Par ses frappes aériennes contre la Syrie (les dernières le 5 mai 2013), Israël aurait cherché à empêcher que des armes parviennent au Hezbollah en provenance de Syrie, notamment des missiles Fateh-101 (missiles sol-sol de fabrication iranienne). L’argument a du poids. Une autre question est de savoir si le but recherché a été atteint. Le Hezbollah prétend que ces armes étaient déjà parvenues au Liban et que les attaques israéliennes sont intervenues trop tard, Israël étant conscient de son retard1.
Si cette hypothèse est fondée, les opérations israéliennes avaient aussi d’autres finalités, l’une d’entre elles étant de faire pression sur Barack Obama pour qu’il accède aux demandes d’une partie de l’opinion publique américaine, avide d’intervention directe contre Bachar al-Assad. Que Barack Obama s’affranchisse de la condition qu’il s’était fixé (l’utilisation d’armes chimiques par le régime) le prédisposerait à se laisser convaincre ultérieurement d’intervenir contre l’Iran.
Quelles que soient les explications, ces opérations auront accéléré un processus diplomatique américano-russe dont les prémisses ne coïncident pas avec les attentes de certains soutiens à la rébellion syrienne.
Sergueï Lavrov et John Kerry2 sont en effet convenus de réunir une conférence internationale dans les prochaines semaines. Son objectif serait de mettre en œuvre les dispositions du Communiqué de Genève3 qui prévoyait il y a une année que l’opposition « et » le gouvernement préparent, « par consentement mutuel », un « gouvernement de transition » dans lequel pourraient figurer des « membres de l’actuel gouvernement ». On est apparemment à cent lieues des appels aux livraisons d’armes à l’opposition et encore plus à une intervention militaire extérieure, entendues depuis des semaines.
Quoi qu’il en soit, c’est une solution politique négociée qui est mise en avant par Washington et Moscou qui, jusque-là, divergeaient sur la manière de mettre fin au conflit syrien. L’Iran est sur la même ligne, Ali Akbar Salehi, son ministre des Affaires étrangères, ayant fait savoir que « tout projet qui rechercherait une solution politique, indépendamment de qui le propose, serait le bienvenu »4. Témoignage de leur entente, Lavrov et Kerry ont fait allusion à Assad, l’un pour dire qu’il se désintéressait de son destin, l’autre pour indiquer qu’il ne lui voyait aucun avenir politique mais qu’il revenait aux Syriens qui allaient négocier d’en décider librement. Difficile de faire plus consensuel quand on se souvient de l’écart qui existait entre les deux responsables il y a quelques semaines.
L’Union européenne a dit sa disponibilité à « aider »5. La Ligue arabe et Lakhdar Brahimi, envoyé conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe pour la Syrie, se sont montrés optimistes. L’annonce de l’accord ne pourra qu’inciter Lakhdar Brahimi à rester en fonction.
Plus largement, le projet américano-russe suscite plus d’incrédulité que d’espoir6. La Coalition nationale l’a accueilli favorablement… à la condition que Bachar al-Assad quitte le pouvoir7. Certains craignent que leur révolution ne se dilue dans les salles des conférences internationales (Moaz el-Khatib, ancien responsable de la Coalition nationale syrienne) ; d’autres sont convaincus que le temps de négocier avec Assad est passé (Qassim Saadeddine, porte-parole du Conseil militaire suprême de l’opposition). Le scepticisme prévaut chez ceux qui demandaient le départ de Bachar al-Assad comme préalable à toute entente. Ils auront du mal à faire entendre leurs voix tant la perception d’une reconquête progressive par le régime de Assad de positions perdues (symboliques, réelles ou fantasmées) s’impose depuis quelques semaines, avec ce qu’elle offre de menaces de prolonger la guerre d’usure qui s’est installée.
Le rapport des forces entre Assad et la rébellion n’en est pas pour autant radicalement modifié. L’initiative Kerry-Lavrov est un test pour les diverses composantes de l’opposition. Leur dilemme est de savoir si elles se sentiront en position de force pour engager le dialogue avec Assad ou si elles jugeront que la lutte armée doit être poursuivie. La proposition Kerry-Lavrov intervient alors qu’une propagande, partie de Washington, installait peu à peu dans les esprits la possibilité de fournir des armes à l’opposition. Le déclencheur (le game-changer de Barack Obama) aurait été l’utilisation d’armes chimiques par l’armée de Assad. Obama a suspendu cette menace faisant valoir que les preuves manquaient. Sa prudence doit plus à un calcul politique sur les conséquences régionales d’une militarisation accrue qu’à l’absence de preuves tangibles. Si l’on y ajoute les propos de Carla Del Ponte, membre de la commission d’enquête indépendante des Nations unies sur la Syrie, (elle vient d’affirmer que l’opposition – pas le régime- aurait pu utiliser du gaz sarin) la perspective de doter officiellement l’opposition de nouvelles armes s’éloigne pour donner du champ à la solution politique8. Les suggestions européennes visant à lever l’embargo sur les armes au profit de la Coalition nationale syrienne doivent être provisoirement remisées (voir le document de travail européen sur les options envisagées9.
Processus de paix israélo-palestinien
Frappes militaires israéliennes contre la Syrie, avec le Hezbollah en ligne de mire, offre de paix de la Ligue arabe comme gage de bonne volonté donné à Washington, projet américano-russe de conférence internationale sur la Syrie pour faciliter la formation d’un gouvernement de transition, et initiative de relance du processus de paix entre Israéliens et Palestiniens sont autant d’événements intervenus dans un temps très court, entre le 29 avril, annonce de l’offre de paix arabe, et le 7 mai quand Lavrov et Kerry proposent une conférence internationale sur la Syrie.
Le fil qui circule entre ces événements est la « paix dans la sécurité »10 que recherche actuellement Washington, quitte à couvrir les actions militaires d’Israël, à faire son aggiornamento quant au meilleur moyen de se débarrasser de Assad et à vaincre le scepticisme international quant à la résolution d’un conflit vieux de plusieurs décennies. Les axes de la diplomatie américaine tracent deux groupes qui ont des intérêts en commun, l’un est constitué par les sunnites (pays arabes et Turquie) et Israël ; dans l’autre se rangent le Hezbollah chiite, le régime alaouite de Assad et l’Iran chiite. L’objectif de Washington est de préserver le semblant d’unité du premier groupe qui serait dilapidé en cas de dramatisation du dossier iranien et qui menacerait ses efforts pour régler la question de Palestine.
Quant à l’Union européenne, elle témoigne de sa fidélité aux options américaines, offrant son aide de principe quand cela est évident (sur la Conférence internationale sur la Syrie) et gardant le silence à d’autres moments pour ne pas troubler la diplomatie de Obama (sur le processus de paix par exemple). Dans les deux cas on ne peut parler que d’un rôle d’accompagnement.
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1« Syria Calls Attack by Israel ’Declaration of War’ », Ali Hashem, Al-Monitor Lebanon, 5 mai 2013.
2« Remarks », John Kerry, Moscou, 7 mai 2013
3Communiqué du Groupe d’Action pour la Syrie, Genève, 30 juin 2012.
4« Tehran’s Doors are Open to All Interested in Ending the Syrian Conflict », Ali Akbar Salehi, Iranian Foreign Minister, Al-Akhbar English, 8 mai 2013.
5« EU HR Ashton supports joint agreement », John Kerry et Sergueï Lavrov sur l’organisation d’une conférence internationale sur le conflit syrien.
6« Hope, Scepticism Over U.S.-Russian Accord on Syria Conference », Jim Lobe, Inter Press Service (9 mai 2013.
7« Syria opposition insists on Assad exit for deal », AFP, 8 mai 2013.
8« Armes chimiques : les propos irresponsables de Carla Del Ponte », Ana Maria Luca, Courrier International, 10 mai 2013.
9« Britain has proposed « fully exempting » Syria’s National Coalition from a European Union arms embargo allowing rebels to be armed in order to protect Syrian civilians from a « likely » chemical weapons attack », Bruno Waterfield, Bruxelles, The Telegraph, 8 mai 2013.
10« Israel’s strategic reset, Ben Caspit, Al-Monitor Israel, 3 mai 2013.