Syrie : toutes les doctrines, toutes les écoles, toutes les révoltes, n’ont-elles qu’un temps ?

Revue de presse du 24 au 30 juin 2013 · Le paradigme de l’armement de l’opposition monopolise entièrement la réflexion stratégique des Amis de la Syrie sur la manière de mettre un terme à la guerre. Pourtant, la fourniture d’armes aux rebelles n’a encore rien produit qui fasse pencher le sort des combats en sa faveur. La récente décision des Amis de la Syrie de lui fournir le matériel « nécessaire » présente autant d’avantages supposés que d’inconvénients certains. La conception occidentale et arabe selon laquelle l’exportation d’armes vers la Syrie est la seule solution pour résoudre la crise s’oppose à la réalité syrienne et diplomatique. La solution est à rechercher ailleurs.

Affiche italienne du film de David Lean, « Lawrence d’Arabie » (1962).

Armer ou ne pas armer l’opposition syrienne : un dilemme

À l’issue de leur dernière réunion (Doha, 22 juin 2013) les Amis de la Syrie ont recommandé aux États de fournir à l’opposition syrienne le « matériel et les équipements nécessaires » qu’elle réclamait dans son combat contre le régime de Bachar Al-Assad. C’était un euphémisme. Des armes ont été distribuées aux opposants à Assad bien avant la réunion de Doha1,2,3 et il est clair qu’il s’agit désormais de doter l’Armée syrienne libre (ASL) d’armements lui permettant progressivement de rivaliser avec les troupes régulières. La vraie nouveauté est que les Amis de la Syrie se sont créé une obligation politique à l’égard des combattants de l’ASL. Ceux-ci sauront le leur rappeler en cas de manquement de leur part4.

L’annonce de Doha est intervenue après des mois de tergiversation et d’intenses pressions de la part de ceux qui prônent la fourniture d’armes comme de ceux qui y sont résolument hostiles. Armer ou ne pas armer l’opposition syrienne, l’expression revient en leitmotiv du Congrès américain à la Maison Blanche, de Paris et Londres à Berlin5,6,7 (le Qatar, l’Arabie saoudite et peut-être le Koweït n’ont pas ces états d’âme). En dépit de la décision prise à Doha, le dilemme n’est toujours pas tranché8. Le président Barack Obama a accepté que des armes non létales soient distribuées. Mais les avertissements sur la destination finale des armes létales dont dispose l’opposition accroissent les inquiétudes occidentales. Les armes portatives et de missiles détecteurs de chaleur sont au centre des débats parce qu’elles pourraient finir entre les mains de groupes radicaux plus hostiles à Israël qu’au régime d’Assad, tel Jabhat al-Nosra (la problématique de la destination finale des armes a été abordée dans le film de David Lean, Lawrence d’Arabie (voir l’extraitsuivant). Des missiles pourraient aussi rendre inopérante toute zone d’exclusion aérienne9,10. Les dissensions continues au sein du Conseil national syrien ne rassurent personne. La régionalisation du conflit est une source d’appréhension. Les livraisons pourraient être retardées ou rester en grande partie dissimulées. Si les objections contre la fourniture d’armes n’offrent aucune alternative crédible, que faire pour mettre un terme à la guerre en Syrie ?

Armer ou ne pas armer l’opposition syrienne : une problématique dépassée

Selon International Crisis Group (ICG), l’idée qu’un surcroît de militarisation de l’opposition conduirait à la chute du régime ou amènerait le président syrien à changer ses calculs est déconnectée de la réalité11. Outre que le régime n’a connu depuis mars 2011 aucune fracture sérieuse, la détermination des Russes, des Iraniens ou du Hezbollah ne faiblira pas. Mais si la militarisation est vouée à l’échec, que reste-t-il ?

Genève II aurait pu constituer une première réponse, c’est-à-dire une solution diplomatique conduite par les États-Unis et la Russie. À ce stade, cette solution est introuvable même si le principe d’une conférence internationale reste acquis12. On voit mal comment l’opposition et le régime partageraient un pouvoir de transition après plus de deux ans de guerre, plus de 100 000 morts13 , des déplacés par centaines de milliers et alors que le terrain n’a produit ni vainqueur ni vaincu. La solution immédiate consisterait à engager un processus de désescalade qui déboucherait sur un règlement diplomatique. Au préalable, une relecture de la réalité est nécessaire.

Aucune des deux parties ne semble en mesure de vaincre dans un avenir proche, même si le régime a probablement puisé un peu d’optimisme dans ses dernières réussites militaires. Toutes deux ont connu des réussites et des défaites. Les gains ne sont pas toujours significatifs dans la mesure où une défaite de l’une ne signifie pas obligatoirement une victoire pour l’autre14. Toutes deux peuvent compter sur des soutiens indéfectibles en Syrie et à l’extérieur. S’il existe des détracteurs d’Assad au sein même du régime, tous comprennent que sa chute entraînerait celle de l’État et la leur. Ils ne déserteront pas. L’opposition n’est pas plus éliminable. Ses protecteurs internationaux ont tant diabolisé Assad et son régime qu’ils ne peuvent plus faire machine arrière.

Trois options

Selon ICG, les options sont au nombre de trois. La première consisterait à armer massivement l’opposition. Rien ne dit pour autant que le régime serait éradiqué. Il pourrait se réincarner en une myriade de milices dont les connexions régionales prolongeraient une sorte de guerre froide selon des fractures régionales et confessionnelles.

Mettre fin aux affrontements pourrait être obtenu en privant l’opposition de tout armement, favorisant ainsi la victoire du régime, avec lequel il faudrait composer. Outre que le coût moral, politique et stratégique de cette option serait insupportable, il n’est pas certain que tous les Syriens cesseraient de combattre et qu’Assad accepterait les compromis qu’exigerait la communauté internationale.

La solution politique, négociée, reste la seule solution possible même si elle relève encore de l’utopie. Elle impliquerait que Moscou favorise un changement radical des structures du pouvoir en Syrie et que Washington cesse de croire que la chute d’Assad est le seul objectif à poursuivre. Quant aux acteurs régionaux, ils accepteraient les compromis nécessaires à la réussite de cette solution s’ils avaient la garantie que leurs intérêts seraient préservés.

La stratégie occidentale actuelle se situe à la croisée de ces options sans en épouser aucune. Genève II a vocation à faire émerger une solution diplomatique, mais parallèlement des armes continuent d’être fournies aux deux camps. Les représentants d’Assad seront invités à la conférence de Genève II alors que la chute du président reste l’ambition des Occidentaux et des pays arabes du Golfe. Obama a demandé le départ d’Assad dès 2011, mais peine à y contribuer en dotant l’opposition d’armes suffisantes, en quantité et en qualité, pour changer le cours de la guerre.

L’unique solution consiste donc à œuvrer pour qu’un processus de désescalade s’engage. Comme premières mesures, Moscou aurait la responsabilité de convaincre Assad de cesser tout acte de violence gratuite, notamment contre la population civile, et de ne plus utiliser de combattants extérieurs. Washington en ferait autant auprès de l’opposition qui devrait agir contre les forces les plus extrémistes qui la composent et respecter des cessez-le-feu sur des points précis. Ces premières mesures ne sont pas suffisantes pour faire cesser la guerre, mais du moins pourraient-elles engager un processus dont les premiers résultats seraient supérieurs à tout ce qui a été obtenu jusqu’ici.

La lente reconquête du régime

Le régime progresse vers des positions qu’il avait délaissées, abandonnées ou perdues. La lente récupération de Homs entre dans un vaste plan de reconquête. La vieille ville et le quartier d’al-Khalidiya ont été la cible de frappes aériennes par l’aviation15. La prochaine étape pourrait être le quartier de Hamidiyeh, encore tenu par l’opposition. Le 25 juin, le régime a repris le contrôle de Tel Kalakh à la frontière avec le Liban, privant Homs d’un important point de passage. C’est une perte supplémentaire pour la rébellion. Plus grave peut-être, le point de passage n’a pas été repris par la force des armes, mais par abandon de la part des rebelles qui se disent sans illusion sur le sort du soulèvement en Syrie16. Le nord du pays pourrait peu à peu repasser sous le contrôle du régime. Dans la banlieue de Damas, l’armée est intervenue dans Kaboun, al-Tadamoun, Cobar, Mouadamia, Berze et dans la Gouta orientale, dans la banlieue de la ville (21 juin)17.

L’opposition s’est emparée d’une position tenue par le régime dans la ville de Daraa18. Elle a saboté les gazoducs qui alimentent les centrales électriques à Deir Ali, Tichrine et al-Nassirieh dans la région sud19 ; un attentat à la voiture piégée dans le quartier de Bab Sharqi a tué 4 personnes dans la banlieue de Damas20.

La guerre d’usure se poursuit, mais la dynamique penche en faveur du régime. La désertion à Tel Kalakh, le fait que les Russes aient retiré leur personnel de la base navale de Tartous21 et que le Hezbollah ne se soit pas embourbé à Qoussair, comme cela avait été imaginé par les soutiens de l’opposition, donne à penser que le terrain est peu à peu repris par le régime et ses alliés.

Le Liban, caisse de résonance du conflit syrien

Au Liban, de petits groupes soutenus par des services étrangers tentent d’entraîner le Hezbollah dans des affrontements confessionnels22.

Le cheikh libanais, Ahmad al-Assir, menait depuis plus d’un an une campagne de dénigrement du Hezbollah, qu’il dénomme « l’occupation iranienne au Liban ». Il était aussi l’un des plus virulents critiques du régime d’Assad. Il vient de tester l’armée libanaise en déployant dans Tripoli une centaine de ses partisans et, le 23 juin, en prenant l’armée pour cible à Saïda. Douze soldats ont été tués et cinquante autres blessés dans des opérations qui ont duré deux jours. L’initiative du cheikh Assir s’est soldée par un fiasco, mais d’autres groupes tentent de fomenter des troubles interconfessionnels23. Des militants tentent, à Beyrouth, d’établir une ligne de séparation entre quartiers sunnites et quartiers chiites de la ville comme à Tariq al-Jdideh, non loin des camps palestiniens de Sabra et Chatila. Des salafistes palestiniens et syriens s’agrègent à ces petits groupes locaux pour lesquels ils jouent le rôle de réservistes.

1Mark Mazzetti, C.J. Chivers, Eric Schmitt, « Taking Outsize Role in Syria, Qatar Funnels Arms to Rebels », The New York Times, 29 juin 2013.

2Adam Entous, Julian E. Barnes, Siobhan Gorman, « U.S. Begins Shipping Arms for Syrian Rebel », The Wall Street Journal, 26 juin 2013.

4Taylor Luck, William Booth, « Syrian rebels say they need U.S. weapons now », The Washington Post, 26 juin 2013.

5Michael Doran, Michael O’Hanlon, « Obama Needs To Act Now On Syria », Real Clear politics, 25 juin 2013.

6Cheryl K. Chumley, « Angela Merkel warns against arms in Syria : ‘Incalculable’ risks », The Washington Times, 27 juin 2013.

7Jacob Heilbrunn, « Brzezinski on the Syria Crisis », The National Interest, 24 juin 2013.

8Geoffrey Kemp, Christopher Whyte, « Lawrence and the Dilemmas of Arming Rebels », The National interest, 25 juin 2013.

9Ed Krayewski, « Syria’s Civil War an Increasingly International Affair », Reason.com, 27 juin 2013.

12« Brahimi : Delay on international Syria conference », The Journal of Turkish Weekly, 26 juin 2013.

13« Syria death toll tops 100,000, activists say », The Associated Press, 26 juin 2013.

14Jim Muir, « Syria sides head for neither victory nor defeat », BBC News, 25 juin 2013.

17« Syrian capital under heavy fire », The Journal of Turkish Weekly, 24 juin 2013.

21« Russian Military Leaving Syria », Jewish Press News Briefs, 27 juin 2013.

22Nasser Charara, « From Tripoli to Saida, a Map of Lebanon’s Battlegrounds », al-Akhbar, 24 juin 2013.

23Mohammed Zaatari, Thomas El Basha, « Army moves to crush Assir, secure Sidon », The Daily Star, 24 juin 2013.

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