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« The Actor », une série iranienne à rebours des clichés

Auréolée de prix internationaux, la série The Actor passionne, avec ses situations tour à tour cocasses et poétiques, où les barbus n’imposent pas leur loi religieuse, où les femmes mènent (parfois) la danse, etc. Et l’on apprend beaucoup sur la société iranienne, même si, censure et rentabilité obligent, ce sont surtout les couches aisées de la population qui sont mises en scène. Avant d’être diffusée sur la chaîne française Arte, The Actor a été vue par les Iraniens sur des chaînes privées payantes, tolérées sinon encouragées par le pouvoir.

extrait de la série The actor

Depuis le 16 mai, Arte diffuse les huit premiers épisodes de la série iranienne The Actor. La seconde saison, qui en compte neuf, est attendue en fin d’année. Cette comédie noire a remporté le Grand Prix de la compétition internationale au Festival Séries Mania 2023 et le prix du meilleur scénario aux Séoul World Drama Awards en Corée du Sud. C’est la première série iranienne diffusée largement en Europe.

Réalisé par Nima Javidi, The Actor suit les aventures d’Ali et de Morteza, deux comédiens au chômage à Téhéran, interprétés respectivement par Ahmad Mehranfar, acteur connu en Iran, et par Navid Mohammadzadeh, vu dans deux films de Saeed Roustaee (La loi de Téhéran et Leïla et ses frères1). Les deux héros ont pour objectif de mettre en scène une pièce qu’ils ont choisie. Mais, avant cela, ils doivent régler les loyers en retard du lieu où ils répètent — un vieux théâtre fermé — pour éviter d’être expulsés. Ils gagnent donc de l’argent en se déguisant et en jouant chez des particuliers des canulars aux allures réalistes, souvent drôles. Leur situation prend un tournant inattendu lorsqu’un ancien policier leur offre de travailler pour une agence de détectives privés.

Le scénario est riche en rebondissements, à la fois poétique et humoristique, et la production soignée est conforme aux normes cinématographiques occidentales. Les situations semblent parfois improbables dans une société écrasée par l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat, telle celle où un père paie une fortune à cette agence privée pour savoir si sa fille, secrétaire médicale, se drogue, comme l’ont fait remarquer les téléspectateurs iraniens. La maison de retraite pour familles richissimes à la décoration californienne, contraste fortement avec les vies modestes des Iraniens et les situations précaires des acteurs.

La série montre ainsi les inégalités et, plus globalement, la société iranienne où il faut s’adapter, mettre des masques, se déguiser, jouer un rôle aussi bien pour survivre que pour cacher son vrai mode de vie et ses convictions. Le réalisateur met en avant la citation de William Shakespeare en exergue de chaque épisode :

Le monde entier est un théâtre et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Chacun y joue successivement différents rôles.

Contrairement aux films du début des années 2000 qui exploraient les zones rurales et les provinces frontalières en déclin, la nouvelle vague de films et séries se concentre sur les métropoles, à l’instar des œuvres d’Asghar Farhadi, saluées par les festivals européens et aux Oscars2. Elle abandonne les narrations linéaires pour des récits complexes, plus intimes, dans lesquels ces couches urbaines plutôt aisées se retrouvent. L’ambiance citadine et stylée de la série The Actor s’inscrit complètement dans ce mouvement qui a conquis le public européen ainsi que le marché de diffusion dans les pays occidentaux.

Pour ces téléspectateurs habitués à voir des séries américaines ou européennes, découvrir un téléfilm d’un pays sous embargo depuis plus de quarante ans peut susciter la curiosité. Comment vivent les gens dans ce pays autoritaire, leader de « l’axe de résistance » ? Ils seront étonnés de ne pas voir les hommes barbus ni les femmes entièrement voilées, comme ceux qu’ils en ont l’habitude dans les médias, notamment lors des grandes manifestations en Iran. Ils découvriront avec The Actor un monde rempli d’humour et de malice, de jeunes amoureux, de femmes maquillées et une vie apparemment « normale », un peu trop luxueuse sans doute, où la drogue et les relations hors mariage sont banalisées, le tout sur fond de musique rythmée omniprésente, alors qu’on la croyait interdite. C’est une partie de la réalité du pays — une partie seulement.

Les chaînes payantes servent de soupapes

En Iran, Filmio et Namava, réseaux de diffusion de vidéos à la demande (VOD) ont diffusé la série de vingt épisodes il y a plus d’un an. Ces chaînes privées et payantes dites « réseaux domestiques » sont tolérées en parallèle aux réseaux officiels de distributions et de la télévision d’État. Si ces derniers subissent la censure impitoyable, ces chaînes privées sont acceptées, voire encouragées par le pouvoir depuis plus de vingt ans, comme soupapes de sécurité. Ils offrent un large éventail de programmes, allant des films d’action américains piratés et sous-titrés localement à des films iraniens n’ayant pas obtenu l’autorisation de distribution, ou encore des séries que la télévision officielle ne peut diffuser à cause de leurs contenus en dehors des normes établies par le pouvoir, comme le port du voile, les relations femmes-hommes, etc.3. Cela illustre le fossé entre l’apparence et la réalité dans la société iranienne, et souligne la coexistence plus ou moins difficile entre deux modes de vie opposés : la rose et le réséda, ceux qui respectent encore les codes de la société islamique et ceux qui ne le font plus, les dogmes vieillissants et une population jeune et instruite.

Mais au-delà, la diffusion de ces réalisations représente d’énormes enjeux économiques. En 2020, Filmio, appartenant à la société Saba Idea, comptait plus de 400 000 abonnés mensuels, s’arrogeant plus de la moitié des parts de marché des réseaux domestiques. On estime qu’un quart de la population peut accéder à ces réseaux parallèles.

Il reste cet écart sensible entre le quotidien de la majorité des gens et l’image que renvoient cette série et d’autres films iraniens. La vraie vie est bien plus dure, notamment pour les classes moyennes et populaires, avec une inflation à 50 %, des contrats de travail précaires et des pressions sociétales singulièrement sur les femmes et les jeunes. Le décalage est lié, d’une part, aux contraintes idéologiques et aux défis économiques auxquels sont confrontés ces réseaux de diffusion parallèles. Ils doivent naviguer dans un environnement où la censure et les restrictions limitent la capacité des créateurs à dépeindre fidèlement la vie ; ils doivent également répondre aux exigences du marché et à la rentabilité imposées par les producteurs privés.

D’autre part, les festivals et des diffuseurs occidentaux exercent une sélection souvent biaisée des films iraniens. Ces acteurs internationaux tendent à privilégier des œuvres qui correspondent à une vision « exotique » et « vendable » du pays. Cela peut entraîner une distorsion dans la vision d’une société aux multiples facettes.

1« Cinéma : faut-il aller voir Leila et ses frères de Saeed Roustaee ? L’avis du Masque et la plume », France Inter, 5 septembre 2022.

2Parmi ses réalisations couronnées, on peut citer : À propos d’Elly (2009), Une séparation(2011), Le Client(2016), Un héros (2021).

3Shervin Ahmadi, « Le pouvoir iranien perd la main sur les médias », Le Monde diplomatique, juillet 2011.

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