En 1992, pour la première fois depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1962, en plein orage politique, une consultation nationale sur l’agriculture est organisée avec tous les acteurs de la filière sans exclusive, l’administration mais aussi des paysans du privé, un secteur longtemps exclu du jeu institutionnel, des experts reconnus, des banquiers et des scientifiques. Il y a un absent de marque : l’ex-parti unique, le Front de libération nationale (FLN), qui a longtemps imposé ses vues en ce domaine et stérilisé l’innovation par conservatisme, intérêt ou idéologie. Les débats sont donc libres.
Après neuf mois de travaux préparatoires, se tient en mai 1992 durant trois jours leur restitution autour de l’idée-force de la sécurité alimentaire du pays. C’est un impératif majeur — un tiers de la nourriture est importée —, ce qui signifie qu’il faut augmenter la production. Le démarrage n’a lieu que dix ans après, en 2002, avec la nomination de Rachid Benaïssa, vétérinaire et haut fonctionnaire, comme ministre délégué au développement rural — un concept-clé qui vient compléter le souci agricole jusque-là exclusif. Pour moderniser le secteur qui fait vivre tant bien que mal un Algérien sur trois, il faut s’occuper de l’agriculteur, de son logement, de sa formation, de ses voies de communication (routes, internet, téléphone…), de ses liens avec le reste de l’économie, tout autant que des rendements, de l’eau, des engrais ou des tracteurs.
En 2008, son ministère est réuni avec celui de l’agriculture, et Benaïssa aura cinq ans pour commencer à transformer des idées en faits sur le terrain. Une (petite) partie de la rente pétrolière est alors investie dans le secteur, sans excès de clarté ni, bien sûr, d’équité.
Résistance des affairistes et des bureaucrates
Une aventure néanmoins difficile, avec des réussites (maraîchage, moutons) et beaucoup d’échecs (blé tendre, matières grasses). La mise en réseau des diverses institutions qui traitent du sujet est difficile, chacune d’entre elles gardant précieusement ses informations, suivant une tradition solidement enracinée en Algérie.
En 2013, Benaïssa perd son poste, sans doute victime des préparatifs souterrains du quatrième mandat du président Abdelaziz Bouteflika rendu muet par la maladie. Parmi ses adversaires acharnés, le patron de l’Union nationale des paysans algériens (UNPA), mi-organisation professionnelle et mi-syndicat, autorisée à représenter dans la confusion et l’affairisme les agriculteurs, des grands propriétaires fonciers aux khammès (métayers) paupérisés.
Fondée en 1974 pour soutenir la Révolution agraire très contestée du président Houari Boumediene, l’UNPA s’est au fil des ans transformée avec la même direction en un bastion du conservatisme, quand ce n’est pas de l’affairisme. Elle occupe le terrain et empêche de mobiliser les paysans. Les industriels de l’agroalimentaire qui importent leurs matières premières de l’étranger sont réticents à privilégier un approvisionnement local forcément moins propice à la spéculation sur les devises fortes.
Mince réconfort pour les pères de la réforme, la Covid-19 verra l’agriculture algérienne, qui a augmenté ses rendements en céréales d’environ 50 % depuis 1962, faire face tant bien que mal, évitant au pays les files d’attente et la disette souvent rencontrées ailleurs en Afrique, preuve que quand la modernisation n’oublie pas les paysans, cela paye.
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