À l’ordre du jour de la 27e Conférence des parties (COP) qui s’ouvre en Égypte : plus de financements, plus de coopération, moins d’énergie fossile. Pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (ANMO), ce sont autant de défis à relever pour une région qui connaît de fortes disparités économiques, où les conflits armés sont nombreux et dont la dépendance aux énergies fossiles semble difficile à surmonter. Le changement climatique y demeure, plus qu’ailleurs, une réalité qui impose aux États et aux sociétés de s’adapter afin d’en limiter les effets délétères.
Des responsabilités inégalement partagées
Les rapports successifs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, IPCC en anglais) sont unanimes pour présenter un état de la recherche scientifique accréditant l’hypothèse d’un réchauffement de l’atmosphère dû aux émissions de gaz à effet de serre (GES) d’origine anthropique. Ce réchauffement engendre à son tour un changement climatique dont les répercussions sont déjà palpables, mais qui ne touche pas de manière identique les différentes parties du globe. Excepté les régions polaires ou de hautes montagnes, la région ANMO est la plus vulnérable aux futurs bouleversements. Mais quelle est sa part de responsabilité dans ce phénomène ? La notion de responsabilité a-t-elle un sens dans son cas, quand les disparités socio-économiques sont si grandes entre États et à l’intérieur même de ceux-ci ?
La planète a émis 34 millions de kilotonnes (kt) de CO2 en 2019 ; 7 % de ces émissions, soit 2,5 millions de kt, sont dues aux pays de l’ANMO.
Les différences sont considérables entre le Yémen qui a émis 11 000 kt et l’Iran 630 000 kt, ce qui en fait le sixième émetteur mondial. Comparés aux gros pollueurs tels que la Chine, les États-Unis et l’Inde, les pays de l’ANMO ont une part relativement modeste dans le total. Néanmoins, lorsque l’on s’intéresse aux émissions par personne, le bilan est beaucoup plus noir. En effet, sur les 10 premiers émetteurs de CO2 par personne dans le monde, 6 font partie des pays du Golfe. Encore une fois, on remarque des contrastes importants entre les 0,4 tonne/personne pour les Yéménites contre 32 tonnes/personne pour les Qataris ; la moyenne pour la région s’élevant à 5,6 tonnes/personne (4,5 à l’échelle mondiale). On notera la corrélation entre les émissions de dioxyde de carbone et le niveau de richesse. Ainsi, le PIB/habitant est de 690 dollars/an (691,05 euros) pour le Yémen, alors qu’il monte à 60 000 dollars/an (60 091,5 euros) pour le Qatar, 90 fois plus élevé. Nous avons choisi ici les deux extrêmes pour illustrer le contraste. La moyenne de la région tourne autour de 7 700 dollars/an (7 711,74 euros) environ.
Le développement urbain peut aussi expliquer la part croissante des émissions. Le secteur de la construction, gourmand en béton (15 % de la production mondiale localisée au Proche-Orient), mais surtout le mode de vie citadin accroissent exponentiellement la consommation d’électricité. L’usage de la climatisation poussée souvent à l’excès, en plus de la consommation électrique, émet un GES particulièrement actif, l’hydrofluorocarbone.
C’est néanmoins la combustion d’énergies fossiles lors de l’extraction ou pour des besoins énergétiques qui libère le plus de GES. Et dans ce domaine, l’ANMO tient un rôle central dans la mesure où près de 65 % des réserves d’or noir y sont localisées et 7 des 13 membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) sont de la région. La dépendance à la rente pétrolière (ou gazière) est donc un obstacle que ces pays vont devoir franchir s’ils veulent réussir leur transition écologique.
Un impact déjà ravageur
Pour l’ANMO, le changement climatique a d’ores et déjà commencé à montrer ses effets. Entre 1960 et 1990, la température a augmenté de 0,2 °C par décennie et depuis, le rythme s’est accéléré. Les conséquences sur la région, qui connaît une diversité de climats et de paysages à l’échelle locale, même si l’aridité est la caractéristique principale, tendent à :
➞ une hausse globale des températures ;
➞ une pression accrue sur les ressources en eau ;
➞ une augmentation, si ce n’est en nombre, au moins en intensité, des événements climatiques extrêmes (sécheresse, vague de chaleur, inondation) ;
➞ la montée du niveau moyen de la mer.
Pour la prochaine conférence de Paris sur la biodiversité (COP15) du 5 au 17 décembre à Montréal1, les experts du GIEC avancent une hausse de la température globale d’ici 2050 comprise entre 2 °C et 4 °C, en fonction des scénarios. Du fait de son environnement, l’ANMO devrait connaître une hausse plus élevée encore. Les températures devraient augmenter, en moyenne de 3 à 4 °C pour un scénario de hausse globale à 2 °C, et jusqu’à + 8 °C pour un scénario de hausse globale à 4 °C. Le réchauffement moyen se concentrerait surtout sur les mois d’été, ce qui fait craindre la multiplication des vagues de chaleur. La répartition spatiale de cette hausse est aussi inégale. En effet, les zones désertiques d’Algérie, d’Arabie saoudite ou d’Irak seraient en première ligne sur le front du réchauffement climatique.
À titre d’exemple, voici quelques données qui illustrent les prévisions des experts concernant le changement climatique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient :
➞ les nuits les plus chaudes ont actuellement une température moyenne en dessous de 30 °C. Elles devraient dépasser ce seuil dès 2050, et pour le scénario + 4 °C, elles devraient même atteindre les 34 °C d’ici la fin du siècle ;
➞ les températures maximales, de 43 °C en moyenne aujourd’hui, devraient approcher les 47 °C au milieu du siècle, et 50 °C en 2100, pour le scénario le plus pessimiste ;
➞ en ce début de XXIe siècle, les vagues de chaleur durent en moyenne 16 jours. À l’horizon 2050, leur durée devrait atteindre 80 à 120 jours, et jusqu’à 200 jours si la température globale augmente de 4 °C.
Les indicateurs relatifs aux précipitations sont les plus incertains. Les projections sont sujettes à caution tant les modélisations sont hypothétiques. On peut néanmoins apercevoir certaines tendances générales, qui ne laissent rien présager de bon concernant l’ANMO. Dans un monde à + 2 °C, les pays qui bordent la côte méridionale de la Méditerranée devraient voir le montant annuel des précipitations diminuer, tandis que le littoral de l’océan Indien, soumis au régime des moussons, serait plus arrosé. D’une manière schématique, au nord du 25e parallèle on devrait assister à une baisse généralisée des précipitations, qui, associée à l’accroissement de l’évaporation (due à la hausse de la température), engendrerait une désertification de la zone, alors que la partie au sud du 25e parallèle serait plus humide. D’un côté ou de l’autre de cette ligne imaginaire, on ne sera cependant pas à l’abri de l’intensification des épisodes météorologiques extrêmes, ce qui augmentera d’autant le risque d’inondation ou de sécheresse. Celle qui frappe l’est du bassin méditerranéen depuis 1998 est à ce titre la pire sécheresse depuis 900 ans.
Aggravation du stress hydrique et montée des eaux
Une atmosphère plus chaude rendrait de nombreux territoires inhabitables. Dans le reste de la région, l’accès à l’eau risque de devenir encore plus problématique qu’il ne l’est déjà. Onze des 17 pays les plus touchés par le stress hydrique sont localisés en ANMO. Quatre-vingt-dix pour cent des enfants de cette partie du monde vivent dans une zone en état de stress hydrique élevé à extrêmement élevé, ce qui entraîne des conséquences importantes sur leur développement psychique et physique.
Le changement climatique amplifie une situation de pénurie préexistante. D’autres facteurs sont également à prendre en compte comme la croissance démographique, le manque d’infrastructures de traitements des eaux usées, couplés à une incurie des États quasi généralisée. Il faut néanmoins garder à l’esprit que 80 % de la consommation d’eau est due à l’agriculture (contre 70 % à l’échelle mondiale).
La fonte des glaces et la dilatation thermique des océans devraient engendrer une hausse du niveau de la mer d’environ 85 cm (avec une marge de + ou − 25 cm) en 2100 à l’échelle mondiale. L’ANMO est bordé par l’océan Atlantique, la Méditerranée, la mer Rouge, l’océan Indien, le golfe Persique et la mer Caspienne. À l’exception de cette dernière, dont le niveau devrait baisser jusqu’à 9 mètres, les mers et les océans représentent une menace pour les populations établies sur le littoral. Des villes comme Alexandrie ou Bassora sont particulièrement vulnérables à une élévation du niveau marin, qui aurait des conséquences pour des millions de personnes. Les monarchies du Golfe sont aussi localisées dans des zones à risque.
Insécurité alimentaire, risques sanitaires, inégalités de genre
Le bouleversement du climat a des impacts non seulement sur les températures et les ressources en eau, mais par effet domino, il risque également de déstabiliser les sociétés et les États dans une région déjà conflictuelle. Une des principales craintes liées aux conséquences indirectes du changement climatique en ANMO concerne la sécurité alimentaire. En effet, la région est structurellement dépendante des importations de produits alimentaires, en particulier de céréales. Si les pays de l’ANMO ne comptent que pour 4 % de la population mondiale, ils représentent néanmoins le tiers des achats de céréales. En plus de cette dépendance, les pertes de potentiels agricoles des terres à cause du changement climatique viendraient aggraver une situation déjà tendue. Pour plusieurs pays, la chute de la production agricole est estimée à 20 %. La relation entre insécurité alimentaire et instabilité politique n’est plus à prouver depuis les « émeutes de la faim » qui touchèrent plusieurs pays de la région en 2007-2008 et plus encore dans les racines des « printemps arabes » de 2011. La malnutrition concerne déjà 55 millions de personnes en ANMO.
Avec l’augmentation des températures et des vagues de chaleur, les organismes seront soumis à rude épreuve. Dans certaines zones du littoral du golfe Persique, le phénomène de canicule humide (thermomètre mouillé) rend la vie particulièrement pénible, voire impossible sans équipement (air conditionné, isolation, etc.).
La chute de la biodiversité est une autre grande crainte du réchauffement climatique. Toutefois, certaines espèces de nuisibles, comme les cafards ou les rats, devraient facilement s’adapter aux nouvelles conditions et favoriser la propagation de maladies.
Les populations les plus vulnérables au changement climatique sont celles qui ne disposent pas des ressources financières, culturelles et sociales pour organiser leur résilience. Le réchauffement de l’atmosphère et ses conséquences évoquées plus haut viendraient exacerber une situation déjà sous pression pour certains groupes sociaux.
En premier lieu, les inégalités liées au genre devraient être accentuées. L’accès à la propriété foncière et à l’emploi est très inégalement réparti dans la région. En dehors de l’agriculture, où la parité est de mise, les femmes ne comptent que pour 30 % des travailleurs. En plus des écarts de revenus, la situation économique est clairement au désavantage des femmes. Dans les zones rurales, l’approvisionnement en eau et en bois de chauffe est une tâche exclusivement féminine. Avec la raréfaction de ces ressources, les femmes devraient aller se ravitailler de plus en plus loin, ce qui augmenterait la pénibilité et surtout le risque d’agression. Par ailleurs, les filles sont les premières à être retirées de l’école quand la situation de la famille se détériore, et ce malgré des résultats scolaires souvent meilleurs que leurs camarades masculins. Dans des contextes émotionnellement stressants tels que pourraient les connaître les sociétés confrontées au changement climatique, le risque de violence conjugale devrait aussi croître.
Avant la vague révolutionnaire qui submergea la région en 2011, environ une famille (au sens large) sur trois voit migrer un de ses membres. L’ANMO compte 40 millions de migrants et 14 millions de déplacés internes. Les causes des migrations sont multiples, et pour l’instant, le changement climatique n’entre que pour une part infime dans ce total. Mais les conditions de vie des migrants, en particulier des réfugiés yéménites et syriens, devraient se dégrader à cause du changement climatique. Les opportunités économiques devraient se tarir et les routes des migrations devenir de plus en plus dangereuses. Les migrants climatiques ne devraient pas tarder à apparaître en ANMO, qu’ils soient originaires de la région ou étrangers.
Les États d’ANMO ont en commun une gestion de crise post-catastrophe. Dans le cas du changement climatique, certains pays ont lancé des programmes visant à améliorer leur résilience ou à baisser leurs émissions. Cependant, il faut garder en tête que la génération des dirigeants actuels n’a pas forcément conscience des enjeux de demain. C’est en tout cas l’impression que donne l’Arabie saoudite qui organisera les jeux asiatiques d’hiver 2029 ou encore la COP 27 sponsorisée par… Coca-Cola.
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1NDLR. Il existe aussi des Conférences des Parties dédiées à la biodiversité. Elles sont basées sur la Convention sur la diversité biologique des Nations unies et ont lieu tous les deux ans.