de préparer les repas, murée dans le silence face à un mari qui passe son temps à lui lire ce qu’il découvre sur Internet (et qui n’a aucun intérêt pour elle) tout en se faisant servir. L’immobilité du cadrage et du décor (les pièces impeccablement rangées de la maison familiale) font écho à leurs relations complètement figées dans une asymétrie mortifère. Le mari, totalement aveugle à cette asymétrie, se plaint de leur mère à ses enfants qui n’en peuvent plus, tandis que la mère pratique une très efficace résistance passive.

À la génération suivante, les relations entre hommes et femmes ne sont pas beaucoup plus reluisantes : la sœur, mariée et enceinte, habite à Ramallah avec son mari garagiste dans la maison de sa grand-mère, qui est dans un état de sénilité avancée. Elle est coincée dans son rôle de femme au foyer, ce qu’elle compense par une attitude constamment geignarde vis-à-vis de son mari ou de son frère, à qui elle reproche de ne pas vouloir s’engager auprès de la jeune fille qu’il fréquente. Celui-ci, qui semble appartenir plutôt à un milieu littéraire et artistique (il écrit et fait du théâtre) est constamment sur la défensive avec la jeune femme qu’il voit pourtant assidûment, ce qui la met en colère sans qu’elle parvienne à y changer grand-chose. Enfin, le frère qui s’est exilé en Suède est en relation avec le reste de la famille par téléphone ou Skype, et tente sans grand succès d’améliorer les relations des uns avec les autres.

L’isolement malheureux dans lequel l’occupation israélienne maintient, sans qu’elle ne soit jamais montrée sauf à la toute fin, les membres de cette famille palestinienne, est admirablement concrétisé par le parti pris formel du film, qui enferme chacun(e) dans un cadre fixe. On sortira pourtant de cet enfermement de plusieurs façons également surprenantes : Georges, le mari garagiste à Ramallah, est embauché par une Américaine qui le trouve pittoresque — avec tout le paternalisme d’une telle attitude — pour tourner un film à Haïfa. Émerveillé, il découvre la mer : comme la plupart des Palestiniens des territoires occupés, il n’avait jamais pu sortir de cette prison à ciel ouvert. Pendant ce temps, la sœur enceinte prend enfin le temps d’écouter sa grand-mère lui raconter l’histoire traumatique d’un incident de sa petite enfance, seul souvenir encore vivant dans sa mémoire. Hicham, le frère exilé en Suède, feint d’être malade pour forcer ses parents à venir le voir et on les retrouve assis devant le chalet au bord d’un lac… Cette échappée dénouera leur situation. Tarek, le frère cadet, en route pour Jérusalem avec son amie Maïssa pour répéter leur pièce de théâtre, est arrêté par un barrage israélien et comme elle se dispute avec lui, ils se retrouvent tous les deux dans les locaux de l’armée israélienne, soumis à un interrogatoire kafkaïen.

La fin, d’une fantaisie merveilleuse, confirme la capacité de cette jeune cinéaste à insuffler de la poésie et de la vie à une situation dont elle a d’abord montré le désespérant blocage. La force de ce film est de montrer les effets délétères de l’occupation sur les aspects les plus intimes de la vie des Palestiniens, ce qu’évoque le titre Personal Affairs. Elle montre que là comme ailleurs, mais sans doute plus qu’ailleurs, ce qu’on appelle « la sphère privée » est traversée de part en part par le poids des déterminations sociales et politiques.

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