Le dossier du Sahara occidental était sur la table des Nations unies avant même que l’Espagne ne sorte par la petite porte en 1975. C’est en 1965 que l’Assemblée générale a inscrit le Sahara occidental sur la liste des territoires à décoloniser, dits « non autonomes », « dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes » dans l’esprit de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale du 14 décembre 1960 qui déclare que « tous les peuples ont le droit de libre détermination ». À sa demande, la Cour internationale de Justice délibère, le 16 octobre 1975, sur le fait que les liens juridiques d’allégeance existant entre le sultan du Maroc et certaines des tribus vivant sur ce territoire « n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental d’une part, le royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien d’autre part » et que par conséquent, ils ne peuvent retirer aux populations du Sahara occidental leur droit à l’autodétermination (rappelé par la Charte des Nations unies dans son Chapitre XI).
Ceci n’arrête pourtant pas le Maroc dans sa volonté d’exercer son autorité sur ce territoire et il organise « une marche de 350 000 personnes pour envahir le Sahara occidental », selon les termes mêmes du représentant permanent de l’Espagne auprès des Nations unies quand il demande une réunion d’urgence du Conseil de sécurité. Celui-ci « déplore », par la résolution 380 du 6 novembre 1975, « l’exécution de la marche et demande au Maroc de retirer du territoire du Sahara occidental tous les participants à la marche ».
Création de la Minurso
À la demande de l’Assemblée générale, le secrétaire général des Nations unies, Javier Pérez de Cuellar, entreprend à partir de 1985 en coopération avec l’Organisation pour l’Unité africaine (OUA) une mission de bons offices qui aboutit à des propositions de règlement acceptées sur le principe par le Maroc et le Front Polisario le 30 août 19881. Ces propositions sont inscrites dans un rapport du secrétaire général (S/21360, 18 juin 1990) qui est ensuite approuvé par le Conseil de sécurité (résolution 658 du 17 juin 1990). Ce sont « des propositions en vue d’un règlement juste et définitif de la question du Sahara occidental (…), au moyen de l’application d’un cessez-le-feu et de l’organisation d’un référendum visant à permettre au peuple du Sahara occidental, exerçant son droit à l’autodétermination, de choisir sans contraintes militaires ou administratives entre l’indépendance et l’intégration au Maroc ». C’est pour mettre en œuvre ce plan de règlement que le Conseil de sécurité décide, le 29 avril 1991, dans sa résolution 690, de créer la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso).
L’autorité de la Minurso couvre une zone de sécurité de 266 000 km² de part et d’autre du berme2. Son mandat est le suivant :
➞ surveiller le cessez-le-feu ;
➞ contrôler la réduction des forces marocaines sur le territoire ;
➞ superviser l’échange des prisonniers de guerre ;
➞ identifier et inscrire les électeurs habilités à voter ;
➞ organiser un référendum libre et équitable et en proclamer les résultats.
Seul le premier de ces quatre volets s’est maintenu au fil des années, auquel a été ajouté la réduction des risques d’explosion de mines et autres restes explosifs de guerre et le soutien aux mesures de confiance sous la houlette du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR). Par ailleurs, une division des tâches s’est opérée, entre le travail de négociation politique et de contact avec les parties au plus haut niveau conduit par l’envoyé personnel et la surveillance du cessez-le-feu accomplie par la mission sur le terrain.
Impossible référendum d’autodétermination
À partir de 1991, l’ONU met donc en œuvre le plan de paix qu’elle a élaboré et proposé aux parties au conflit. Le travail de sa mission se concentre en premier lieu sur l’organisation d’ « un référendum libre, régulier et impartial d’autodétermination du peuple du Sahara occidental », selon les termes mêmes des résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité. Initialement prévu pour être tenu au mois de janvier 1992, le référendum est constamment repoussé, en dépit de l’avancée (quelque peu chaotique) du processus d’identification des votants. Ceci est autant dû à la difficulté technique liée à la composition du corps électoral dans une région marquée par la tradition nomade des tribus et par des mouvements importants de population qu’à la difficulté politique liée au manque de volonté marocaine et à la peur que ce processus lui échappe. L’identification des votants est toutefois achevée en décembre 1999 avec la publication, par la commission d’identification de la Minurso, de la liste provisoire des 86 425 votants — même si quelques 134 000 recours déposés n’ont pu être examinés. Mais le gel du traitement des recours, le développement de nouveaux critères d’identification et le manque d’accord des parties sur la liste électorale conduisent au démantèlement progressif de la commission d’identification et sa fermeture en mars 2004.
Les blocages répétés des parties au conflit concernant la mise en œuvre du plan de règlement conduisent le nouveau secrétaire général Kofi Annan, au lendemain de son élection, à vouloir donner un nouvel élan au processus politique en nommant en mars 1997 un envoyé personnel, l’ancien secrétaire américain James A. Baker. Celui-ci propose comme nouvelle base de négociation une troisième voie, consistant à donner une autonomie substantielle au Sahara occidental dans le cadre de la souveraineté marocaine. Ceci signifie l’abandon de facto du plan de règlement et de l’organisation d’un référendum d’autodétermination.
Ce plan d’autonomie ne fut pas plus que le précédent couronné de succès. Ce nouvel échec a conduit à un gel durable que ni la proposition marocaine d’autonomie substantielle de 2006 ni les « entretiens informels » de 2009-2012 qui ont suivi n’ont pu résorber. Un Groupe des amis du Sahara occidental (France, Russie, Espagne, Royaume-Uni, États-Unis) a été mis en place au niveau du Conseil de sécurité pour aider les représentants du secrétaire général dans leur dialogue avec les parties, mais il est soumis à l’entente de ses États membres. De fait, l’ONU passe progressivement d’une action de médiation à une action de facilitation dont l’initiative revient aux parties au conflit et où l’envoyé personnel est devenu un simple intermédiaire3.
Observation du cessez-le-feu
La nature de la mission a au fil du temps évolué, le « r » de « référendum » dans son sigle perdant de fait toute signification. La mission s’est tournée donc presque exclusivement vers l’observation du cessez-le-feu de part et d’autre du berme (mur) et la surveillance de l’accord militaire n° 14. Ceci se fait depuis le quartier général basé à Laayoune, deux bureaux de liaison (Dakhla et Tindouf en Algérie, là où se trouvent les réfugiés sahraouis) et neuf campements (teamsites) à partir desquels les observateurs effectuent des patrouilles terrestres et aériennes. Ils sont les seuls à être autorisés à inspecter les sites militaires des deux parties et à franchir le mur par l’un des huit points de passage. En tout, la Minurso compte, au 1er mars 2015, 495 personnes dont 200 observateurs militaires (sur un plafond autorisé de 237 militaires)5. La composante civile de la mission assure tout le soutien politique — entendu au sens de reporting vers le Conseil de sécurité et de relations avec les autorités locales et les organisations civiles —, administratif et logistique de la mission.
Les activités des observateurs militaires dépendent de la bonne volonté des deux parties. Côté marocain, la Minurso n’est pas autorisée à observer en-dessous du niveau de la compagnie ni à visiter les lieux de vie le long du mur. Côté Polisario, des restrictions à la libre circulation des observateurs sont parfois imposées. De ce côté-là, la sécurité des emprises a été renforcée depuis que le Sahel est devenu une zone de non-droit. Beaucoup se demandent à quoi peuvent bien servir ces observateurs militaires au beau milieu du désert, surtout quand leur liberté de manœuvre est si limitée. La Minurso concourt pourtant à maintenir le cessez-le-feu et le statu quo sur le terrain : un moindre mal face à une reprise toujours possible des combats. Les « bérets bleus » sont avant tout les yeux de la communauté internationale sur ce conflit oublié.
La Minurso a également conduit, à partir de 2008, une activité importante de déminage le long du plus grand champ de mines antipersonnel au monde dont l’objectif était de faciliter le retour des réfugiés. Quinze années seront encore nécessaires pour éradiquer les principales mines.
« Apaiser les esprits » et « soulager l’exil »
La mission a également travaillé dès 1998 avec le HCR sur des mesures de confiance, comme la réunion des familles séparées par le mur, qui n’ont réellement commencé qu’en 2003. L’ONU a alors mis en place des « ponts humanitaires pour les familles séparées », « mesures de confiance » indispensables à l’apaisement des esprits et pour « soulager l’exil ». Entre 2004 et 2010, le HCR et la Minurso avaient fait fonctionner quatre centres de liaisons téléphoniques gratuites entre les camps de réfugiés près de Tindouf et le Sahara occidental sous contrôle marocain ; près de 140 000 appels téléphoniques ont été effectués. Ce programme s’est arrêté en 2010 devant la multiplication des téléphones portables. Le HCR et la Minurso ont également mis en place, avec le soutien des autorités marocaines et de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), une politique d’échange sous la forme de visites familiales. Ceux qui peuvent en bénéficier sont les personnes qui ont des liens de parenté au premier degré (parents, enfants) : le HCR a comptabilisé quelque 5 600 familles du côté Tindouf et 3 700 du côté de Laayoune remplissant ce critère. Entre 2004 et 2013, près de 20 000 personnes, essentiellement des femmes, des personnes âgées et des enfants ont pu bénéficier de ce programme. À cette occasion, chaque bénéficiaire reçoit également un pécule de 50 dollars. Mais les listes d’attente sont encore longues ; près de 45 000 personnes se sont inscrites pour bénéficier de ce programme.
D’autres mesures de confiance ont été étudiées. Des séminaires culturels où l’on ne parle que de ce qui unit ont été organisés en Espagne ou au Portugal. Les visites familiales pourraient se faire par voie terrestre, permettant ainsi d’augmenter le nombre de bénéficiaires, mais les défis logistiques de ce genre d’entreprise ne sont pas négligeables. Des camps de vacances mixtes, réunissant des enfants des deux côtés du mur, sont également envisagés. Mais toutes ces nouvelles propositions doivent faire l’objet de négociations difficiles, et sont soumises aux aléas de l’aide financière internationale et à l’état des relations entre l’ONU et les autorités marocaines.
Otage des deux parties au conflit
Depuis le départ, l’ONU a, sur le dossier du Sahara occidental, deux rôles indispensables : au plan politique, s’efforcer d’entretenir, de manière impartiale, le dialogue avec les parties pour trouver une issue à ce conflit gelé ; au plan sécuritaire, s’interposer et assurer la surveillance du cessez-le-feu. Certains ont considéré que, notamment depuis le démantèlement du campement de protestation de Gdeim Izik en novembre 2010, il lui manquait un mandat de surveillance du respect des droits humains, tâches que la plupart des opérations de maintien de la paix possèdent dans leur mandat6. C’est sur ce point très sensible pour les autorités marocaines que le débat se focalise, depuis qu’à la surprise générale, les États-Unis ont proposé d’inclure une telle tâche dans le projet de résolution renouvelant le mandat de la mission en avril 2013.
En 2014, suite au rapport du secrétaire général qui rappelait le caractère non réglé du statut définitif du territoire et qui pointait de nouveau du doigt « les limitations qui existent encore à l’égard de la liberté d’interaction de la Minurso avec tous ses interlocuteurs »7, le Maroc a suspendu tout engagement avec l’ONU sur ce dossier jusqu’en janvier 2015. Il a ainsi mis plus de six mois avant d’autoriser la nouvelle représentante spéciale du Secrétaire général et cheffe de la mission, la Canadienne Kim Bolduc, à prendre son poste à Laayoune et a suspendu pendant quelques mois sa collaboration avec l’envoyé personnel Christopher Ross. Tout ceci montre à quel point la marge de manœuvre de l’ONU et de la Minurso est contrainte sur ce dossier dont le règlement lui est largement extérieur.
En dehors de ces pics de tension, la Minurso est une mission quelque peu oubliée dans un conflit gelé depuis 40 ans, même si le contexte dans lequel elle évolue est de moins en moins figé en raison de l’insécurité de la zone sahélienne. L’impasse du processus politique, les tensions constantes entre le Maroc et l’Algérie accentuent les risques de dérapage d’une population qui côté Ouest se sent minoritaire, frustrée et privée de droits civiques et côté Est se sent oubliée, humiliée et dépendante de l’aide humanitaire. La société sahraouie est politiquement profondément divisée, entre autonomistes et indépendantistes. Or, la politique marocaine de peuplement, d’ouverture et de développement socio-économique du « Sahara utile » a rendu inévitable la marche forcée vers l’autonomie au sein du royaume chérifien, et ce d’autant que la « communauté internationale » n’a aujourd’hui aucune appétence pour s’occuper de la construction d’un nouvel État. La Minurso ne peut que constater cette tendance et se cantonner à son rôle d’observation militaire, seul point de consensus entre les parties.
Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Orient XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.
1Depuis lors, l’OUA puis l’Union africaine ont maintenu un bureau de liaison et de médiation à Laayoune qui se situe en face du quartier général de la Minurso.
2Ce mur de sable de 2 000 km de long coupe le Sahara occidental en deux.
3Après la démission de James Baker en juin 2004, c’est le Néerlandais Peter van Walsum qui occupe le poste jusqu’en septembre 2008. Six mois se passent alors avant la nomination de l’Américain Christopher Ross en janvier 2009.
4Il existe deux autres accords, liés au déminage.
5La répartition exacte est la suivante : 230 personnels en uniforme, dont 26 officiers d’état-major ; 4 policiers et 200 observateurs militaires ; 252 membres du personnel civil, dont 87 internationaux, 165 employés locaux et 13 volontaires des Nations unies.
6Voir notamment les rapports et l’activité du Robert Kennedy Center for Justice and Human Rights.
7S/2014/258 (10 avril 2014) : Rapport du secrétaire général sur la situation concernant le Sahara occidental.