Syrie : fourbir ses armes et ses arguments avant Genève II

Revue de presse du 27 mai au 2 juin 2013 · La crispation sur le dossier syrien s’accentue à mesure que s’intensifie la bataille de Qoussair et la perspective de la conférence internationale, dite de Genève II. Toutes les forces concernées réévaluent leurs positions.

Al-Khalidieh, Homs.
Freedom House, 23 novembre 2012.

Les positionnements renouvelés du régime syrien et de ses alliés

À Qoussair les combats continuent. Leur issue ne semble pas faire de doute : l’opposition semble en voie de perdre les positions qu’elle occupait dans la ville. La reconquête d’Alep pourrait être le prochain objectif du régime. Au plan diplomatique, Hassan Nasrallah en personne a confirmé que le Hezbollah y avait pris part aux combats aux côtés de Bachar al-Assad « contre les takfiris » venus de pays arabes, balkaniques et asiatiques comme le Tadjikistan, le Kyrgyzstan1, la Tchétchénie2. On sait la part prépondérante que ses combattants ont joué dans la reconquête de Qoussair. Lorsqu’on se souvient qu’au début des manifestations de rue, il y a deux ans, le Hezbollah jouait les intermédiaires entre le régime et l’opposition, on mesure combien son alignement militaire aux côtés d’Assad redessine la carte politique régionale3.

Les menaces d’Assad d’exercer son droit de représailles contre les opérations militaires israéliennes seraient en effet de peu de portée s’il n’avait pas à ses côtés l’Iran, la Russie et le Hezbollah. Il est toutefois douteux que le Hezbollah s’aventure plus loin dans le territoire syrien, sa préoccupation étant la sauvegarde de son mouvement et ses voies de communication avec la Syrie. Au plan médiatique, Assad ne désespère pas convaincre la communauté internationale du bien-fondé de ses analyses. On se souvient qu’il avait lancé une campagne de propagande4 pour convaincre l’Occident qu’il était du mauvais côté de la bataille et que ses ennemis — les islamistes takfiristes — étaient aussi ceux des États-Unis ou des Européens. Il n’a pas réussi. Mais « sa » victoire pourrait se retrouver ailleurs, dans la confusion et l’amalgame que font les médias et les opinions publiques entre islamistes, terroristes, salafistes ou combattants salafistes djihadistes.

De Moscou est venue la confirmation que la Russie s’apprêtait à livrer au régime syrien des missiles S-300 commandés depuis 2010. Des informations contradictoires circulent depuis sur la quantité de missiles livrables5 et sur la date de leur livraison. Assad a prétendu avoir reçu une première cargaison, ce que les experts démentent. Non sans cynisme, la Russie fait valoir que ces armements n’ont qu’une vocation défensive et qu’ils ne peuvent être utilisés dans le cadre d’une guerre civile, tout en vantant les mérites techniques de ces équipements dans des messages bien reçus par les pays occidentaux et surtout Israël. Évoquant Genève II, Moscou se dit sur la même ligne que Washington, quand la position russe est de laisser le soin aux Syriens de décider du sort d’Assad dans le cadre d’un dialogue politique6 alors que Washington n’imagine pas qu’il reste au pouvoir. Dans le même esprit, Moscou est hostile à la présence de combattants étrangers sur le sol syrien mais se garde bien de demander le départ des combattants du Hezbollah libanais ou des gardiens de la révolution iraniens.

Le déséquilibre de la Coalition nationale syrienne

La réunion d’Istanbul de la Coalition nationale syrienne (22-27 mai) avait pour ambition d’assurer une meilleure représentativité en son sein en y intégrant de nouveaux délégués, plus libéraux, comme le groupe de Michel Kilo, notamment ceux qui vivent et se battent en Syrie. Certains même arguent que s’il fallait assurer l’équilibre entre ceux qui sont à l’extérieur de la Syrie et ceux qui s’y battent, il faudrait inclure des salafistes7, présents dans les combats contre Assad mais absents de la Coalition. Quoi qu’il en soit, celle-ci n’est pas vraiment parvenue à doser les divers courants qui la parcourent, comme le lui demandaient avec insistance les libéraux syriens et certains des Amis de la Syrie. Son incapacité – ombre portée de la rivalité entre les parrains qataris et saoudiens - se confirme au mauvais moment : la bataille de Qoussair risque d’être une défaite militaire et politique8 et la possible levée de l’embargo supposée donner un avantage militaire à la rébellion n’y change rien pour l’instant. D’autre part, la participation du régime syrien à la conférence internationale pourrait prendre l’opposition à contrepied. Mais la Coalition ne croit pas que Genève II puisse contribuer à mettre fin au conflit syrien, consciente que certains se refusent à tout accord avec Assad alors que d’autres jugent que sa présence est nécessaire ne serait-ce que pour obtenir un cessez-le-feu. La Coalition risque l’implosion, le schisme ou la paralysie avec le maintien du rapport des forces actuel en faveur des Frères musulmans. Dans l’immédiat, elle a menacé de ne pas participer9 à Genève II tant que le départ d’Assad ne sera pas inscrit dans un calendrier contraignant10, qu’il ne sera pas mis un terme aux massacres en cours à Qoussair et à « l’invasion » du Liban par l’Iran et le Hezbollah. Nul doute qu’elle subira d’intenses pressions pour la faire changer de position.

L’ultimatum du Mouvement révolutionnaire en Syrie

Le communiqué publié le 28 mai par le Mouvement révolutionnaire syrien (qui regroupe des Comités de coordination locale) ressemble fort à une menace de divorce. Il n’est rien d’autre qu’un avertissement solennel et un ultimatum11adressé à la Coalition nationale à laquelle il est reproché d’être incapable de trouver son unité, de ne pas être représentative de toutes les forces syriennes et de laisser le champ libre aux interférences étrangères, en d’autres termes d’avoir trahi la révolution. Fort de ce constat, le Mouvement révolutionnaire exige la moitié des sièges de délégués au Conseil sous peine de reprendre sa liberté.

Les contradictions des soutiens occidentaux de la rébellion

Les soutiens occidentaux et arabes ne sont pas uniformes. L’objectif le plus communément affirmé reste le départ ou la destitution d’Assad, même s’il existe des divergences sur la manière d’y parvenir. La solution la plus évidente reste la formation d’un gouvernement de transition qui aurait les pleins pouvoirs, y compris en matière de sécurité, ce qui signifierait la fin du régime Assad (Mais Assad a indiqué qu’un référendum serait organisé en Syrie sur tout accord obtenu dans le cadre de la conférence internationale).

La France et le Royaume-Uni12 sont favorables aux livraisons d’armes tandis que l’Allemagne est sceptique (Assad a aussitôt profité de cette circonstance pour demander à Moscou que soit réalisée dès la fin de l’embargo sur les armes la vente promise, il y a quelques années, de MiG-29M/M2 et de MiG 3113.

Aux États-Unis le clivage est réel entre interventionnistes et non interventionnistes, ces derniers appartenant essentiellement au milieu militaire et de sécurité, tandis que de nombreux politiciens et diplomates se comptent dans le camp des interventionnistes. Les premiers sont pour le moment majoritaires. Ce sont eux qui démontrent qu’il est plus facile de s’engager dans une opération militaire que de gérer la période qui suit la chute d’un régime autoritaire. Ils n’ont aucune difficulté à faire valoir que les opérations en Irak et en Libye ont installé un chaos et laissé le champ libre aux djihadistes. Ce n’est pas la visite secrète en Syrie du sénateur John Mc Cain (27 mai), venu prouver que des armes distribuées à des « rebelles modérés » sont facilement contrôlables, qui changera leur opinion. La crainte de la montée d’un islamisme violent au Proche-Orient et de ses répercussions dans les pays occidentaux retient le bras de ceux qui sont favorables à une action militaire14

L’arme chimique comme argument politique

L’affaire dite des armes chimiques se développe, notamment depuis que deux journalistes du Monde ont indiqué avoir été les témoins de l’utilisation d’armes chimiques15 par le régime syrien. Le Royaume-Uni avait déjà transmis au secrétaire général des Nations unies son inquiétude à propos de leur possible usage en mars (à Adra) et en avril (à Daraya et Saraqeb). On sait que, si elle était prouvée, l’utilisation par l’armée syrienne d’armes chimiques constituerait une ligne rouge pour Washington et ses alliés qui pourraient intervenir dans des formes encore peu précisées. Dans l’attente, la police turque a arrêté plusieurs membres de Jabhat an-Nusra après avoir découvert du gaz sarin à leur domicile dans les villes d’Adana et de Mersin16 Plusieurs exercices militaires17 tendent à faire accroître la menace d’une intervention : un exercice aérien conjoint entre l’Arabie saoudite et la Turquie (une première pour cette coalition ad hoc sunnite) ; des manœuvres en Jordanie impliquant 19 pays et destinées à sécuriser les armes chimiques syriennes en cas d’intervention terrestre ; un exercice naval dans le Golfe auquel participent 41 pays (la marine iranienne conduit de son côté ses propres manœuvres). De leur côté, les Européens ont décidé d’alléger les sanctions qu’ils avaient décrétées contre le régime syrien, de manière à pouvoir livrer, le moment venu, des armes à la rébellion. La pression occidentale, arabe et turque sur la question de l’arme chimique est indissociable de la conférence de Genève II. Menace d’intervention, promesse de livraison d’armes, manœuvres militaires et diplomatie se développent en parallèle.

La contagion régionale

Le conflit syrien a une nouvelle fois débordé la frontière syro-libanaise. Deux roquettes Grad ont touché Dahiyeh, dans la banlieue sud de Beyrouth, place forte du Hezbollah. La brigade des martyrs de Saraqeb, groupe de la rébellion syrienne, a menacé l’armée libanaise si celle-ci n’interdisait pas au Hezbollah de passer en Syrie18. Jabhat an-Nusra a menacé de porter le feu contre le Hezbollah s’il ne quittait pas Qoussair dans les jours qui viennent. Tripoli reste le théâtre d’affrontements entre sunnites et chiites. Des roquettes ont été tirées près des villes libanaises de Nabi Chit, Janta et Brital. A Baalbek un mausolée chiite a été la cible d’une attaque. La Syrie et le Liban pourraient n’être plus « deux pays habités par un même peuple », selon la formule d’Assad père, mais deux pays habités par une même guerre19. Quant au cheikh Yousouf al-Qaradawi, Égyptien basé au Qatar, il a appelé tous les sunnites en mesure de se battre d’aller soutenir la rébellion20.

1« Central Asian Youths Found Among Fighters In Syria », Radio Free Europe-Radio Liberty, 24 mai 2013.

2Mu Xuequan, « 12 Chechen fighters killed in central Syria : activists », Xinhuanet News, 25 avril 2013.

3Ibrahim al-Amin, « Hezbollah Intervention in Syria Redraws Political Map », Alakhbar English, 27 mai 2013.

4Anne Barnard, « Syria Plays on Fears to Blunt American Support of Rebels », The New York Times, 24 avril 2013.

6Raghida Dergham, « Russia Weighs In On Conditions for Geneva II », traduit de l’arabe (article d’Al-Hayat), Al-Monitor , S.D.

7Shadi Hamid, « The Folly of Waiting for a More Perfect Syrian Opposition », The Atlantic, 28 mai 2013.

8Phil Sands, « Syrian National Coalition on brink of collapse », The National,28 mai 2013.

9« SNC backs out of planned Geneva peace talks », Alakhbar English,30 mai 2013.

11« Statement Issued by the Revolutionary Movement in Syria », Local Coordinating Committees of Syria (LCCSyria), 28 mai 2013.

15Benjamin Barthe, Alexandra Geneste et Corine Lesnes, « Armes chimiques en Syrie : le débat escamoté », Le Monde , 27 mai 2013.

17« Syria : international attempts to contain crisis escalate », blog d’Abdel Bari Atwan, rédacteur en chef de Alquds Alarabi Newspaper, 29 mai 2013.

19Jean Aziz, « Hezbollah Confesses To Hand in Qusair Battle », Al-Monitor Liban, 27 mai 2013.

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