25 878 €Collectés
40%
65 000 €Objectif
22/47Jours

L’espérance israélienne d’une révolte populaire en Iran

Au lendemain de l’attaque israélienne du 13 juin, le premier ministre Benyamin Nétanyahou a appelé les Iraniens à se soulever contre le « régime maléfique et oppressif ». Cette position n’a rien d’inédit. Le soutien à l’opposition, notamment royaliste, est un leitmotiv de la rhétorique d’Israël, qui s’est souvent présenté comme un « allié » du peuple iranien.

Un homme à moto passe devant une grande affiche avec des portraits et des motifs décoratifs.
Téhéran, le 14 juin 2025. Un homme passe en moto devant une affiche montrant les portraits de généraux de l’armée iranienne et de scientifiques nucléaires tués lors de l’attaque israélienne du 13 juin.
Atta KENARE / AFP

Pour Israël comme pour les États-Unis, l’élimination ciblée de hauts responsables du régime iranien, conjuguée à la disparition de la peur de la répression, pourrait conduire à un soulèvement de masse. C’est ce scénario que Tel-Aviv semble poursuivre à travers ses bombardements, avec le soutien actif de Washington et de ses alliés. Un scénario toutefois peu réaliste.

Nul doute, la République islamique a perdu sa base populaire. Mais ce que beaucoup d’analystes sous-estiment, c’est la profondeur du nationalisme iranien que partagent même ceux hostiles au pouvoir actuel. Ce sentiment, historiquement ancré, de même qu’une certaine animosité pour l’Occident, demeure puissant. On peut donc se demander si les déclarations de Nétanyahou ne vont pas avoir l’effet inverse : rallier la population autour d’un régime. Cette réaction n’aura toutefois pas les allures d’une mobilisation de masse en faveur du pouvoir en place, comme ce fut le cas pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988).

Ni Nétanyahou ni le régime

La répression des mobilisations contestataires par le régime iranien au cours des dernières années a profondément marqué la société. Outre le mouvement « Femme, Vie, Liberté » qui a ébranlé le pays en 2022, les manifestations déclenchées par la hausse brutale du prix de l’essence en 2019 ont largement touché les quartiers populaires et les bidonvilles, faisant à chaque fois plusieurs centaines de morts. C’est pourquoi le régime renforce son contrôle et impose des restrictions sur Internet, notamment sur les services de messagerie. Au lendemain de l’attaque israélienne, Sardar Radan, chef de la police, a également appelé la population, à signaler tout comportement ou action suspecte aux autorités et plusieurs dizaines de personnes ont été arrêtées pour diffusion de fausses nouvelles propres à semer l’alarme dans la population1.

Sauf surprise, une grande partie de la population restera indifférente, refusant de jouer le jeu de Nétanyahou comme celui du pouvoir en place. Les ravages de la politique néolibérale engagée depuis le second mandat du président Hachemi Rafsandjani (1994-1997) sont profonds : elle a engendré une bourgeoisie compradore2, en particulier financière, aussi arrogante que celle de l’époque du chah. Ceux qui ont pris le pouvoir après la révolution de 1979 venaient des quartiers populaires du sud de Téhéran. Désormais, ils vivent dans les quartiers huppés du nord de la capitale et ont perdu le contact avec la population qu’ils prétendent représenter.

L’Occident et « le reste du monde »

Avant l’attaque israélienne, le quotidien des Iraniens était marqué par les difficultés. La vie chère étouffait une grande partie de la population, et les tensions sociales continuaient de monter, bien après la fin du mouvement « Femme, vie, liberté », comme en témoigne la grève des chauffeurs routiers fin mai 2025, annonçant une nouvelle phase de contestation.

Malgré ce climat tendu, des signes de changement sociétal étaient visibles. De plus en plus de jeunes filles circulaient sans voile, y compris dans les quartiers populaires du sud de Téhéran et les banlieues pauvres de Karadj, à une quarantaine de kilomètres de la capitale. Pendant ce temps, les centres commerciaux les plus chics, regorgeant de produits occidentaux, poussaient à un rythme soutenu. Une partie de la classe moyenne — pas nécessairement la plus aisée — les fréquente régulièrement, moins pour consommer que pour s’y promener ou se distraire. Le vendredi, ces espaces attirent désormais plus de monde que les prières officielles organisées par le régime.

Au sein du régime, l’attaque israélienne a relancé un débat sur la stratégie à adopter. Des voix proches des milieux conservateurs commencent à s’élever à Téhéran pour dire que les négociations avec les États-Unis n’étaient qu’un piège tendu par Donald Trump, qui aurait toujours eu en tête une attaque contre l’Iran. Certains plaident même pour que le pays se retire du Traité de non-prolifération (TNP) et se dote de l’arme nucléaire, seule véritable dissuasion. Mais, pour l’instant, aucun changement officiel n’a été acté dans la doctrine nucléaire.

Le soutien de l’Arabie saoudite

Si l’agression israélienne a été justifiée par les pays occidentaux, elle a été condamnée par la quasi-totalité des pays du « Sud global » ; y compris par tous ceux du Golfe, avec qui Téhéran s’est rapproché ces dernières années. Dans une conversation le 14 juin avec le président Massoud Pezeshkian, le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman (MBS) a « condamné et dénoncé » une attaque qui constitue « une violation du droit international »3. Les deux grands alliés de l’Iran, la Russie et la Chine, ont également condamné ces attaques, tout en gardant une attitude passive. Si le conflit devait s’intensifier et s’étendre à la région, notamment avec une intervention états-unienne, comment réagiraient-ils ?

Pour l’instant, la vie continue à Téhéran. Le taux de change du dollar, baromètre de l’économie, reste stable. La grande question qui se pose est celle de l’adaptation de la population à cette nouvelle réalité, alors qu’Israël vise les installations pétrolières et que tous les vols intérieurs ont été suspendus. Depuis la fin de la guerre contre l’Irak en 1988, les Iraniens n’ont pas connu de frappes de missiles sur leur territoire, si ce n’est durant les brefs affrontements de l’année 2024. Une grande partie d’entre eux est née après cette guerre. Comment affronteraient-ils un changement aussi profond dans leur quotidien si ces attaques venaient à se prolonger ?

1Iran Students News Agency (ISNA), 14 juin 2025.

2NDLR. La bourgeoisie compradore est une frange de la bourgeoisie des pays dominés, dont la richesse et les intérêts sont directement liés à ceux des puissances étrangères.

3Agence de presse saoudienne, 14 juin 2025.

Soutenez Orient XXI

Orient XXI est un média indépendant, en libre accès et sans publicité.
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don défiscalisé.