Sept communiqués pour le mois de décembre et autant de coups d’épée dans l’eau : l’ONU ne cesse de « condamner » les attaques et de lancer des « appels à la fin des violences » mais rien n’y fait. Les combats continuent en Libye et s’intensifient même.
Ces violences, alliées à une crise politique, déchirent la Libye depuis mai dernier lorsque Khalifa Haftar, qui fut colonel sous le régime de Mouammar Kadhafi avant de se rallier aux Américains, a lancé l’opération Dignité, avec pour but de « nettoyer » Benghazi des « terroristes » (comprendre terroristes islamistes). En juillet 2014, la situation s’est aggravée avec l’attaque d’une coalition nommée Fajr Libya (« Aube de la Libye ») contre les brigades de Zintan. Ces dernières sont accusées de vols, d’enlèvements et de soutenir l’ancien régime, alors que les premiers sont considérés comme islamistes à cause de l’influence des Frères musulmans. Selon le principe « l’ennemi de mon ennemi est mon ami », Fajr Libya soutient les groupes islamistes qui, tels Ansar Al-Charia, s’opposent à Haftar à Benghazi, alors que les Zintanis se sont alliés à l’ancien colonel.
Parallèlement, Fajr Libya, qui contrôle Tripoli depuis août, a demandé au Congrès général national (CGN) de reprendre le pouvoir. La Chambre des représentants (CDR), Parlement élu en juin 2014, s’est quant à elle exilée à Tobrouk, à l’extrême est libyen. Régnant sur un mince territoire, la CDR a été invalidée par la Cour suprême le 6 novembre dernier, mais la plupart de ses membres refusent ce jugement qu’ils estiment biaisé, les Sages libyens siégeant à Tripoli.
La diplomatie onusienne à la peine
Ce marasme politico-militaire ne facilite pas le travail de Bernardino León, le représentant spécial de l’ONU en Libye. Il a organisé le 29 septembre un premier tour de négociations. Mais la communauté internationale ayant officiellement reconnu la CDR, León a refusé de discuter avec les représentants du gouvernement autoproclamé qui siège à Tripoli. « Ghadamès I » n’a donc rassemblé que les membres de la CDR, actifs et boycotteurs (certains élus de la CDR soutiennent Fajr Libya et refusent de siéger au sein du Parlement de Tobrouk). « C’est comme s’il avait décidé de faire discuter une personne avec elle-même », regrette Mosadek Hobrara, qui travaille au Centre pour le dialogue humanitaire, une ONG libyenne. Cette grossière erreur de Bernardino León n’a eu pour conséquence qu’une radicalisation des supporters de Fajr Libya. À Tripoli, ils se réunissent quasiment chaque vendredi sur la place des martyrs pour montrer leur soutien. Et depuis fin septembre, les pancartes montrent le visage du représentant spécial de l’ONU barré d’une croix ou avec des taches de sang. « León, tu n’es pas le bienvenu en Libye », disent les slogans. « Même officieusement, l’ONU refuse de discuter avec nous. Je ne comprends pas », déclare un haut fonctionnaire libyen qui soutient Fajr Libya.
Le chef de la Mission des Nations unies en Libye (Unsmil) a finalement revu sa position. D’autant plus qu’entre-temps, la Cour suprême a invalidé les élections de la Chambre des représentants. « D’un côté, on attendait cette décision qui nous a donné une raison pour ouvrir le dialogue et discuter avec l’autre camp. De l’autre, on ne peut pas la reconnaître officiellement, car elle a été prise sous la contrainte. De toute façon, on ne peut pas déclarer le Congrès que la population souhaite voir partir depuis début 2014 légitime alors qu’il y a eu des élections législatives sans problème en juin », explique un diplomate occidental réfugié en Tunisie.
Le 11 novembre, Bernardino León a finalement rencontré, pour la première fois depuis le début des combats, Nouri Bouhsamein, le président du Congrès. Mais Fajr Libya a crié victoire trop vite. Le jour même, l’Unsmil indiquait, dans un communiqué, que León avait rencontré Bousahmein en tant que « personnalité politique. » Quelques lignes plus loin, Abdallah Al-Thini, le chef du gouvernement nommé par la Chambre des représentants, était appelé « premier ministre ». Le soufflet n’a pas été digéré. Lors de la rencontre suivante, le 8 décembre, Bousahmein s’est installé devant une banderole portant l’inscription « État Libyen, président du Congrès général national ».
C’est justement pour la semaine du 8 décembre qu’était annoncé un « Ghadamès II », séance de négociations élargie aux membres du CGN et aux groupes armés — excepté Ansar Al-Charia, classé terroriste par l’ONU. Les discussions ont finalement été repoussées à début janvier, sans qu’aucune date ne soit annoncée. Car fort de son retour en grâce, le CGN a posé ses conditions. Et la Chambre des représentants a choisi de suivre l’exemple. Des exigences quasi semblables mais contradictoires : chaque assemblée voulant être considérée comme la seule légitime et refusant de discuter avec les « criminels » (comprendre les combattants du camp d’en face). Depuis début décembre, Bernardino León fait des allers et retours entre Tripoli et Tobrouk pour négocier les modalités de la future réunion. « C’est terrible, car on en est à discuter la façon d’entamer les discussions, se désole un diplomate. Ce n’est que la forme, le fond n’a même pas été abordé. Autant dire que ce n’est pas gagné ! »
Ceux qui souhaitent une intervention militaire
Cela l’est d’autant moins que la communauté internationale agit en ordre dispersé. L’Algérie et le Soudan souhaitent organiser des négociations sur leur territoire, des propositions qui font doublon avec le travail de l’ONU. Le G5 du Sahel (Tchad, Mali, Niger, Mauritanie et Burkina Faso), qui s’est réuni en décembre, a demandé la mise en place d’une « force internationale pour neutraliser les groupes armés. » La France, elle, semble hésitante. Le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a confié en septembre au Figaro qu’il fallait « agir en Libye. » Quelques semaines plus tard, en décembre, il déclarait au Journal du Dimanche : « Frapper sans solution de sortie politique est stérile. La Libye est indépendante », tout en affirmant : « J’ai la conviction que le sujet libyen est devant nous. En 2015, l’Union africaine, les Nations unies et les pays voisins devront se saisir de cette question sécuritaire brûlante. » Selon un haut fonctionnaire français, le ministère de la défense, plutôt favorable à une intervention, est en fait en porte-à-faux avec le ministère des affaires étrangères. Jusqu’à présent, François Hollande donne raison à Laurent Fabius. L’été dernier, il a demandé aux Nations unies d’organiser « un soutien exceptionnel aux autorités libyennes » : « Si nous ne faisons rien de sérieux, rien de politique, rien d’international, le terrorisme se répandra dans toute la région. »
D’autres pays ont eux pris parti. L’Égypte et les Émirats arabes unis soutiennent le pouvoir de Tobrouk. Les États-Unis les ont d’ailleurs accusés d’avoir effectué des raids aériens en Libye en août afin d’appuyer Khalifa Haftar. Favorable à une intervention « au plus vite », Abdel Fattah Al-Sissi, le président égyptien qui a lui-même renversé le pouvoir des Frères Musulmans dans son pays en 2013, a indiqué à Paris en novembre que « la Libye pourrait devenir un terrain fertile pour le takfirisme » (extrémisme islamiste). À l’opposé, le Qatar penche plutôt du côté des troupes de Fajr Libya. Celles-ci reconnaissent à mots couverts avoir reçu de l’aide matérielle venue de l’émirat. Mais mi-décembre, l’émirat s’est plus ou moins réconcilié avec l’Égypte de Sissi, donnant implicitement raison à l’ancien général qui a renversé les Frères musulmans. Un geste qui pourrait marquer un nouveau tournant.
Les responsables politiques divergent également sur les problèmes à régler. Alors que Sissi s’inquiète de la situation à Derna, ville de l’est libyen où les groupes armés ont fait allégeance à l’organisation de l’État islamique, la France surveille le sud qui sert de base arrière aux djihadistes. Mokhtar Belmokthar, le chef d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) et Lyad Ghaly, le chef d’Ansar Dine, y ont été repérés récemment. Une chose est sûre : la crise libyenne est favorable aux groupes terroristes.
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