Bahreïn devant le Conseil des droits de l’homme : pas de liberté de la presse, pas de place pour l’opposition

Depuis juin 2016, Amnesty International accuse Bahreïn de réprimer l’opposition au moyen d’une impressionnante série de mesures coercitives. Arrestations, brimades, menaces, poursuites judiciaires et emprisonnements visent ainsi à réduire au silence ceux qui osent émettre des critiques, même de manière pacifique, tandis que la police se livre pour sa part à des brutalités allant jusqu’à la torture envers certains défenseurs des droits humains, tant hommes que femmes. Des méthodes qui, selon l’ONG, n’avaient pas vraiment cours jusqu’ici à Bahreïn.

Manama.
Wadiia, 2012.

La publication du dernier rapport de 43 pages d’Amnesty International est intervenue à quelques semaines de l’examen périodique universel consacré à l’exposé de la réponse du gouvernement aux recommandations formulées par les membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui s’est tenu le 21 septembre dernier. Une trentaine d’organisations de défense des droits humains sont inscrites à cette session afin de la commenter, dont une dizaine d’organisations indépendantes classées par la presse proche du pouvoir comme ayant « des tendances hostiles au royaume ».

Depuis la fermeture du journal Al-Wasat par les autorités en juin dernier, il n’existe plus de presse libre indépendante. Le renouvellement des autorisations accordées aux correspondants internationaux est désormais refusé, de même que les accréditations des correspondants d’agences internationales, et l’entrée des journalistes étrangers est soigneusement contrôlée. Les médias gouvernementaux et la presse de même obédience relaient scrupuleusement le discours officiel, y compris les accusations de traitrise portées contre l’opposition. Les opinions divergentes n’ont pas droit de cité et toute critique du régime ou de la situation des droits humains est considérée comme un acte de trahison, de terrorisme et d’hostilité au pays. Les autorités recourent de plus en plus souvent à certains articles du Code pénal pour sanctionner la liberté d’expression et ouvrent des poursuites contre les individus pour « offense publique aux institutions », « offense au roi », diffusion de fausses informations et de fausses rumeurs », « incitation à la haine envers le régime » et « incitation au renversement du régime ».

« Personne ne peut vous protéger »

Tel est le titre du rapport d’Amnesty International, qui reprend ainsi une phrase prononcée par l’avocate Ebtisam Al-Saegh lors de son entretien avec l’ONG dans lequel elle raconte ce qu’elle a subi durant son interrogatoire par la sécurité nationale en mai dernier, avant d’être arrêtée pour des accusations relevant de la loi antiterroriste. Le rapport indique qu’« entre juin 2016 et juin 2017, Amnesty International a recensé pas moins de 169 cas de personnes ayant été interpellées, convoquées, interrogées, poursuivies en justice, placées en détention ou interdites de quitter le territoire pour avoir critiqué le gouvernement. Défenseurs des droits de l’homme, avocats, journalistes, militants et dirigeants politiques, religieux chiites et manifestants pacifiques ont particulièrement souffert » de ces mesures de rétorsion.

Selon le rapport, la campagne de répression menée l’an dernier par les autorités a eu pour conséquence « d’affaiblir une société civile naguère particulièrement dynamique. Seules quelques voix courageuses se font désormais entendre ici et là, et la plupart de ceux qui émettent des critiques pacifiques, qu’ils soient défenseurs des droits de l’homme ou militants politiques, ne sont que trop conscients des graves risques qu’ils encourent du fait de leurs activités. »

L’ONG accuse les autorités de « ne pas respecter les promesses de réforme faites au lendemain de la répression brutale du soulèvement de 2011, bien qu’elles aient prétendu le contraire à maintes reprises. Lors de ces événements, de nombreux citoyens — dirigeants politiques, défenseurs des droits de l’homme, médecins, enseignants, avocats, etc. — étaient descendus pacifiquement dans la rue pour exiger la réforme, mais le pouvoir avait répondu par des arrestations, des séquestrations arbitraires, la torture, et même des exécutions extrajudiciaires. Cette répression aveugle avait suscité une colère générale, à Bahreïn comme à l’étranger. »

Le rapport d’Amnesty International, rédigé après une observation attentive de l’évolution de la situation, est basé sur des enquêtes menées entre juin 2016 et juin 2017. Les enquêteurs ont ainsi étudié 210 cas et entendu 52 victimes d’exactions et témoins des événements recensés dans le document, et se sont entretenus avec 62 parents ou amis proches des victimes ainsi qu’avec des avocats. Ils ont également eu des échanges avec 38 journalistes, défenseurs des droits de l’homme, militants politiques et avocats, analysé les déclarations publiques émanant des autorités et dépouillé des correspondances adressées à l’ONG, des dossiers judiciaires, des textes de lois et d’autres types de documents tels que des extraits de vidéos. De nombreuses enquêtes et rapports réalisés par d’autres ONG ont également été passés en revue, ainsi que des communiqués publiés par les gouvernements d’autres pays. La plupart des entretiens ont été réalisés à distance, par téléphone ou par Internet, Amnesty International n’ayant pas la possibilité de fouler le sol bahreïni.

Un gouvernement dans le déni

C’est par la voix du premier secrétaire de son ambassade à Londres que le gouvernement bahreïni a répondu à ces critiques. « Le rapport d’Amnesty International contient de nombreuses allégations dénuées de fondement ainsi que des informations non vérifiées qui ne correspondent en aucun cas à la réalité des droits de l’homme dans le royaume de Bahreïn », a ainsi déclaré Fahad Al-Binali, selon qui l’ambassade accorde une grande importance au renforcement des relations avec Amnesty International avec laquelle elle est en contact direct depuis longtemps dans le souci de lui expliquer la situation et de l’informer des derniers développements. De même, l’ambassade a répondu aux demandes de l’ONG concernant des affaires qui lui ont été soumises et fourni les informations et documents relatifs tant à des cas personnels qu’à la situation générale des droits de l’homme à Bahreïn, a également affirmé le diplomate, qui a souligné la nécessité de maintenir de bonnes relations avec l’organisation. Al-Binali a invité Amnesty International à se montrer de son côté plus vigilante dans la vérification des renseignements qui lui parviennent et à s’assurer de la crédibilité de ses sources, de façon à préserver sa neutralité et sa crédibilité dans ses rapports sur Bahreïn.

En 2011, Bahreïn avait tenté de masquer la crise en confiant les droits de l’homme à la ministre des affaires sociales. Puis, face à la vague mondiale de critiques, le pouvoir avait créé un ministère indépendant à l’existence tout aussi éphémère, le dossier revenant pour finir au département des affaires étrangères. Le roi avait déjà mis en place en 2009 l’Institut national pour les droits de l’homme, qui avait pour mission de renforcer, de promouvoir et de protéger les droits fondamentaux. Mais ce qui devait être une institution indépendante travaillant en toute liberté et en toute neutralité s’est en fait appliqué à reprendre le point de vue gouvernemental concernant les pratiques contraires aux droits fondamentaux, peine de mort comprise, et les victimes qui se tournaient vers l’Institut n’ont trouvé auprès de celui-ci aucune volonté de mettre un terme aux exactions.

Unanimité des ONG sur la dégradation de la situation

Le rapport d’Amnesty International vient s’ajouter aux nombreux communiqués publiés par Human Rights Watch (HRW) et par d’autres ONG internationales sur les pratiques officielles de Bahreïn qui ne respectent pas les droits de l’homme, et qui se sont aggravées avec la répression du mouvement de contestation en 2011. La traduction de civils devant des tribunaux militaires, le fait que « l’appareil de la sécurité nationale » retrouve ses compétences en matière d’arrestation et d’interrogatoire, les innombrables cas de torture et de mauvais traitements durant la garde à vue et les brutalités et brimades dont des centaines de détenus affirment être victimes sont dénoncés par les ONG. Elles déplorent également l’iniquité de la justice et la sévérité excessive des verdicts rendus contre les opposants, ainsi que les poursuites judiciaires pour délit d’opinion et le fait que les tribunaux reçoivent comme preuves des « aveux » arrachés par la force.

Parmi les critiques adressées aux autorités bahreïnies figurent également les déchéances arbitraires de nationalité pour certains opposants, les condamnations à mort prononcées par les tribunaux et l’interdiction des visites des instances indépendantes chargées des droits de l’homme. Ainsi depuis 2014, les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la situation des défenseurs des droits de l’homme, le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, la liberté d’opinion et d’expression, ainsi que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ne peuvent plus se rendre à Bahreïn. La dernière visite, qui était programmée pour le mois de juin, a été annulée. La mesure frappe également Amnesty International, HRW et Americans for Democracy and Human Rights in Bahrain, ainsi que de nombreux journalistes internationaux coupables de critiques contre le gouvernement.

Les autorités de Bahreïn interdisent aussi les manifestations pacifiques, et les participants à un rassemblement d’au moins cinq personnes dans un lieu public tombent sous le coup de l’article 178 du Code pénal qui prévoit une peine maximale de deux ans de prison assortie d’une amende d’un montant maximal de 200 dinars, ou l’une de ces deux peines. Alors que c’est cet article qui est utilisé pour condamner les manifestants, la police recourt de son côté à la violence pour disperser les rassemblements, faisant de nombreux blessés et même des morts. Ainsi dans la localité de Diraz, on a déploré six morts, dont un enfant, et des centaines de blessés à l’issue d’un sit-in organisé au début de l’année.

En avril 2017, la justice de Bahreïn a prononcé une peine de quatre ans de réclusion à l’encontre d’un haut dirigeant de l’opposition, ainsi qu’une peine de deux ans contre le défenseur des droits de l’homme Nabil Rajab, qui est à la fois président du Centre bahreïni pour les droits de l’homme et du Centre Al-Khalij pour les droits de l’homme, secrétaire général adjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et membre du conseil consultatif de la section Moyen-Orient Afrique du Nord (MENA) de HRW. Nabil Rajab était accusé de « diffusion d’informations mensongères » et de « rumeurs de nature à porter atteinte au prestige de l’État » auprès de chaînes de télévision avec lesquelles il s’était entretenu. Les autorités ont également déchu de leur nationalité quelque 300 opposants, parmi lesquels le haut dignitaire chiite Issa Qassim, et ordonné la dissolution de la principale organisation d’opposition, tandis qu’une autre association est poursuivie pour avoir apporté son soutien au mouvement de contestation populaire.

Rappelons enfin que les détenus des prisons de Jaw et d’Al-Hawd Al-Jaff ont entamé le 7 septembre dernier une grève de la faim destinée à attirer l’attention sur leur situation. Dans une lettre adressée au secrétaire général de l’Institut national pour les droits de l’homme, ils dénoncent « le recours systématique à la torture, les mauvais traitements, les atteintes quotidiennes à la dignité, l’absence de soins et de suivi médical et l’interdiction de pratiquer les obligations du culte, d’effectuer la prière du vendredi et de communiquer avec les familles, ainsi que le maintien répété en cellule pendant plus de 24 heures d’affilée. »

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