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Bouteflika succédera-t-il à Bouteflika ?

Luttes de clans en Algérie · Le patron du Front de libération nationale (FLN) s’en prend publiquement au chef des services de sécurité et promet la fin de la police politique qui régente les Algériens. Du jamais vu en Algérie. Cette campagne de presse cache un bras de fer entre le clan Bouteflika et des généraux moins séduits par un quatrième mandat présidentiel pour l’aîné de la famille, Abdelaziz et surtout par l’adoption au préalable de la réforme constitutionnelle.

L'image représente une œuvre murale en noir et blanc, mettant en avant un visage masculin avec des traits expressifs. La personne a une moustache proéminente, et son expression semble montrer une certaine intensité. Les détails des ombres et des lumières apportent de la profondeur au portrait, accentuant les émotions qui s'en dégagent. Les contours sont soigneusement travaillés, ce qui donne une apparence réaliste au personnage.
Abdelaziz Bouteflika, portrait.
Thierry Erhman, Abode of Chaos, 23 février 2011.

Qu’y a-t-il derrière les attaques sans précédent d’Amar Saadani contre la police politique ? Le nouveau secrétaire général du Front de libération nationale (FLN) s’en est pris vertement, le 3 novembre sur le site Tsa, au Département de la recherche et de la sécurité (DRS) qui depuis près d’un quart de siècle est réputé faire la pluie et le beau temps en Algérie. Il a promis que le président Abdelaziz Bouteflika y mettrait un terme afin de « libérer l’action politique, médiatique et la justice » de l’intervention de ce bureau très particulier de l’état-major. Au passage, il a égratigné le premier ministre, Abdelmalek Sellal, à qui il a reproché de ne pas être « politique ».

À l’évidence, Saadani, un apparatchik tombé en disgrâce au milieu des années 2000 et soudainement « recyclé » cet été, ne fait pas le poids pour s’en prendre aux militaires du DRS, et parle sur ordre d’en haut. De qui ? Des locataires d’El Mouradia, siège de la présidence de la République bien sûr, où les deux frères du président, Abdelghani et Saïd, jouent un rôle décisif auprès de leur aîné, Abdelaziz, qui récupère très lentement d’un accident vasculaire cérébral survenu le 24 avril 2013. Pour la première fois, le 4 novembre, il a reçu « en costume-cravate » un étranger en la personne du ministre de la culture des Émirats arabes unis, le cheikh Nahyan ben Moubarak al-Nahyan dont la famille l’avait aidé du temps de sa traversée du désert dans les années 1980-1990. La télévision officielle a montré à l’envi l’évènement et souligné sa nouveauté : le président n’était plus en robe de chambre ou en pyjama… mais toujours muet.

Dans le cadre de la préparation de l’élection présidentielle d’avril 2014, le clan Bouteflika a visiblement décidé de le représenter, en dépit de son état de santé, pour un quatrième mandat. Il a besoin, pour y parvenir, d’une réforme de la Constitution pour, notamment, créer un poste de vice-président, et lui permettre ainsi de désigner son successeur. Le projet, annoncé dans un grand discours tenu à Sétif le 15 avril 2011 piétine. La commission chargée de le rédiger a transmis son rapport au président le 17 septembre 2013. Depuis, plus rien. Contrairement à ce qu’avait annoncé le chef du gouvernement, Bouteflika n’a pas fait part en retour de ses « remarques ». Pourtant, le temps presse. Le corps électoral sera convoqué aux urnes en février 2014 et il reste donc moins de trois mois pour réformer une nouvelle fois la Constitution de 1996. La précédente réforme, celle de 2009, s’était faite le 12 novembre de la même année…

Au plan politique, il faut une raison de fond pour justifier auprès de l’opinion algérienne et internationale qu’un homme de plus de 76 ans, gravement handicapé, s’accroche au pouvoir après déjà quinze ans de règne. Le clan Bouteflika croit l’avoir trouvé avec la mise en cause des « services ». Ce serait le dernier « service » rendu par le président à son pays : le débarrasser de l’emprise du DRS qui, sous une forme ou une autre surdétermine depuis l’indépendance le fonctionnement effectif des pouvoirs publics, à mille lieues de ce qu’affirment les textes officiels. S’agit-il de dépouiller l’institution de ses pouvoirs ? Il a commencé à le faire à la marge en septembre en retirant à ses membres la qualité d’officiers de police judiciaire et en la coupant du Centre de communication et de diffusion (CCD) qui distribue la manne de la publicité d’État à la presse ? D’en changer le chef, le général Mohamed Mediène, en place depuis près d’un quart de siècle et qui est le dernier hiérarque algérien à ne pas avoir été nommé à son poste par Bouteflika ? À moins, tout simplement, qu’il ne s’agisse de faire pression sur ce dernier par l’intermédiaire de Saadani pour qu’il ne s’oppose plus à ce que la réforme constitutionnelle soit votée avant l’élection présidentielle. Ce qui permettrait de rattraper le retard pris par ce dossier majeur aux yeux du clan Bouteflika, soucieux de se mettre à l’abri d’éventuels règlements de compte quand Abdelaziz aura quitté le pouvoir. Il a, en effet, gardé un souvenir cuisant des tracasseries financières et immobilières qui lui furent infligées en 1980 par le successeur de Boumediène dont il était le ministre des affaires étrangères.

Le général Mediène, hostile à ce que Bouteflika choisisse son successeur, a reçu le soutien des membres du comité central du FLN opposés au « coup de force » qui avait porté le 29 août Saadani au secrétariat général du parti ; ils ont dénoncé l’attaque de Saadani contre l’ANP. Mais ils n’ont pas fait d’émules, au moins publiquement. Le clan Bouteflika semble s’être fait un allié de poids chez les militaires en la personne du chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah. Il l’a promu vice-ministre de la défense en septembre dernier, a multiplié ses rencontres avec le président, toujours sous l’œil complaisant de la télévision publique, comme pour faire connaître en urgence un général sans prestige resté jusque-là dans l’obscurité. Figurera-t-il sur le ticket Bouteflika comme vice-président ?

C’est-ce qui expliquerait la seconde sortie d’Amar Saadani, cette fois contre le premier ministre. Abdelmalek Sellal passe le plus clair de son temps en campagne à travers le pays. Il s’est déjà rendu — en à peine un an — dans vingt-huit des quarante-huit wilayas (départements) que compte l’Algérie. À chaque fois, il fait des cadeaux, multiplie les promesses et se présente comme le meilleur lieutenant du président. Lui aussi a besoin de se faire connaître de la population, son très long parcours de préfet et de ministre n’ayant en effet guère marqué les esprits. Depuis un mois, Bouteflika ne l’a plus reçu devant les caméras de la télévision, alors que le général Gaïd Salah l’a été à trois reprises. Visiblement, pour les manœuvres à venir du clan, les civils importent moins que les militaires.

L’armée se rangera-t-elle derrière son chef hiérarchique en faveur d’une réforme constitutionnelle qui ouvrirait la voie, avant les élections, à un quatrième mandat dont Gaïd Salah serait le second bénéficiaire ? Bien que chef d’état-major et vice-ministre de la défense, ce dernier doit partager le pouvoir avec une petite dizaine de généraux d’active ou en retraite, ceux qui comptent et qu’on appelait les « décideurs » à la fin des années 1990. Parmi eux se trouvent aujourd’hui le patron de l’armée de terre (175 000 hommes), Ahcène Tafer, le général de la gendarmerie (150 000 hommes), le général Ahmed Bousteila, qui, contrairement aux rumeurs de l’été dernier, est toujours en place, le général Abdelghani Hamel, chef de la police (200 000 hommes) qui ne cache pas ses ambitions politiques et enfin le général Mediène (DRS). C’est ce « soviet » de képis et de casquettes qui tranchera la délicate question de la succession de Bouteflika. À l’évidence, ils n’en sont pas encore là. Leur priorité est d’éviter la division de l’armée et de chercher la meilleure formule pour eux et leurs amis plutôt que pour l’avenir de l’Algérie. Ensuite, une fois désigné par leurs soins, le candidat « officiel » bénéficiera du ralliement général du microcosme politique, des affairistes et de la ratification, réelle ou arrangée, du corps électoral sous les applaudissements de la communauté internationale plus préoccupée par la stabilité de la région que par la fin de plus d’un demi-siècle d’autoritarisme.

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