Assemblée nationale

Apartheid israélien. Les bonnes résolutions d’une partie de la gauche française

Le député communiste Jean-Paul Lecoq présente à l’Assemblée nationale ce jeudi 4 mai 2023 une seconde version de sa résolution sur l’apartheid israélien. Malgré les cris d’effroi des nombreux pro-israéliens, le sujet n’est plus tabou au Parlement. Si la gauche reste divisée sur l’usage du mot apartheid, la défense des Palestiniens revient sur scène grâce à la ténacité de plusieurs députées, qui ont répondu aux questions d’Orient XXI.

13 octobre 2021. Une Palestinienne tente de passer un checkpoint près du village de Bait A’wa à la périphérie de la ville d’Hébron
Hazem Bader/AFP

« Je n’ai pas l’intention de lâcher », nous disait en septembre 2022 Jean-Paul Lecoq, député communiste de Seine-Maritime. Le vice-président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, qui est également membre du groupe d’études à vocation internationale France-Palestine, venait alors de présenter au Parlement un projet de résolution sur « l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien », qui avait suscité une tornade de réactions négatives dans la classe politique française, de la droite au Parti socialiste. Eh bien ! Lecoq a tenu parole. L’Assemblée discutera, puis votera, ce jeudi 4 mai 2023, une nouvelle mouture de son projet de résolution « réaffirmant la nécessité d’une solution à deux États et condamnant l’institutionnalisation par l’État d’Israël d’un régime d’apartheid consécutif à sa politique coloniale ».

La première version de la résolution avait été signée par 33 députées. La seconde est cosignée par 47 élues de la nation, du groupe Gauche démocratique et républicaine (GDR) — le Parti communiste français (PCF) et des représentants de l’outre-mer —, de La France insoumise (LFI), mais aussi deux écologistes, Sabrina Sebaihi (Hauts-de-Seine) et Aurélien Taché (Val-d’Oise), clairement en rupture avec la ligne officielle de leur parti. Il est significatif de trouver parmi les signataires Fabien Roussel (Nord), ancien candidat du PCF à la présidentielle et plusieurs figures marquantes de l’Assemblée, dont Elsa Faucillon (PCF, Hauts-de-Seine), souvent en pointe sur Israël et la Palestine, Danièle Obomo (LFI, Paris) ou les jeunes députés Tematai Legayic (GDR, Polynésie française), benjamin de l’Assemblée et Louis Boyard (LFI, Val-de-Marne).

L’hostilité de la majorité des Verts

Il est hautement improbable que le texte soit adopté par l’Assemblée, mais le nombre de votants en sa faveur sera une indication intéressante de l’évolution des positions sur l’apartheid israélien, sujet qui continue de diviser la gauche française, le parti socialiste et la majorité des Verts étant hostiles à l’usage de ce terme. Il sera intéressant de voir comment voteront en séance les députées écologistes Eva Sas (Paris) et Delphine Batho (Deux-Sèvres), qui se sont prononcées en réunion de groupe contre le projet de résolution, ainsi que Sandrine Rousseau (Paris), l’une des voix de la radicalité écologiste qui n’a pas signé le texte « parce qu’elle n’y connaît rien », déplore un de ses détracteurs. Pour lui, la plupart des députés écologistes vont s’abstenir.

En revanche, du côté de LFI, plusieurs élus qui n’ont pas signé la proposition de résolution ont fait savoir à Orient XXI qu’ils la voteraient, dont Danielle Simonnet, députée de la quinzième circonscription de Paris et Hendrik Davi, député de la cinquième circonscription des Bouches-du-Rhône. « Je condamne l’apartheid israélien et je voterai pour la résolution sans aucun problème », nous dit la première, et le second la « votera et la défendra », en dépit de réserves sur sa forme. De bonnes sources parlementaires assurent également que quelques députés du centre et de droite, en particulier des élus du Modem et même d’Horizons — le parti de l’ancien premier ministre Édouard Philippe — pourraient s’abstenir, à défaut de soutenir la résolution.

Mais d’autres à gauche refusent de se prononcer et même, comme au Parti socialiste, condamnent le projet de résolution préparé par Jean-Paul Lecoq1. Car malgré les constats accablants de plusieurs ONG israéliennes, relayés par Amnesty International et Human Rights Watch, malgré les rapports sans appel des Nations unies, notamment de Francesca Albanese, qui suit la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, en dépit de l’adoption par le parlement israélien en 2018 de la loi sur l’État-nation qui consacre de fait les règles d’un état discriminatoire à l’égard de ses concitoyens palestiniens, rien n’y fait en France. Pour l’extrême droite, la droite, la majorité et une partie de la gauche, parler d’apartheid à propos d’Israël est mensonger et vaut à ceux qui utilisent le terme des accusations répétées d’antisémitisme et des campagnes de boue, dont Jean-Paul Lecoq est l’une des dernières cibles en date. Il rejette ces accusations et répond à nos questions.

Orient XXI. — Les pro-israéliens de l’Assemblée, de la majorité et de la droite sont vent debout contre votre projet de résolution...

Jean-Paul Lecoq. — L’apartheid est à combattre partout. Où que cette politique existe, les communistes et particulièrement les jeunes communistes ont mené ce combat en France. Pour abolir l’apartheid en Afrique du Sud et faire libérer Nelson Mandela, nous étions déjà là alors que ce combat n’était pas unanime au sein des forces politiques françaises. Donc nous persisterons tant que l’apartheid persistera contre le peuple palestinien.

D’autre part, je pense que la situation empire de mois en mois, a fortiori avec la coalition formée fin décembre dernier par Benyamin Nétanyahou. Cette coalition est tellement radicale qu’elle met à mal l’équilibre démocratique qui subsistait dans cet État. Il était donc important, au moment où de profondes questions se posent sur l’avenir de la démocratie israélienne, de porter à nouveau ce sujet, pour que chacun mesure l’imbrication entre démocratie, colonisation et situation d’apartheid.

O. XXI. — À gauche, vous avez obtenu de très nombreuses signatures du groupe GDR, auquel appartient le PCF, un peu moins chez LFI, encore moins chez EELV, zéro au PS. Déçu ?

J-P. L. — Évidemment au regard du combat, des valeurs qu’il représente et de l’histoire de la gauche française en soutien aux peuples en lutte, je suis déçu du faible soutien, mais je pense que le vote dans l’hémicycle pourra corriger les choses. Peut-être que mes collègues ont été sensibles aux accusations d’antisémitisme qui ont été formulées sans fondement à l’encontre des cosignataires la dernière fois. La violence de ces accusations peut en effet déstabiliser, et je peux comprendre. Mais ils sont députés, représentants du peuple. Et s’ils commencent à se censurer ici, que feront-ils demain ? Que pense leur électorat de ces reniements ou de cet excès de prudence ? Accorder de l’importance à ces insultes et à ces attaques, c’est donner raison aux plus violents, et leur permettre d’exercer une insupportable censure.

« Pas mal de députés insoumis découvrent la question »

Cependant, pour le député LFI de Marseille Hendrik Davi, le problème est plus politique qu’une contre-campagne de propagande, aussi pénible soit-elle. « Ce qui me gêne dans ce projet de résolution, nous explique-t-il, c’est la mise en avant de la solution à deux États. Je suis désormais pour un État unique, je crois qu’il faut travailler sur le sujet. Mais l’apartheid est une réalité, avec des formes différentes à Gaza, en Cisjordanie et en Israël. Et l’amalgame des opposants de la résolution entre antisionisme et antisémitisme est insupportable. Maintenant, pas mal de députés insoumis découvrent la question, il n’y a pas de tradition de gauche sur le sujet. C’est d’autant plus important de réagir qu’il y a un véritable backlash contre nous sur le sujet. Donc bien sûr je voterai la résolution, et j’en ai parlé avec d’autres élues de mon parti qui la voteront également ».

Ce backlash, terme désignant une forme de harcèlement public, sa collègue de LFI Ersilia Soudais le connaît bien. Âgée de 35 ans, professeur de français, nouvelle élue de Mitry-Mory en Seine-et-Marne, elle n’a pas les pudeurs communes dans la classe politique sur la situation en Palestine. Assistant avec son compagnon à une rencontre avec Salah Hamouri mardi 18 avril 2023 à l’École des hautes études en sciences sociales (Ehess), elle a été insultée et bousculée par des militants de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) — dont son président Samuel Lejoyeux — qui venaient s’en prendre à l’avocat franco-palestinien. Elle a porté plainte, mais cela ne l’a pas déstabilisée, car Ersilia Soudais connaît l’importance du mouvement de solidarité à l’égard des Palestiniens. C’est évidemment pour cette raison que la députée a signé le projet de résolution. « Tout n’est pas parfait dans ce texte, mais ne pas avoir peur de débattre de la notion d’apartheid, terme qui relève du droit international commence à faire son chemin, au-delà même de la gauche. Il faut en finir avec les amalgames et les anathèmes ». La députée marque une pause. « Je suis sensible aux droits humains, pas seulement en Palestine, au Guatemala et en Iran. J’ai dans ma circonscription le plus grand centre de rétention administrative de France, au Mesnil-Amelot. Se battre pour une vie digne, c’est un combat universel ».

Ce projet de résolution, malgré les divisions de la gauche, est donc à ses yeux essentiel, et Ersilia Soudais ne doute pas que la plupart des députés LFI voteront en sa faveur. Prochaine étape à l’Assemblée nationale : un nouveau vote sur la reconnaissance de l’État de Palestine2, qui devrait aller au-delà des frontières de la gauche, des députées du Modem, d’Horizons, de Renaissance et des Républicains se disant favorables, pour l’instant en off.

1En particulier Jérome Guedj, député de l’Essonne. Contacté par Orient XXI, il n’a pas donné suite, pas plus que Valérie Rabault (Tarn-et-Garonne), vice-présidente de l’Assemblée nationale et ancienne présidente du groupe socialiste.

2Sous la présidence de François Hollande, le Parlement avait, le 2 décembre 2014, voté en faveur de la reconnaissance de l’État de Palestine par 339 voix pour et 151 contre. Ce vote n’a jamais été suivi d’effet.

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