Théâtres d’aujourd’hui dans le monde arabe

Où en est la scène théâtrale dans le monde arabe ? En particulier après les révolutions qui ont induit de multiples transformations politiques et sociales dans les pays. Les réponses de la revue Théâtre public.

Before The Revolution, Ahmed El Attar, 2017
Mostafa Abdel Aty

La représentation théâtrale dans le monde arabe, telle que nous la connaissons dans les sociétés occidentales dans sa forme scène/salle, acteurs/spectateurs est récente et aurait fait son apparition à la fin du XIXe siècle. Sa naissance remonterait à la représentation librement adaptée de L’Avare, El Bakhil, par Maroun Naqqach, au Liban, en 1847.

Cette absence a souvent été attribuée à l’interdit religieux et à une condamnation des artistes, encore plus sévère à l’égard des femmes. Aujourd’hui encore, dans le langage courant, au Maghreb comme au Machrek, on peut considérer comme équivalents, pour une femme, les termes « artiste » et « prostituée »… Une telle analyse amène à faire l’impasse sur les traditions des pays, souvent fondées sur l’oralité et les rituels, et de ne considérer la représentation que lorsqu’elle se produit dans le modèle dominant du théâtre à l’italienne.

Sur les places de village et les usines

Abdelkader Alloula (1939-1994) en Algérie avait posé ce questionnement et lancé un théâtre populaire qui allait se réapproprier la langue : Le théâtre de la khalka (la ronde) qu’il allait jouer sur des places de villages, des marchés, dans des usines… observant que les spectateurs se plaçaient en cercle, et tournaient le dos à l’espace de jeu, pour mieux écouter. L’art du dire allait alors devenir le fondement de la représentation qui utiliserait toutes les modalités de la voix, du chant et de la musique. Il allait surtout jouer en arabe dialectal, afin d’être compris par tous, tandis que le théâtre était resté cantonné jusque là à l’arabe classique, excluant de sa compréhension une grande partie de la population.

Où en est la scène théâtrale dans le monde arabe ? En particulier après les révolutions qui ont induit de multiples transformations politiques et sociales dans les pays.

Pour en parcourir un état des lieux non exhaustif, mais abondamment documenté, on consultera avec intérêt « Scènes politiques du Maghreb au Moyen-Orient », le numéro de juillet-septembre 2019 de Théâtre public que pilote Olivier Neveux, théoricien du théâtre politique et auteur de Contre le théâtre politique (éditions La Fabrique, 2019). Différents chercheurs, mais aussi artistes, qui parlent de leur travail dans un contexte situé, montrent dans ce numéro de la revue comment le théâtre et la performance se renouvellent, s’adaptent et se transforment dans leurs sociétés. Comment, malgré les difficultés de production et de diffusion, les œuvres et les artistes s’enracinent, et, dans un contexte de globalisation, parviennent à circuler davantage, permettant à quelques heureux élus de s’afficher sur les scènes internationales.

Ce sont surtout leurs propositions artistiques, dans leur forme et leur esthétique, qui sont documentées, plutôt que l’évolution de la pratique du théâtre elle-même et sa réception par le public dans son contexte sociopolitique. L’analyse de cette production artistique dans les différents pays montre autant de points de convergences que de singularités régionales ou nationales. Les auteurs ont cherché à interroger les liens entre scènes contemporaines et contexte politique, les révolutions arabes ayant créé un désir de comprendre les changements dans les sociétés, et la création artistique étant un élément clé pour en éclairer les transformations.

Coordinatrice du numéro, avec Yassaman Khajehi et Najla Nakhlé-Cerruti, Pauline Donizeau, dont les travaux portent sur le théâtre égyptien contemporain dans le contexte révolutionnaire, pour lesquels elle a reçu, en 2018, le prix Michel Seurat, documente la scène égyptienne (Hassan El Geretly, Leila Soliman), mais aussi égyptienne (Ahmed El Attar).

Résilience palestinienne

La connaissance du terrain, que ce soit par les universitaires ou à partir des expériences et des parcours des artistes, est la porte d’entrée et le cheminement dans le numéro. Pour le théâtre palestinien, Hala Nassar montre que malgré la crise politique et les difficultés considérables de la vie sous domination coloniale, les productions culturelles témoignent de la résilience des Palestiniens et ne cessent de se développer. Elle met à jour un travail d’archives et montre que déjà sous le mandat britannique, entre 1923 et 1948, le théâtre était en plein essor et qu’il allait aussi servir à alerter sur les mécanismes d’installation du projet sioniste.

Pour le Liban, une des scènes arabes les plus fécondes, on sera saisi par le parcours de Hanane Hajj Ali, relaté par Lena Saadé Gebran. Comédienne, auteure et metteur en scène, Hanane est la compagne de Roger Assaf et dirige avec lui le Théâtre de Beyrouth. Actrice remarquable, elle joue toujours voilée, ce qui ne l’empêche pas de défier la censure et d’aborder la question de la place des femmes et de la sexualité dans son pays, dont elle dénonce les conditions économiques et sociales désastreuses.

Une Orestie irakienne

La création irakienne nous est rapportée à travers l’expérience de fabrication et de circulation d’une Orestie franco-irakienne par Haythem Abdderazak, directeur du département théâtre de l’Institut des beaux-arts de Bagdad, avec Célie Pauthe, directrice du Centre dramatique national de Besançon. On trouve également des éclairages passionnants sur la scène turque et iranienne, l’une comme l’autre, prolifique, et le portrait d’un artiste israélien, en marge des institutions.

On a affaire à des créations qui tournent peu, hormis Faïdhel Jaïbi et Jalila Baccar pour la Tunisie qui, avec Junun, ont été les premiers à jouer une pièce en arabe au festival d’Avignon en 2000, ou plus récemment Hassan El Geretly, Ahmad El Attar et Leila Soliman qu’on a pu voir sur les scènes françaises et européennes.

Faïdhel Jaïbi et Jalila Baccar, dans une démarche critique et politique, ont été — avant d’être nommés à la direction du théâtre national après 2011 — les précurseurs d’un théâtre indépendant qui se positionne contre les régimes. Ce théâtre lutte pour se développer et essaye de se constituer en réseaux. Malgré les difficultés sur le terrain, il parvient à faire naître de nouvelles circulations, notamment des artistes syriens exilés, après 2011. Si la réaction a été très violente à l’égard des révolutions, elles ont aussi donné lieu à la multiplication d’initiatives prises par les jeunes qui veulent se former et faire ce métier.

Après leurs aînés des années 1960 (Abdelkader Alloula, Kateb Yacine pour l’Algérie, Sadallah Wannous pour la Syrie, etc.), les artistes arabes contemporains parviennent aussi à se faire repérer. Ce numéro, foisonnant et ambitieux, permet de mettre un visage et une pensée sur leurs noms.

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