Plus de quinze mille membres des personnels de la santé (médecins, pharmaciens, infirmiers) ont participé au rassemblement organisé à Oran selon le Collectif autonome des médecins résidents algériens (Camra). Des rassemblements plus modestes, mais tout aussi déterminés se sont tenus dans plusieurs autres villes du pays.
À Alger, c’est un sit-in dans l’enceinte de l’hôpital Mustapha Pacha qui a rassemblé des médecins résidents, les personnels paramédicaux et les enseignants chercheurs hospitalo-universitaires. Nombre de ces médecins étaient présents lors de la manifestation du 3 février où ils ont été violemment battus par les forces antiémeutes.
Les vidéos et les photos montrant des médecins ensanglantés ont connu une diffusion virale sur les réseaux sociaux et suscité une indignation générale dans le pays. Une vingtaine de manifestants ont été blessés selon le Camra. En rage, les médecins des hôpitaux publics d’Alger ont fait savoir aux policiers qu’ils ne seront plus soignés chez eux et qu’ils n’ont qu’à aller à la clinique des Glycines (qui relève de la Direction de la sûreté nationale).
En solidarité avec les médecins bastonnés, les candidats à l’examen du Diplôme d’études médicales spécialisées (Dems) ont décidé de boycotter les examens qui devaient se dérouler entre le 7 et le 31 janvier. « Bien que les réformes, si elles venaient à être décidées, ne nous toucheront pas, nous avons décidé de soutenir les résidents qui mènent un combat juste et qui ne trouvent aucune compréhension ni solution auprès des autorités du pays », ont-ils assuré.
Le service civil en question
La violente bastonnade infligée aux médecins résidents a soudé l’ensemble du corps médical. L’opinion publique, qui s’informe désormais davantage sur Facebook que dans des médias nationaux en proie à une crise existentielle, a très largement pris parti en faveur des médecins, même si certains s’interrogent sur la contestation du principe du service civil en faveur des régions déshéritées ou éloignées.
En grève depuis la mi-novembre, les résidents, médecins, dentistes ou pharmaciens, réclament une révision du « service civil » auquel ils sont astreints pour une durée de 1 à 4 ans selon les régions. Il est de un à deux ans au sud et dans les Hauts Plateaux et de trois à quatre ans plus au nord.
Les grévistes réclament également d’être dispensés du service militaire en arguant de la longueur des études suivies du service civil. Les dirigeants du mouvement insistent sur le fait qu’ils ne sont pas contre le principe du service civil qui permet d’assurer une couverture sanitaire dans des régions éloignées. Ils réclament cependant la révision d’un système qu’ils jugent aberrant et qui n’apporte pas réellement, selon eux, un mieux aux populations concernées.
Des chirurgiens, soulignent-ils dans une déclaration au Huffington Post Algérie du 7 janvier, « sont affectés dans des structures sanitaires où leur tutelle sait pertinemment qu’ils ne peuvent en aucun cas opérer : "Comment voulez-vous qu’un chirurgien puisse opérer sans médecin réanimateur et sans boite ?!! Tout spécialiste du secteur sait pertinemment que c’est impossible" ». Ils revendiquent le remplacement de l’actuel service civil par « un autre système de couverture sanitaire pour l’intérêt des malades et l’épanouissement socioprofessionnel du médecin spécialiste ».
« Élite matraquée, avenir fracassé »
Beaucoup ont vu dans la violente répression l’expression d’un mépris des autorités à l’égard des diplômés et des « élites instruites ». « L’élite matraquée, l’avenir fracassé » a sombrement constaté un conseil régional de l’ordre des médecins. Un constat reproduit sur les réseaux sociaux dans la formule lapidaire très partagée, mais également très contestée du « bac + 10 qui se fait battre par le bac − 4. ».
Ce qui a le plus choqué est le caractère apparemment gratuit de la violence à l’égard des résidents. Les policiers pouvaient contenir la tentative de sortie des médecins résidents de l’hôpital vers la rue sans recourir à des méthodes brutales. Devant l’indignation générale, les médecins ont pu organiser à Oran et dans d’autres villes des rassemblements « tolérés » et le ministre de l’intérieur Noureddine Bedoui a annoncé qu’une enquête est « en cours pour éclaircir les circonstances de cet incident. »
Le fait que les manifestations de rue soient interdites à Alger — ce qui met la capitale dans un état de siège non déclaré dérogeant à la règle constitutionnelle — depuis la marche des arouch de Kabylie en 2001 suffit-il à expliquer la brutalité des services de sécurité ?
En 2011, et au lendemain d’émeutes violentes qui ont duré trois jours, des tentatives d’organiser des manifestations, dans la foulée du printemps tunisien ont été étouffées dans l’œuf par une présence massive des forces de l’ordre, mais sans recours à la violence1 .
Feu la « gestion démocratique des foules »
Le chef de la police algérienne, le général Abdelghani Al-Hamel avait en 2012 utilisé une formule qui avait suscité des commentaires persifleurs : la « gestion démocratique des foules » (GDF). Laquelle, ainsi que le rappelait un éditorialiste à l’époque « n’a rien d’une gestion bon enfant », et « sert d’abord à empêcher les gens de manifester sur la voie publique. Fermement, moyennant un relatif respect des formes. »
Beaucoup ont d’ailleurs rappelé à l’occasion que ce sont des policiers mécontents qui ont brisé « avec succès » en 2014 l’interdiction de manifester dans la capitale en organisant une marche spectaculaire et sans précédent vers le palais du gouvernement puis le siège de la présidence de la République.
Le 3 janvier dernier, la « GDF » n’était pas au rendez-vous. Pour nombre d’observateurs, la gestion brutale de la manifestation des médecins est, sinon un signe de panique, du moins un message délibéré de dissuasion destiné à toutes les contestations potentielles dans un pays où les difficultés financières commencent à mettre à mal une relative paix sociale entretenue au cours des quinze dernières années par de substantielles recettes pétrolières. Le message s’adresse également — surtout ? — à ceux qui voudraient contester dans la rue un éventuel cinquième mandat pour le président Abdelaziz Bouteflika que certains relais du régime évoquent déjà ouvertement et avec insistance2.
La brutalité de la répression des médecins résidents rappelle en tout cas que la capitale algérienne restera encore soumise, en cette année charnière, à un statut spécial peu conforme à la Constitution qui consacre formellement le droit de manifester.
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1Lire aussi : Lakhdar Benchiba, « Du bon usage des émeutes en Algérie », Orient XXI, 9 janvier 2017.
2Charlotte Bozonnet, « En Algérie, un possible cinquième mandat de Bouteflika suscite la controverse », Le Monde (édition abonnés), 11 octobre 2017.