Arabie saoudite. Salman Al-Awdah sous la menace d’une condamnation à mort

Malgré les affirmations du prince Mohamed Ben Salman et de ses communicants, l’Arabie saoudite ne fait pas reculer la ligne dure de l’establishment religieux. Au contraire, le royaume fait taire les voix modérées qui ont toujours combattu l’extrémisme. De nombreux militants, universitaires et penseurs saoudiens réformateurs qui luttent contre l’extrémisme et le patriarcat ont été arrêtés. Beaucoup d’entre eux risquent la peine de mort. Parmi eux Salman Al-Awdah, comme l’explique cette tribune de son fils.

Salman Al-Awdah

Salman Al-Awdah plaide pour un plus grand respect des droits humains dans le cadre de la charia, le code juridique de l’islam fondé sur le Coran. Sa voix est très écoutée. Il est devenu une personnalité publique populaire, avec 14 millions d’abonnés sur Twitter. Le 10 septembre 2017, inquiet des tensions régionales après l’imposition d’un blocus du Qatar par l’Arabie saoudite, le Bahreïn, les Émirats arabes unis et l’Égypte, il a fait allusion au conflit et souhaité une réconciliation. « Qu’Allah corrige leurs cœurs pour le bien de leurs peuples », a-t-il twitté. Quelques heures après, une équipe des services de sécurité saoudiens a pénétré chez nous à Riyad, fouillé la maison, confisqué des ordinateurs portables et emmené mon père. Le gouvernement saoudien était apparemment furieux et considérait son tweet comme un crime. Ses interrogateurs ont dit à mon père qu’il avait commis un crime en adoptant une position neutre sur la crise saoudo-qatarienne et en ne soutenant pas le gouvernement saoudien.

Il est détenu à l’isolement dans la prison de Dhahban à Djedda. Il a été enchaîné et menotté pendant des mois à l’intérieur de sa cellule, privé de sommeil et d’assistance médicale et interrogé à plusieurs reprises pendant toute la journée et toute la nuit. La détérioration de sa santé — hypertension artérielle et cholestérol apparus en prison — a été ignorée jusqu’à ce qu’il doive être hospitalisé. Jusqu’au procès, environ un an après son arrestation, on lui a refusé l’accès à un avocat.

Le 4 septembre, un tribunal pénal spécialisé de Riyad s’est réuni à huis clos pour examiner les nombreuses accusations portées contre mon père : susciter la discorde publique et inciter le peuple à s’opposer au dirigeant, appeler au changement de gouvernement et soutenir les révolutions arabes en dénonçant les détentions arbitraires et en défendant la liberté d’expression, posséder des livres interdits et qualifier le gouvernement saoudien de tyrannie. Le procureur général du royaume a requis la peine de mort.

L’Arabie saoudite joue sur l’indifférence générale de l’Occident à l’égard de sa politique intérieure et présente la répression contre des figures réformistes comme mon père comme un mouvement contre l’establishment religieux conservateur. La réalité est très éloignée de ces affirmations. Mon père est aimé du peuple saoudien parce que son autorité et sa légitimité de savant musulman indépendant le distinguent des savants islamiques nommés par l’État. Utilisant les principes islamiques pour étayer ses arguments, il se bat pour les libertés civiles, la politique participative, la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice.

Le pouvoir soutient les conservateurs religieux

Depuis près de deux décennies, il fait activement campagne contre le terrorisme en Arabie saoudite. Il appelle à renouveler le discours religieux et plaide en faveur d’un islam modéré. Je me demande s’il n’a pas été arrêté à cause de la popularité de ses positions progressistes, car depuis l’ascension du prince Mohamed Ben Salman, personne d’autre ne peut être considéré comme « réformateur ».

Alors que des réformateurs comme mon père sont en prison, l’Arabie saoudite soutient des partisans de la ligne dure tels Saleh Al-Fouzan, un religieux influent parrainé par l’État, membre du Conseil des oulémas. En 2013, Saleh Al-Fouzan a dénoncé un avenir où les femmes conduiraient. Il a également affirmé que les chiites et les autres musulmans qui ne suivaient pas les croyances wahhabites étaient des infidèles, et que quiconque n’était pas d’accord avec cette interprétation était un infidèle. Il a également prononcé l’interdiction des buffets à volonté dans les restaurants parce qu’ils lui paraissaient proches des jeux de hasard, interdits par l’islam.

En août 2018, Al-Fouzan a siégé entre le roi Salman Ben Abdulaziz et le prince Mohamed à la cour royale pour signaler son autorité et son importance. Quelques mois plus tôt, lors d’une réunion, le prince héritier avait dit à Al-Fouzan : « Tu es comme mon père ». En septembre, Al-Fouzan a publié une fatwa exhortant l’État à tuer les dissidents politiques qui favorisent la sédition contre le dirigeant. Un mois plus tard, mon ami Jamal Khashoggi a été assassiné.

Dans une telle culture de la peur, il y a peu d’espoir pour la justice. Le pouvoir judiciaire est poussé loin de tout semblant d’état de droit et d’application régulière de la loi. Certains des magistrats de la cour criminelle spécialisée qui juge mon père ont été eux-mêmes détenus après avoir refusé d’imposer des peines sévères recommandées par le procureur général dans certains cas. Un juge m’a dit que les magistrats récemment nommés à la cour criminelle spécialisée vivaient dans la peur. Pourtant, il y a des juges en Arabie saoudite qui ne se sont pas soumis au contrôle total souhaité par la monarchie. En 2013, environ 200 juges ont signé une pétition publique appelant à de véritables réformes juridiques et judiciaires et condamnant « la répression et l’exclusion écrasantes des voix authentiques et patriotiques ». Ils réclamaient l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Ces magistrats ont été intimidés et certains d’entre eux ont été mis en examen. Muhammad Al-Issa, le ministre de la justice de l’époque, avait promis « une campagne de correction » qui débarrasserait le pouvoir judiciaire de ces « juges corrompus ». Deux juges ont été limogés, et les autres ont repris tranquillement leur travail.

Le 3 février, le gouvernement saoudien a reporté le procès de mon père pour la troisième fois et sans explication. Il continue de le garder en prison. Depuis son arrestation, le harcèlement contre ma famille n’a pas cessé ; 17 de ses membres n’ont pas le droit de voyager, y compris des enfants. Notre maison et ma bibliothèque personnelle ont été fouillées sans mandat. Mon oncle a été arrêté après avoir twitté sur cet incident, et mes avoirs ont été gelés sans justification.

Le meurtre de Jamal Khashoggi a démoli le mythe d’un prince héritier réformateur à la tête de l’Arabie saoudite. Mais le monde doit élever la voix pour soutenir les Saoudiens qui luttent réellement pour la réforme. Des gens comme Salman Al-Awdah, contre qui le procureur général saoudien a requis la peine de mort.

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