Syrie. Si loin, si proche de Téhéran

Alors que la crise syrienne passe au second plan dans les priorités médiatiques et populaires, elle reste un enjeu important pour le régime iranien, inquiet de la montée des groupes djihadistes et des nouveaux rapports de forces régionaux.

L'image montre un groupe de personnes marchant sur un tapis rouge dans un hall d'entrée élégant. À l'avant, deux hommes semblent en conversation, tandis que d'autres personnes les suivent, allant d'une manière formelle. L'environnement est spacieux avec des murs clairs et une décoration soignée, indiquant un lieu officiel ou diplomatique.
Damas, 5 octobre 2024. Seyyed Abbas Araqchi, le ministre des Affaires étrangères de la République islamique d’Iran, en visite en Syrie, et le président syrien Bachar Assad
Seyyed Abbas Araqchi / IRNA / X

Malgré l’offensive déclenchée par différents groupes d’opposition contre le régime syrien et la chute d’Alep, les médias iraniens ont préféré se concentrer sur les priorités nationales comme la nouvelle loi controversée sur le hidjab qui prévoit des amendes pour les infractions à son port dans les lieux publics, ou sur les défis économiques persistants. Dans les journaux réformateurs, la Une a été marquée par des articles plaidant pour les avantages de l’adhésion au Groupe d’action financière (GAFI), une organisation internationale qui fixe des normes de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, dans le but d’attirer des investissements étrangers. Le thème de la nécessité d’une entente entre les différentes tendances au sein du pouvoir est également abordé largement dans la presse qui a relayé la déclaration commune du président Masoud Pezeshkian et de Mohammad Ghalibaf, président du parlement et figure de proue des néo-conservateurs.

Ces sujets n’intéressent pas plus la population, davantage préoccupée par les problèmes de la vie quotidienne : la cherté de la vie, les grilles salariales, les retraites ou encore les amendes liées au port du foulard. La libération du rappeur Toumaj Salehi, après un an de détention à Ispahan, a d’ailleurs suscité bien plus d’attention que la Syrie sur les réseaux sociaux.

Une réelle inquiétude

Cependant, au-delà de ces priorités nationales, la situation géopolitique en Syrie reste préoccupante pour le régime. Le conflit déstabilise la région et a des répercussions directes sur l’Iran. Bien que les récents développements soient relégués au deuxième ou troisième plan dans les journaux locaux, les articles traduisent une réelle inquiétude face à l’intensification des rivalités régionales qui déterminent également la position stratégique et sécuritaire de l’Iran.

Abdolreza Farajirad, politologue et professeur de géopolitique à l’Université libre de Téhéran, a décrit, le 2 décembre, dans le quotidien réformateur Arman Melli la récente offensive des « groupes terroristes » contre Alep. Selon lui, cette attaque marque une escalade dans le conflit syrien, déjà exacerbé par des ingérences multiples de diverses puissances régionales et internationales. « Israël, par exemple, soutient activement les groupes rebelles takfiris1, afin de couper les voies d’approvisionnement du Hezbollah en passant par la Syrie. Il poursuit : La Turquie, méfiante envers les Kurdes de Syrie, pourrait aussi intensifier ses actions. Cette situation complexe pourrait transformer le conflit en une lutte tripartite entre forces gouvernementales, groupes fondamentalistes et forces kurdes, et entraîner une escalade des affrontements. »

Des agents ukrainiens dénoncés

Selon Tasnim (1er décembre), l’Agence de presse des Pasdaran (Gardiens de la révolution) :

Des agents de renseignements ukrainiens auraient pénétré en Syrie via la Turquie au cours des derniers mois et joueraient un rôle actif dans la formation et l’équipement des groupes terroristes. L’Ukraine contribuerait à intensifier les tensions en Syrie : elle vise non seulement les bases russes, mais exacerbe aussi la crise dans le pays afin de piéger d’autres acteurs conformément aux objectifs de l’OTAN. L’Ukraine aurait renforcé les capacités du groupe terroriste Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) dans le nord de la Syrie en leur fournissant des drones-suicides et en mettant en place un atelier de fabrication de drones. Un centre de formation protégé dans la région de Jabal Al-Zawiya, à Idlib, accueille environ 200 combattants étrangers et arabes pour une formation militaire par des officiers ukrainiens avec des armes fournies par Kiev. L’objectif ultime serait de servir les intérêts de l’OTAN et de compliquer la situation pour la Russie au Proche-Orient.

Quant à la Turquie, l’agence de presse Iranian Students News Agency (Isna, 2 décembre) souligne son rôle ambivalent. Elle affiche une opposition farouche aux forces kurdes opérant dans le nord de la Syrie et, d’autre part, elle semble maintenir des relations ambiguës avec certains groupes insurgés. L’opposition d’Ankara envers un éventuel État kurde autonome dans le nord de la Syrie pourrait le conduire à intensifier ses opérations militaires.

Les visées israéliennes

Les acteurs internationaux et régionaux poursuivent des agendas divergents en Syrie, chacun cherchant à maximiser ses intérêts stratégiques selon Etemad (1er décembre), quotidien réformateur, qui souligne que l’intensification des attaques contre Alep coïncide avec l’instauration d’un cessez-le-feu au Liban. Cette coïncidence ne serait pas fortuite et ferait partie d’un plan stratégique orchestré par Israël et ses alliés pour affaiblir la résistance, notamment le Hezbollah. L’article continue :

Israël, sous le gouvernement Nétanyahou, s’efforce de remodeler l’équilibre des forces au Proche-Orient en affaiblissant ses adversaires historiques. Les Kurdes, soutenus par les États-Unis, cherchent à consolider leur présence dans le nord de la Syrie. Cependant, leurs intérêts se heurtent souvent à ceux des fondamentalistes qui, avec le soutien tacite de certains acteurs régionaux, continuent de progresser sur le terrain.

Ici, la Turquie n’est pas nommée directement. Comme le rapporte Jomhouri Eslami (2 décembre), un quotidien qui se veut le porte-parole du régime, les « groupes terroristes » basés à Idlib pourraient chercher à collaborer discrètement avec des puissances régionales pour s’emparer de territoires clés comme Hama et Homs.

Isna rapporte d’ailleurs que la réactivation des « groupes terroristes » à Alep et dans d’autres régions syriennes constitue une menace non seulement pour la stabilité du pays, mais aussi pour celle de ses voisins immédiats. L’article met en lumière les tentatives de ces groupes pour créer un état de chaos durable, alimenté par des interventions extérieures. La Syrie, avec ses infrastructures déjà fragilisées par plus d’une décennie de guerre, risque de devenir un champ de bataille prolongé où les tensions ethniques et religieuses sont instrumentalisées à des fins géopolitiques.

Une offensive diplomatique

C’est la raison pour laquelle Téhéran intensifie ses efforts diplomatiques. Le président iranien Pezeshkian et son homologue russe Vladimir Poutine ont affirmé leur soutien « inconditionnel » à la Syrie. Pezeshkian a exprimé ses préoccupations lors d’une conversation téléphonique, le 2 décembre, avec Bachar Al-Assad, rapportée par Isna. Il a réaffirmé l’engagement de l’Iran à soutenir la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Syrie face aux complots des « groupes terroristes » et de leurs alliés étrangers. Pezeshkian a également souligné l’importance d’une coopération renforcée entre les nations islamiques pour contrer les menaces croissantes. Selon Isna :

Bachar Al-Assad a dénoncé les mouvements terroristes dans le nord de la Syrie comme faisant partie d’une nouvelle phase de guerre orchestrée par les États-Unis et le régime sioniste qui vise à affaiblir l’indépendance et la sécurité de la Syrie. Il a également mis en garde contre les tentatives de redessiner les frontières de la région au profit des intérêts sionistes. Al-Assad a souligné que les pays de la région doivent comprendre que l’axe de la résistance représente une opposition à la domination occidentale et que toute atteinte à cet axe aura des conséquences pour l’ensemble de la région. Il a conclu en affirmant sa certitude que, grâce au soutien des pays comme l’Iran, la Syrie remportera cette guerre.

De son côté, Seyyed Abbas Araqchi, ministre des affaires étrangères, s’est rendu le dimanche 1er décembre à Damas pour exprimer la solidarité de l’Iran. Il a mangé un sandwich au centre-ville dans un fastfood2 pour montrer que la situation était normale. Puis, le 2 décembre, il s’est rendu à Ankara et a annoncé lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue turc que la prochaine réunion du processus d’Astana3 serait consacrée à la coordination des efforts pour stabiliser la Syrie. Araqchi a appelé à une gestion collective et équilibrée des crises régionales et a insisté sur la nécessité de préserver les acquis du processus d’Astana. Il a critiqué le soutien militaire occidental à Israël et a appelé à une cessation immédiate des crimes contre Gaza. Il a également exprimé l’urgence d’envoyer une aide humanitaire à ce territoire, en prévision de l’hiver, et a dénoncé les violations fondamentales des droits des peuples de la région, en particulier en Palestine.

L'image montre deux hommes assis à une table dans un restaurant. L'un d'eux est en train de manger avec une cuillère, tandis que l'autre semble discuter. Les deux hommes portent des costumes et sont entourés de nourriture, y compris des assiettes pleines et des canettes de boissons. L'ambiance semble décontractée, avec un décor moderne en arrière-plan.
Damas, 1er décembre 2024. Seyyed Abbas Araqchi, ministre des affaires étrangères iranien, mange un sandwich dans le quartier de Mazzeh à Damas lors de sa visite en Syrie.
Seyyed Abbas Araqchi / IRNA / X

La situation en Syrie, bien que moins présente dans la couverture médiatique, reste un enjeu stratégique majeur pour le régime, préoccupé par la possibilité que l’Organisation de l’État islamique (OEI) ou d’autres groupes djihadistes puissent affaiblir ou même renverser le régime. Suite à l’affaiblissement de ses alliés, l’Iran cherche-t-il à renforcer son influence régionale par la diplomatie, notamment en établissant des relations solides avec les pays du Golfe, dont l’Arabie saoudite ? Lors de l’ouverture des sommets de la Ligue arabe et de l’Organisation de la coopération islamique, le 11 novembre à Riyad, le prince héritier saoudien a d’ailleurs qualifié l’Iran de « République sœur ».

1Les «  excommunicateur  », extrémistes musulmans considérant tous ceux qui ne souscrivent pas à leur vision de l’islam comme des apostats.

2Voir les images ici.

3Accords signés en mai 2017 entre la Turquie, l’Iran et la Russie pour tenter de stabiliser la situation en Syrie.

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