À Jérusalem-Est, l’archéologie c’est la guerre

Alors qu’à Gaza une guerre ouverte contre les Palestiniens est menée, ailleurs, c’est l’archéologie qui sert de moyen d’asseoir le contrôle israélien sur la Palestine. À travers les fouilles menées dans la « Cité de David », l’association Elad, avec l’appui des autorités israéliennes, poursuit une politique d’annexion « culturelle », ou si l’on préfère, de colonisation de Jérusalem-Est par d’autres moyens.

Site de fouilles au pied d’Al-Aqsa.
© Julie Pronier, mai 2014.

Dans un magasin pour touristes et fondus d’archéologie, des lézardes entaillent les murs. La boutique se trouve à Wadi Hilweh, un quartier de la banlieue palestinienne de Silwan à Jérusalem-Est, à côté de la piscine de Salomon, lieu historique pour les trois monothéismes. « Ils ont décrété qu’il y avait une autre piscine plus bas. La première est un site important pour les musulmans (…). Il y a cinq ou six ans, le ministère du tourisme, la municipalité de Jérusalem, la Direction de la nature et des parcs d’Israël sont venus nous expliquer que le site allait nous permettre d’ouvrir des commerces, que ce serait profitable pour tout le monde », relate son propriétaire, dont l’anonymat sera préservé pour raisons de sécurité. Trois sites d’excavations ont été ouverts dans les années 1990. Les fouilles incluent de nombreux tunnels, creusés jusque sous les maisons palestiniennes de Silwan, entraînant de sévères dommages pour leurs fondations. « Si on pouvait seulement en parler, ce serait bien. Mais chaque fois que quelqu’un essaye, il se retrouve en prison », déplore le propriétaire du magasin.

Pour Jawad Siyam, directeur du Wadi Hilweh Information Center de Silwan, il ne s’agit pas d’anciens tunnels « Ils retirent la terre (…). Vous pouvez voir les brèches dans les maisons, les effondrements ». Les tunnels percés sur ces sites auraient ainsi sérieusement endommagé plus d’une quarantaine de maisons — l’une d’entre elles s’est en partie effondrée —, une mosquée, trois magasins et une école.

« La raison pour laquelle nous creusons si vite est que les Palestiniens pourraient se soulever et prendre le contrôle du site (…). Ils n’aiment pas nous voir creuser ici. Ils pourraient, une fois le contrôle repris, tout recouvrir au bulldozer », déclare de son côté un guide de l’association israélienne Elad, gestionnaire des sites, aux visiteurs du premier chantier de fouilles situé au pied de la mosquée d’Al-Aqsa — le troisième lieu saint de l’islam.

Silwan, chantier de fouilles sous les maisons

Une gestion controversée

L’objectif d’Elad est explicite : « révéler à la population le glorieux passé de l’Ancien Jérusalem à travers quatre initiatives clés : les fouilles archéologiques, le développement touristique, les programmes éducatifs et la revitalisation résidentielle. » Elad veut démontrer par ces fouilles une présence historique juive à travers la découverte des restes de la « Cité de David »1, du roi du même nom. L’association a ainsi développé un programme touristique orienté vers les jeunes militaires en service et les étudiants, et tente de transformer progressivement le quartier de Wadi Hilweh en parc touristique. L’expression « revitalisation résidentielle » fait quant à elle référence à une politique de colonisation progressive avec l’implantation de familles israéliennes juives dans la zone.

Elad, qui signifie « la Cité de David » en hébreu2 est l’acronyme d’une organisation à but non lucratif créée à la fin des années 1980 par l’ex-commandant d’unité d’élite David Be’eri, connu pour avoir heurté deux enfants palestiniens avec sa voiture après qu’ils lui avaient lancé des pierres3. D’après l’association américaine T’ruah : the Rabbinic call for Human Rights4, elle serait financée à hauteur de 2 à 4 millions de dollars par an par la fondation Friends of Ir David, Inc (ou American Friends of Ir David) basée aux États-Unis.

Autobus touristiques au pied du quartier de Silwan

Depuis 1997, Elad est chargée d’administrer le site de la Cité de David. La responsabilité lui en aurait été cédée en 1998 par la Direction de la nature et des parcs d’Israël sur ordre du ministère de l’environnement israélien5. La propriété du site n’est cependant pas claire. Le Fonds national juif (Jewish National Fund, JNF) en aurait progressivement acquis les terres dans les années 1930. Elad aurait travaillé pour le JNF, qui aurait ensuite passé le relais à la Direction de la nature et des parcs — un accord ayant été signé au préalable entre le JNF et Elad afin d’assurer à ce dernier le statut de gestionnaire.

Cet accord de gestion signé entre Elad et la Direction de la nature et des parcs et renouvelé en 2005 a été remis en question en 2011 par l’association Ir-Amin devant la Cour suprême de justice israélienne, qui a cependant débouté la demande, sur la promesse que la Direction de la nature et des parcs renforcerait sa supervision de la gestion du parc par la Cité de David et que l’association n’en aurait pas le contrôle total.

Un rapport interne6 pointe un flou notable dans les relations entretenues entre l’institution publique et Elad. Le superviseur du site pour la Direction de la nature et des parcs, Assaf Avraham, verrait 50 % de son salaire et sa voiture (ainsi que son entretien) pris en charge par Elad, l’entité même qu’il est supposé contrôler. Les relations entre la Direction et l’association semblent également facilitées par le fait que Evyatar Cohen, le responsable de l’organisme public pour Jérusalem-Est — un colon —, est lui-même un ex-dirigeant d’Elad.

Ouvrier sur le site de fouilles de la« Cité de David »

Des fouilles idéologiques

L’Autorité israélienne des Antiquités (Israel Antiquities Authority, IAA) se trouve en porte-à-faux entre la Direction de la nature et des parcs et Elad. Les archéologues travaillant sur le site dépendent en effet des services de l’IAA mais l’un des 40 archéologues, resté anonyme, indique être employé par Elad. Par le passé, l’IAA s’est révélée très critique à propos de l’association. Le président du bureau de l’Autorité des antiquités, Benjamin Kedar, l’aurait en effet qualifiée d’« organisation à l’objectif idéologique affiché, présentant l’histoire de la Cité de David de manière biaisée. » Doron Ben Ami, archéologue en charge du site depuis sept ans, dément ces accusations, assurant que les chercheurs sur le site sont libres de toute influence de la part d’Elad et ne dépendent que de l’IAA.

D’après un rapport de 2010 du Ma’an Development Center, « les fouilles archéologiques permettent aux colons de créer une continuité territoriale souterraine entre les sites situés dans des zones palestiniennes densément peuplées et dont ils prennent le contrôle en creusant des tunnels sous les maisons palestiniennes. » Pourtant, les recours sont rarement possibles pour les habitants. Une demande de suspension des fouilles présentée à la Cour suprême israélienne par les habitants de Silwan a été rejetée au motif que cette zone fait partie du patrimoine juif. Les fouilles peuvent donc continuer. « Nous n’avons aucune chance de les stopper, nous allons devant la Cour de temps en temps, les fouilles s’arrêtent quelques mois. Nous espérons que l’Unesco, un jour, fera quelque chose. Ils critiquent, ils écrivent des rapports mais ils ne font rien », déplore Jawad Siyam.

Un récent rapport de l’Al-Aqsa Foundation for Endowment and Heritage fait état de la destruction du patrimoine historique musulman et arabe lors de ces recherches7. Pour Siyam, « ils utilisent l’archéologie comme outil pour atteindre leurs objectifs idéologiques (…). Le patrimoine historique n’a pas d’importance pour eux, ils ne se soucient que de leur propre histoire. »

Prendre le contrôle de l’enceinte d’Al-Aqsa

« S’ils affaiblissent la zone est, c’est-à-dire Silwan, il devient facile d’atteindre Al-Aqsa. C’est la seule zone directement connectée à Al-Aqsa. Les colons tentent d’obtenir le contrôle total de la zone. Ils en contrôlent actuellement 35 %. Ils considèrent cette zone comme étant “verte”. Ça sonne bien », commente encore Siyam. Qui fait l’amer constat que les colons membres de l’association Elad tentent de prendre le contrôle de l’enceinte d’Al-Aqsa, depuis le Mur des Lamentations situé dans la vieille ville jusqu’à la Cité de David à Silwan, ce que confirme une déclaration de David Be’eri, dans une interview d’avril 2009 : « Aujourd’hui, 70 % de la colline de la Cité de David sont entre les mains des Israéliens, et l’idée est d’acquérir des bâtiments sur le Mont Zion, situé à côté, afin de créer un continuum avec le quartier juif [de la vieille ville] »8

Menachem Klein, ex-membre de l’équipe israélienne de négociateurs à Camp David, spécialiste de Jérusalem et professeur à l’université Bar-Ilan, rappelle que Silwan se différencie des autres lieux d’implantation de colons et de fouilles dites « archéologiques » par sa localisation au pied même de la vieille ville et, plus exactement, de la mosquée d’Al-Aqsa, « dans une zone que le gouvernement israélien de droite et les colons veulent constituer en anneau autour de la vieille ville en mettant en place des outils de contrôle (…). Silwan est particulièrement important du fait de son importance archéologique pour les juifs, une rhétorique servant à justifier, pour Israël, le contrôle de la vieille ville de Jérusalem (…) ». Pour lui, les millions de visiteurs accueillis chaque année sur le site par Elad servent à valider un processus de colonisation engagé à Jérusalem-Estdans les années 1980 et qui s’est fortement accentué depuis les années 2000, avec l’arrivée au pouvoir du Likoud.

La mosquée Al-Aqsa vue de l’entrée de Silwan

La course pour le contrôle du mont du Temple où se trouve la mosquée d’Al-Aqsa prend aussi la forme d’incursions de plus en plus fréquentes de groupes de colons9 sous haute garde et de soldats israéliens10, entraînant de violents affrontements et la fermeture régulière du site aux croyants musulmans.

Pour Menachem Klein, ces actions ont un potentiel explosif conséquent à Jérusalem où religion, histoire et occupation israélienne se mêlent sans distinction : « les mobilisations de masse [à l’étranger et sur place] ont généralement lieu quand les Israéliens mettent en place une opération armée et tuent de nombreux Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza (…). Lorsque des civils meurent, alors les manifestations s’étendent à travers toutes les capitales européennes (…). Mais on ne sait jamais, Al-Aqsa pourrait allumer la mèche, même sans morts. » Jawad Siyam affirme quant à lui que les habitants de Silwan sont déterminés à rester et à lutter : « ce n’est pas comme en 1967, quand certains ont décidé de partir, pour de multiples raisons. Cela n’arrivera plus. Les gens sont bien plus obstinés. »

1NDLR. La Cité de David est, selon la Bible, l’emplacement d’origine de la vieille ville de Jérusalem à l’époque du roi David. Elle était située au sud du mont du Temple — le « Noble Sanctuaire » des musulmans.

2Également dénommée Ir David Foundation.

3Lire à ce sujet Melanie Lidman, « Elad director runs over rock-throwing youths in Silwan », The Jerusalem Post, 10 août 2010.

4Anciennement dénommée Rabbis for Human Rights, North America – Rabbins pour les droits humains.

5Akiva Eldar, « The very eye of the storm - Silwan », Architects and Planners for Justice in Palestine (apjp.org), 4 avril 2009

6Nir Hasson,« Rightist NGO Elad defied court over City of David, report reveals », Haaretz, 13 janvier 2014 (édition abonnés).

8Cf. note 4.

9Al Gad, « Israeli settlers storm Al-Aqsa Mosque and climb Dome of the Rock », Middle East Monitor, 17 janvier 2014.

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