Avec Emmanuel Macron, la mansuétude à l’égard de la répression en Égypte se poursuit

Le président français Emmanuel Macron est peut-être une tête nouvelle, mais les visites au Caire de l’éphémère ministre des armées Sylvie Goulard le 5 juin dernier et du ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian le 8 juin ont semblé s’inscrire dans la continuité : celle de l’indulgence envers la répression sans frein menée par le régime du président Abdel Fattah Al-Sissi.

12 mai 2016. Manifestation devant le syndicat des journalistes au Caire pour protester contre la détention de journalistes et réclamer la liberté d’expression.
Amr Sayed/APA Images/ZUMA Wire/Alamy Live News.

La « coopération militaire et sécuritaire » a été au cœur de l’entretien entre Sylvie Goulard et le président Abdel Fattah Al-Sissi le 5 juin. Cette rencontre avait été précédée d’une conversation téléphonique entre le président Emmanuel Macron et Al-Sissi, peu après l’attentat de l’organisation de l’État islamique (OEI) qui a tué 29 coptes égyptiens dans la province de Minya, en Haute-Égypte. Les avions de combat Rafale, inclus dans un récent contrat de vente d’armes à l’Égypte d’un montant de plus de six milliards d’euros ont reçu leur baptême du feu peu après. En représailles de l’attentat de Minya, l’Égypte a effectué des frappes aériennes à Derna, dans l’est de la Libye, contre des éléments de l’OEI selon Le Caire.

Le Drian a rencontré Al-Sissi ainsi que d’autres officiels égyptiens quelques jours plus tard, le 8 juin. Lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue égyptien Sameh Choukry, le nouveau chef de la diplomatie française a rappelé qu’il était déjà venu huit fois au Caire durant les trois années précédentes, en qualité de ministre de la défense du président François Hollande. En février 2015, il a signé avec son homologue un contrat pour la fourniture de 24 Rafale — la première commande étrangère pour cet avion de combat extrêmement cher que son fabricant Dassault essayait de vendre depuis longtemps.

Lors de cette rencontre avec la presse, cette fois sous sa casquette de ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian a désigné la Libye comme un sujet de préoccupation majeur. Il a ajouté : « la France s’est toujours tenue aux côtés de l’Égypte dans les moments difficiles, et c’est particulièrement vrai en ce moment où l’Égypte fait face à de graves menaces ». Mais il n’y a pas eu un mot sur l’effarante situation des droits humains en Égypte. Ni de Mme Goulard ni de M. Le Drian, ni d’ailleurs de personne d’autre du gouvernement français — du moins rien de public. Le Drian a dit avoir apporté un « message de soutien » du président Macron pour les « réformes en cours », sans préciser lesquelles. Ni Le Drian Ni Sylvie Goulard n’ont commenté la législation ultra-répressive contre les ONG signée par Al-Sissi le 29 mai. Jusqu’ici la France s’est contentée publiquement d’exprimer sa « préoccupation » quand le Parlement égyptien a fait passer la loi en novembre. Aucun des deux ministres n’a eu quelque chose à dire sur le blocage, récemment, de 62 sites d’information depuis le 24 mai, selon un dernier décompte. Ils n’ont rien dit non plus de l’arrestation de dizaines de militants pacifiques pour des messages postés sur Facebook et d’autres réseaux sociaux. Certains de ces activistes sont faussement accusés de terrorisme.

L’un des interpellés est un avocat des droits humains très connu, ex-candidat à la présidence de la République, Khaled Ali. Il est en ce moment en liberté sous caution, inculpé d’ « acte scandaleux » — en fait d’avoir levé le majeur (un « doigt d’honneur ») pendant une manifestation pacifique. Ce délit est passible d’un an de prison. D’après ses avocats, cela pourrait servir à le rendre inéligible pour l’élection présidentielle de 2018.

Pendant ce temps, les tribunaux militaires égyptiens continuent à juger des civils — plus de 7 400 depuis octobre 2014, date de la signature par Al-Sissi d’un décret élargissant considérablement la compétence de la justice militaire. Les tribunaux militaires ne respectent pas même les minces protections juridiques des cours de justice ordinaires. Ils ont prononcé soixante peines de mort. Six condamnés ont été exécutés, y compris trois hommes qui étaient en détention au moment des crimes pour lesquels ils étaient jugés. Dans les cas sur lesquels Human Rights Watch a enquêté, les personnes avaient préalablement « disparu » pendant des semaines. Ils ont affirmé que leurs confessions leur avaient été arrachées par la violence, et dictées par des officiers de la sécurité.

Le silence de Sylvie Goulard et de Jean-Yves Le Drian — et celui d’Emmanuel Macron — est tout à fait en phase avec l’indulgence française envers la politique répressive d’Al-Sissi sous la présidence de François Hollande. En février 2017, répondant à un député en sa qualité de ministre de la défense, Le Drian avait insisté : « Je ne débattrai pas avec vous de la question de savoir si Mohamed Morsi était moins un dictateur qu’Abdel Fattah Al-Sissi. Je pense que l’Égypte est un pays d’équilibre pour l’ensemble de la zone ». « Je suis convaincu que la France a maintenant un vrai partenariat avec l’Égypte » qui va « renforcer la démocratie dans le long terme », a-t-il déclaré1. Un rapport récent cite un diplomate français anonyme décrivant ainsi la position de « certains États de l’Union européenne » : « si on veut une Égypte forte et stable, on ne peut pas avoir une Égypte démocratique. »2

Les visites au Caire de Mme Goulard et de M. Le Drian se sont effectuées à un moment où « la Libye est une priorité pour la France », selon la déclaration d’un diplomate anonyme à l’agence Reuters. L’Égypte et les Émirats arabes unis (EAU) figurent parmi les principaux soutiens internationaux du chef de l’Armée nationale libyenne dans l’est du pays, Khalifa Haftar. Ses forces combattent des islamistes et d’autres groupes armés à l’est, mais il refuse de soutenir le gouvernement d’union nationale du premier ministre Faïez Sarraj soutenu par l’ONU et basé à Tripoli.

Le soutien français à Haftar consistait surtout en un partage de renseignements. Cette politique, conçue par le ministère de la défense sous Le Drian comportait aussi des « actions militaires non officielles » contre des groupes islamistes armés, qui impliquaient aussi les États-Unis, le Royaume-Uni et les EAU. Peu de temps après l’arrivée de Macron au pouvoir, des officiels français ont pour la première fois appelé à la formation d’une armée libyenne unifiée qui inclurait Haftar et ses troupes.

Répondant à une question de Human Rights Watch quand il était candidat à la présidence, Macron s’était déclaré prêt à conditionner les ventes d’armes à l’Arabie saoudite au respect des droits humains par ce pays. Ce n’est apparemment pas la méthode que son gouvernement applique à l’Égypte. Au moment où Al-Sissi étouffe toute forme de dissidence politique pacifique, souvent en avançant sans vergogne le prétexte de la lutte contre le terrorisme, on peut se demander si la démocratie égyptienne et les militants des droits humains peuvent attendre la moindre aide, ou même la moindre sympathie de la part du nouveau président français et de son équipe.

1Compte-rendu de la commission nationale de la défense et des forces armées, Assemblée nationale, compte-rendu n ° 31, 22 février 2017.

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