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Égypte-Soudan-Éthiopie

Barrage de la Renaissance. Les négociations prennent l’eau

Les derniers pourparlers entre l’Éthiopie, le Soudan et l’Égypte autour du barrage de la Renaissance ont échoué. Si les trois pays ne trouvent pas de terrain d’entente d’ici juillet, les répercussions de la crise n’épargneront ni le Proche-Orient ni l’Europe.

La crise du barrage de la Renaissance arrive à sa dernière étape. De deux choses l’une : soit l’Éthiopie commencera la deuxième phase de remplissage du barrage en juillet 2021 sans un accord préalable avec les pays qui se trouvent en aval du fleuve, limitant par là le flux du Nil bleu et causant ainsi la sécheresse de centaines d’hectares de terres agricoles en Égypte et au Soudan ; ou bien les trois pays arriveront à un accord contraignant, à la lumière duquel l’Éthiopie prendra plus de temps pour remplir le barrage, pour en limiter les conséquences sur les autres. Auquel cas, le remplissage pourrait s’étendre sur sept ans, ce que ne souhaitent pas les autorités d’Addis Abeba.

Mais les pourparlers de Kinshasa qualifiés de « dernière chance » ont fini dans un cul-de-sac. Les espoirs d’arriver à un accord s’évanouissent, a fortiori après les dernières déclarations du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, qui tranchent avec le ton employé depuis le début des négociations. En visite à Ismaïlia après la reprise du trafic maritime sur le canal de Suez le 30 mars, Sissi a déclaré : « Personne ne prendra la moindre goutte d’eau de l’Égypte, sinon la région [le Proche-Orient] connaîtra une situation d’instabilité que personne ne peut imaginer ».

Des enjeux internes

Les conséquences des négociations du barrage de la Renaissance pour les trois pays ne sont pas uniquement agricoles ou environnementales. Elles sont également politiques, en raison de situations internes particulièrement fragiles. Le gouvernement du président éthiopien Abiy Ahmed se montre en effet particulièrement dur à la négociation, afin de renforcer sa position lors des élections législatives censées se tenir le 5 juin 2021, et ce alors que la région du Tigré est en proie à une guerre civile et que le nombre de déplacés ne cesse de croître. Au même moment, Addis Abeba connaît des affrontements à sa frontière avec le Soudan, ce dernier tentant de reprendre le contrôle de zones frontalières investies par des milices éthiopiennes en novembre 2020.

De son côté, le gouvernement provisoire de Khartoum tente de traverser cette période de transition sans trop de dégâts, et de construire un climat de gouvernance civile qui échapperait à l’emprise des militaires et des milices armées. Il aspire également à améliorer le quotidien économique et social des citoyens et à échapper à la banqueroute, maintenant que le pays ne se trouve plus sur la liste des soutiens du terrorisme.

Quant à l’Égypte, si elle semble bénéficier de la stabilité qui fait défaut à ses voisins, l’échec des négociations peut menacer le régime de Sissi malgré ses tentatives récentes de se donner une légitimité populaire, comme avec la cérémonie de transfert de 22 momies du musée du Caire au musée de la civilisation égyptienne de Fostat. Mise à part la répression systématique menée par le pouvoir, un conflit armé est actuellement la dernière chose que souhaite le régime militaire.

L’éventualité de l’option militaire

La solution militaire a été évoquée plus d’une fois au mois de mars par le président égyptien ou lors des différentes déclarations de responsables soudanais, et ce alors que les deux armées ont suivi début avril une session d’entraînement commune. Le 4 avril, le chef d’état-major égyptien qui visitait le Soudan pour la deuxième fois en presque un mois a déclaré que ces manœuvres étaient à but offensif. Il était officiellement accompagné durant sa visite par le chef du renseignement militaire, venu s’entretenir avec son homologue soudanais. Toutefois, et malgré cette menace affichée par les deux pays, l’option militaire reste peu probable.

En effet, s’attaquer militairement à l’Éthiopie ferait de ce pays un ennemi déclaré du Soudan et de l’Égypte qui n’aurait alors plus aucun scrupule à retenir les eaux du fleuve. De plus, la topographie du pays fait qu’une armée étrangère aurait beaucoup de mal à maintenir la situation sous contrôle dans les plateaux éthiopiens, surtout si l’on prend en compte la complexité démographique. Enfin, il est peu probable que les puissances internationales acceptent qu’une nouvelle guerre vienne déstabiliser la situation dans la Corne de l’Afrique.

Dans son effort de guerre, l’Éthiopie collabore essentiellement avec son voisin l’Érythrée. Cela lui permet également d’avoir un accès maritime au golfe d’Aden et au détroit de Bab El-Mandeb, là où passent les navires commerciaux et les pétroliers avant de traverser le canal de Suez en route vers l’Europe. Si les deux pays en viennent à connaître une instabilité, il y aura des conséquences directes sur la sécurité de ce passage maritime, qui pâtit déjà de la guerre au Yémen et des manœuvres iraniennes. Sans parler de la catastrophe démographique que provoquerait une guerre dans un pays qui compte 112 millions d’habitants.

L’Égypte est dépendante du Nil à 97 % pour ses besoins en eau, qui s’élèvent à 68 milliards de mètres cubes par an, et dont la majeure partie (70 à 80 %) vient des plateaux éthiopiens. Si Addis Abeba met à exécution son programme de deuxième remplissage du barrage à partir du mois de juillet 2021, des millions de familles de paysans, désormais au chômage, seront obligés de migrer. Or, le régime égyptien qui s’est construit sur une logique sécuritaire et de répression féroce ne peut pas courir le risque d’une crise interne qui lui ferait perdre le contrôle de la situation. De fait, Sissi sera toujours tenté par des procédures exceptionnelles, si jamais les canaux officiels internationaux s’avéraient vains.

Le bassin du Nil et ses barrages
Le bassin du Nil et ses barrages
Agnès Stienne

Conséquences internationales

La stabilité de l’Égypte n’est pas qu’une préoccupation du régime militaire. C’est aussi une affaire internationale. Ainsi, malgré les critiques que l’administration Biden peut adresser au Caire en matière de droits humains et de libertés individuelles, Washington insiste sur le maintien de ses aides, l’Égypte étant un partenaire stratégique pour les États-Unis. Le nouveau président fait appel à la diplomatie là où son prédécesseur Donald Trump a voulu obliger l’Éthiopie à signer un accord juridique contraignant. Pour Israël et les pays du Golfe, la stabilité du régime égyptien est également un élément important pour contrer l’influence iranienne et turque au Proche-Orient.

Pour leur part, les pays européens semblent préoccupés par d’autres problématiques, comme l’influence russe et chinoise en Europe de l’Est, le Brexit et surtout la crise sanitaire et ses conséquences sur leur économie. De fait, la question du barrage de la Renaissance semble lointaine et marginale. Ainsi, l’Europe ne semble pas se rendre compte qu’une telle crise dans un pays comme l’Égypte qui compte plus de 100 millions d’habitants peut conduire à une immigration clandestine massive qui serait encore plus importante que lors de l’arrivée massive de migrants syriens. Deux pays en particulier devraient être particulièrement attentifs à ce sujet : la France et l’Italie.

L’Égypte dont Emmanuel Macron avait reçu le président en visite officielle en décembre 2020 est un client important de l’industrie d’armement française. Pourtant, Paris choisit la voie de la neutralité en restant à équidistance des trois pays impliqués dans le conflit du barrage, selon les déclarations de son ambassadeur au Caire Stéphane Romatet, et ce alors que l’entreprise française Alstom est impliquée dans la construction des systèmes hydro-électriques du barrage éthiopien.

Du côté de l’Italie, c’est l’entreprise Salini Impreglio qui est chargée depuis 2009 de la construction du barrage éthiopien, dont le budget s’élève à 4,8 milliards de dollars (3,9 milliards d’euros). Ce qui n’empêche pas le gouvernement italien de faire de temps en temps des déclarations en faveur de l’Égypte. La relation entre le Caire et Rome paraît en effet ambivalente, le régime égyptien signant des contrats d’armement avec l’Italie sans accepter d’ouvrir une enquête concernant le meurtre de Giulio Regeni, le chercheur italien enlevé et tué en 2016 par les forces de sécurité égyptiennes.

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