Accablé par les sanctions et le Covid-19, l’Iran se tourne vers la Chine

Le projet d’accord entre l’Iran et la Chine, qui s’apprête à investir massivement dans l’industrie et les transports, crée la polémique, même à Téhéran. Mais la population se préoccupe surtout de la forte reprise de l’épidémie de Covid-19 et de la crise économique qui s’installe. Et le pays se mobilise sur les réseaux sociaux pour empêcher la mise à mort de jeunes acteurs du mouvement social de novembre 2019.

Téhéran, 4 août 2020. Une femme faisant du shopping avec masque et visière, à cause du retour de la pandémie Covid-19 dans la capitale.
Atta Kenare / AFP

La polémique sur un projet d’accord entre la Chine et l’Iran rapproche deux hommes que pourtant tout oppose. Le 28 juin 2020, l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad a accusé dans un discours devant ses partisans le gouvernement d’avoir signé « un accord de 25 ans avec un pays étranger loin des yeux de la nation iranienne ». Peu après, Reza Pahlavi, le fils du défunt chah, a condamné à son tour un traité « honteux » qui ne sert, selon lui, qu’à dépouiller l’Iran et à installer des armées sur son sol – alors même que le chah avait autorisé treize bases militaires et trois centres d’écoute américains...

Une vague d’infox a submergé les réseaux sociaux, affirmant entre autres que l’île de Kish, dans le golfe Arabo-Persique, avait été vendue à la Chine. Le porte-parole du ministre des affaires étrangères, Abbas Moussavi, n’a pas tardé à riposter en précisant que l’idée de cet accord remontait au voyage du président chinois Xi Jinping à Téhéran en 2016. Après avoir été préparé à Téhéran, il avait été proposé à la Chine par le ministre des affaires étrangères Mohammad Zarif lors d’un voyage à Pékin en août 2019.

Infrastructures de transport et assistance militaire

Le New York Times a publié le 11 juillet un extrait de ce projet d’accord. Pékin s’engagerait à investir près de 400 milliards de dollars (339 milliards d’euros) durant les vingt-cinq prochaines années dans des constructions d’usines et surtout dans des infrastructures de transport, notamment « vertes », avec des liaisons ferroviaires électriques. L’Iran deviendrait ainsi un passage stratégique des nouvelles « routes de la soie », reliant le Xinjiang à l’Asie centrale, puis à la Turquie et in fine à l’Europe, afin d’exporter plus facilement les produits chinois vers le marché européen. En contrepartie, l’Iran accorde des prix préférentiels à la Chine pour l’achat d’hydrocarbures.

L’accord prévoit également une coopération militaire incluant le développement d’armes et le partage de renseignements afin de lutter « contre le terrorisme, le trafic de drogue et d’êtres humains ». Il pose aussi les termes d’une alliance militaire, essentiellement aérienne et navale, entre l’Iran et la Chine qui pourrait être étendue à la Russie. En décembre 2019, les trois pays ont organisé pour la première fois des manœuvres navales conjointes en mer d’Oman et dans l’océan Indien, non loin du détroit d’Ormuz.

Ainsi, la Chine profite du vide laissé par les Américains pour s’installer plus solidement dans la région. Pour l’Iran, c’est un choix par défaut et la conséquence de l’abandon par les États-Unis de l’accord sur le nucléaire. En dévoilant, au moins partiellement, ce plan qui doit encore être ratifié par le parlement, l’Iran montre aux Américains et à leurs alliés qu’il a des options face à leur intransigeance et à l’intensification des sanctions.

Tentatives d’apaisement en Irak

Celles-ci, les plus rigoureuses depuis la révolution de 1979, n’ont impacté l’activité régionale de l’Iran ni en Syrie, ni au Yémen, ni en Irak. Certes, Téhéran joue l’apaisement en Irak et essaye de diminuer les tensions avec l’Arabie saoudite. L’arrivée au pouvoir du nouveau premier ministre irakien, Mustafa Al-Khadhimi, qui s’est rendu à Téhéran le 21 juillet, ne pouvait se décider sans le soutien des alliés de l’Iran. Selon Middle East Eye, Téhéran aurait accepté de soutenir la nomination de l’ancien chef des renseignements irakiens au poste de premier ministre en contrepartie du dégel de certains de ses actifs visés par les sanctions. Les États-Unis auraient accepté une désescalade militaire dans le Golfe et de « détourner le regard » si un pays tiers en Europe libérait certains actifs iraniens. Vraisemblablement, il s’agit des actifs détenus par Clearstream, filiale de la Deutsche Börse, une chambre de compensation basée au Luxembourg. Un tribunal luxembourgeois a bloqué la demande américaine de transférer 1,6 milliard de dollars ( 1,35 milliard d’euros) d’avoirs iraniens aux victimes des attentats du 11 septembre.

Une mystérieuse série d’explosions

Il existe des signes d’apaisement entre l’Iran et les États-Unis. En juin 2020, un ancien de la marine américaine, Michael White, a été libéré par l’Iran au lendemain de l’arrivée à Téhéran d’un scientifique iranien, Cyrus Asgari, relâché par Washington. Michael White avait été arrêté en juillet 2018. Mais en même temps, une série d’explosions, comme celle du complexe nucléaire de Natanz, renforce les rumeurs de sabotages organisés par les Américains et leurs alliés. L’Iran a annoncé avoir établi « avec précision » les causes d’un incendie qui seront dévoilées au « moment opportun ».

La BBC en persan a indiqué avoir reçu un communiqué d’un groupe se faisant appeler « Les Guépards de la Patrie », qui se présenteraient comme des « dissidents au sein de l’appareil sécuritaire iranien ». Les Iraniens ne semblent pas avoir pris cette information au sérieux mais les explosions continuent. La dernière en date, dimanche 19 juillet, a frappé la centrale électrique d’Ispahan.

Treize provinces dans le rouge

Quoiqu’il en soit, la direction iranienne est avant tout préoccupée par la situation intérieure. Une deuxième vague de Covid-19 frappe l’Iran. Le président Hassan Rohani a affirmé que 25 millions de citoyens ont été touchés par le virus. Après une accalmie, le nombre de victimes a augmenté pour atteindre plus de 200 morts par jour. Un confinement partiel d’une semaine a été instauré dans la capitale, mais les autorités refusent un confinement intégral dont les conséquences pour les couches populaires seraient désastreuses. Treize provinces d’Iran sont en rouge et seize autres en état d’alerte. Le Covid-19 a réapparu après les fêtes de fin de ramadan et le relâchement qui s’en est suivi. Le docteur Alireza Zali, responsable du comité de lutte contre le Covid-19 à Téhéran, estime que 70 % des nouveaux malades hospitalisés avait voyagé dernièrement et a demandé de prolonger le confinement dans la capitale.

La peur du virus n’est pas la seule source d’angoisse de la population. La valeur de la monnaie locale a plongé par rapport au dollar pour s’effondrer à 24 000 tomans pour 1 dollar. Cette nouvelle chute se traduit inexorablement par une inflation grimpante. Paradoxalement, la Bourse de Téhéran s’envole et forme une bulle spéculative. Privé de ses revenus pétroliers, le pouvoir a décidé de vendre une partie des biens de l’État en les introduisant en bourse, comme le groupe Imidro, un holding de 8 sociétés et 55 filiales spécialisées dans la métallurgie et la sidérurgie. Or, un marché boursier en hausse permet de vendre ces biens largement au-dessus de leurs valeurs.

L’économiste Frashad Moemeni et le professeur d’université Alameh Tabatabi décrivent ce mécanisme : « L’action de certaines entreprises en faillite a été multipliée par quatre dans le contexte de bulle boursière. L’État peut ainsi vendre ses entreprises plus chères et obtenir de l’argent pour faire face à la crise financière. Ce gonflement des actions des entreprises malades via l’effacement de leur dette ne peut qu’imposer plus de charges à moyen terme à l’économie du pays. » Ahmad Tavakoli, ancien député conservateur et membre du Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime, s’oppose lui aussi à cette démarche : « Après le pillage des biens de la nation au nom de la privatisation, ils cherchent à vendre le reste au nom du partenariat public-privé : les écoles, les universités, les hôpitaux et les stades. »

La vie est devenue très chère mais il n’y a pas de pénurie, contrairement à d’autres pays sous sanctions américaines comme le Venezuela. Les magasins sont ravitaillés et les couches favorisées ne connaissent pas les difficultés de ceux qui sont obligés de travailler pour se nourrir et de prendre le métro, souvent bondé. Même si le Covid-19 tue les riches comme les pauvres, la vie n’a pas le même sens dans les tours ultra luxueuses du nord de Téhéran que dans les banlieues sud de la capitale. Pourtant les mouvements sociaux n’ont plus la même ferveur qu’avant la pandémie. En Iran comme ailleurs, le Covid-19 a momentanément essoufflé les protestations.

Mobilisation numérique contre des exécutions

En revanche, depuis début juillet, le hashtag « e’daam nakonid » (#NeLesExécutezPas) circule par millions sur les réseaux sociaux. Il vise à sauver la vie de trois jeunes gens condamnés à la peine capitale par la quinzième chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran, en charge des affaires de sécurité nationale. Considérés comme mohareb (en guerre contre Dieu), ils sont accusés d’avoir fait partie des « meneurs d’émeutes » en novembre 2019 contre la hausse du prix d’essence. Leurs avocats ont dénoncé des enquêtes à charge et des aveux arrachés sous la torture. Mais la Cour suprême a confirmé la sentence le 14 juillet dernier, jour où la diffusion du hashtag a battu un record en dépassant les 8 millions.

Plusieurs personnalités à l’intérieur du pays comme à l’étranger, comme le cinéaste Asghar Farhadi, l’acteur Shahab Hosseini et les actrices Golshifteh Farahani et Taraneh Alidousti ont soutenu l’appel. Le violoncelliste américain YoYo Ma l’a relayé en musique en accompagnant l’instrumentiste iranien Kayan Kalhor. L’arrière-petit-fils de Khomeini a demandé sur son compte Instagram la clémence islamique. De leur côté, Donald Trump et Benyamin Netanyahou ont soutenu sur Twitter la demande d’arrêt des exécutions, provoquant une vague de réactions à leur tour.

Parmi elles, celle de Mohammad Ali Abtahi, membre de l’Assemblée des religieux combattants, qui a écrit : « M. Trump, #Nelesexécutezpas est notre affaire interne. Cela n’a rien à voir avec vous. La ligne des opposants à l’exécution de ces trois personnes, dont la plupart sont des Iraniens écrasés sous le poids de vos sanctions, est distincte de la vôtre. »

Des Iraniens de différents bords convergent et prennent conscience de leur force. Nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas que leur mouvement soit récupéré et instrumentalisé par les Américains. Reste à savoir comment le pouvoir tiendra compte de ce rapport de force.

Après bien des hésitations, l’appareil judiciaire a décidé qu’il allait étudier les demandes d’appel.

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