Soudan. Se souvenir de la révolution

Le film de Hind Meddeb retrace la révolution soudanaise qui a renversé la dictature d’Omar Al-Bachir en 2019. Projeté à Calais, il met également en lumière la tragédie actuelle : alors que des millions de Soudanais fuient la violence, ceux qui ont défié la tyrannie se heurtent à un nouveau combat en exil, marqué par le racisme et la stigmatisation en Europe. Le récit de leur révolution devient ainsi un appel à la mémoire et à la solidarité face à l’indifférence.

Groupe de jeunes célébrant avec enthousiasme, drapeaux et sourires.
Extrait du documentaire de Hind Meddeb Soudan, souviens toi
© Hind Meddeb

C’est un Khartoum méconnu : vivant, peuplé de jeunes gens qui peignent sur les murs, dansent, chantent et déclament des poèmes dans la rue, sourire aux lèvres. Face à ces scènes de joie, un frisson parcourt la salle de cinéma parisienne, ce lundi 5 mai. Sur l’écran, ils et elles parlent de démocratie, d’égalité, et surtout de liberté. Ils et elles viennent de faire tomber l’un des pires dictateurs au monde, Omar Al-Bachir, en avril 2019, qui a dirigé le Soudan d’une main de fer pendant trente ans. Ce Khartoum enchanté apparaît dans les premières minutes du documentaire de Hind Meddeb Soudan, souviens toi, sorti dans les salles françaises le 7 mai.

Pendant plusieurs mois, un mouvement de désobéissance a maintenu la pression sur les militaires pour exiger un gouvernement civil. Mais les Forces de soutien rapide dirigées par le général Mohamed Hamdan Dogolo, dit Hemetti, l’ancien tombeur d’Al-Bachir après en avoir été le bras armé, accusé de génocide au Darfour par les États-Unis (au moins 300 000 morts), répriment et tuent cette jeunesse pleine d’espoir. Le 3 juin 2019, les milices se filment en train de saccager les sit-in et de tuer (au moins 100 morts) plusieurs mois d’ivresse démocratique. « On a bien fait le travail », lance l’un d’eux, goguenard.

Le peuple se soulève de nouveau et ne se résigne pas. Après avoir fait tomber un dictateur, pourquoi ne parviendrait-il pas à tordre le bras de ceux qui veulent lui confisquer la révolution ? Mais les poèmes récités dans la rue pour galvaniser les foules ne peuvent rien face aux chars et aux armes automatiques. Las, Hemetti et le général Abdel Fatah Al-Burhan, après avoir un temps codirigé le pays, finissent par s’affronter, soutenus de part et d’autre par des puissances étrangères — dont les Émirats arabes unis — qui veulent accaparer les terres fertiles du Nil. Quelque 13 millions de Soudanaises ont aujourd’hui fui leur domicile, ce qui fait d’eux la première nationalité de personnes déplacées au monde.

Bande annonce du documentaire « Soudan, souviens-toi » (2025) de Hind Meddeb

Ils avaient presque oublié qu’ils avaient renversé un dictateur

Le film a été projeté à Calais, en France. Cette ville est bien connue pour « accueillir » des milliers d’exilés qui, à partir de là, tentent de traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre. Au moins 76 d’entre eux ont péri en mer en 2024. Une centaine de Soudanais sont venus voir le documentaire. « Ils m’ont expliqué qu’ils étaient très émus de revoir les images de la révolution, relate Hind Meddeb, certains d’entre eux m’ont dit qu’ils avaient presque oublié ce qu’ils avaient fait : renverser un dictateur. »

Ces jeunes hommes et ces jeunes femmes – ces dernières, privées de tout sous Al-Bachir, sont particulièrement mises en avant dans le film car elles ont joué un rôle déterminant dans les évènements – ont bravé la mort pour atteindre un idéal : la démocratie. Ils et elles savent qu’une révolution n’est pas un aboutissement, mais bien souvent une étape dans un long processus ponctué de répressions et de coups d’État. « Le Soudan est un exemple dans le monde arabe », affirme Hind Meddeb, qui rappelle que le pays a connu trois révolutions depuis l’indépendance – et quelques parenthèses démocratiques.

Coupables d’être musulmans

Mais plutôt que d’applaudir les héros soudanais parce qu’ils ont lutté contre l’abjection et montré la voie de la liberté, parfois au prix de leur vie — « Vous pouvez me tuer, mais pas mes idées », était l’un des slogans de la révolution —, plutôt que de louer leur courage et de les accueillir dignement en Europe et en France, les services policiers les soumettent à un harcèlement quotidien. Le pouvoir français les désigne avant tout comme des « migrants » qui n’auraient pas vocation à rester, comme des « envahisseurs », et agite la rhétorique raciste du « grand remplacement » et de la « submersion migratoire ». Ils s’en prennent à une communauté dont la culture ne serait pas « compatible » avec les valeurs françaises.

Ils sont aussi et surtout coupables d’être musulmans dans un pays où l’islam est constamment dénigré. Il faut pourtant entendre ces jeunes, en 2019, demander en criant un Soudan multireligieux et débarrassé du tribalisme. « Ils ne rejettent pas la religion mais refusent qu’elle soit instrumentalisée », rappelle encore la réalisatrice. « Toutes et tous n’aspirent qu’à une seule chose : vivre chez eux, dans un pays démocratique. » En France, l’ignorance et la propagande rejettent, trient, accusent, soupçonnent, matraquent. La répression coule les embarcations de fortune pour entraver la liberté de circuler de celles et ceux qui rêvent d’un avenir loin des tueries de Khartoum… Une sale besogne rétribuée plus d’un demi-milliard d’euros par l’Angleterre.

Pas un responsable politique, des deux côtés de la Manche, n’a une once du courage de ces exilées. Après avoir affronté la dictature, l’avoir renversée, avoir bravé la répression, finalement pris le chemin de l’exil alors que la situation était inextricable, échappé à la mort dans les camps libyens, survécu miraculeusement à la traversée de la Méditerranée, les tombeurs d’Al-Bachir se retrouvent à nouveau sous les coups, dans un pays qui, pourtant, a nourri leur vision révolutionnaire : 1789 et la Révolution française sont, selon Hind Meddeb, au cœur de leurs références. Lorsque ces jeunes gens reviendront libérer le Soudan — ce qu’ils veulent tous —, pas sûr que « le modèle français » les inspire encore.

Soutenez Orient XXI

Orient XXI est un média indépendant, en libre accès et sans publicité.
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don défiscalisé.