En France, la Légion étrangère a été créée en 1831 par Louis-Philippe pour rassembler les différents corps étrangers alors présents dans l’armée française. Destinée autrefois aux conquêtes coloniales, elle est aujourd’hui un héritage de l’histoire qui ne répond plus à aucune nécessité politique ou militaire. Ouverte à tout le monde sans distinction, elle facilite l’accession à la nationalité française, mais ne la donne qu’à ceux qui ont été blessés en opération, s’ils la demandent.
Aux États-Unis, la seule condition pour rejoindre l’armée est la détention préalable de la green card, c’est-à-dire d’être résident légal permanent. Près de 30 000 étrangers portent l’uniforme militaire américain et cinq mille s’engagent chaque année. Cela leur offre l’accession beaucoup plus rapide et systématique à la citoyenneté américaine. De son côté, l’armée américaine est ravie d’enrôler des recrues qui se montrent plus disciplinées et volontaristes que les Américains d’origine, dont l’empressement pour porter l’uniforme a tendance à faiblir. Passons sur les critères post-coloniaux du Royaume-Uni, qui admet toujours des ressortissants du Commonwealth ; de l’Espagne qui accueille ceux de ses anciennes conquêtes sud-américaines et de la Russie au profit des ressortissants russophones des anciennes républiques soviétiques.
Cas unique, Israël offre à tout non Israélien la possibilité de servir dans ses unités combattantes dès lors qu’il est juif, ou que l’un de ses parents ou grands-parents est juif.
« Des jeunes leaders pour les communautés juives »
En Israël, différents programmes permettent à tout juif non israélien de porter l’uniforme de l’armée sans pour autant en faire des citoyens israéliens. L’origine remonte à la fin de la Seconde guerre mondiale, quand quelques milliers de volontaires, appelés les mahalniks, issus de dizaines de pays et partisans de la cause sioniste vinrent soutenir par les armes la création de l’État d’Israël et, dès l’indépendance de 1948, aider la jeune armée israélienne en butte aux pays arabes voisins. Le principe est resté le même aujourd’hui. Le programme d’accueil des juifs étrangers dans les unités combattantes a gardé le nom de Mahal. Il incorpore les volontaires pour dix-huit mois, y compris pour des missions dans les territoires occupés palestiniens. À l’issue de cette période, ceux qui demandent la citoyenneté israélienne doivent prolonger leur séjour dans l’armée pour encore dix-huit mois pour les hommes et six mois pour les femmes célibataires, afin de se plier à la durée légale de service militaire obligatoire de tout Israélien. D’autres possibilités de séjour dans l’armée existent pour les juifs non israéliens : ils vont de trois semaines maximum (programme Sar-El, réalisable dès l’âge de 16 ans) à deux mois (programme Marva, seul à être facturé, à hauteur de 1500 dollars). Dans ces deux derniers cas, les volontaires gardent un statut civil même s’ils portent l’uniforme et vivent dans des casernements de l’armée régulière, cantonnés à des tâches de servitude dans des bases militaires logistiques pour Sar-El mais recevant un entraînement au combat militaire pour Marva avec, dans les deux cas des activités complémentaires « éducatives » sur Israël et le sionisme.
Contrairement à la plupart des autres pays, la motivation des volontaires n’est pas d’obtenir la nationalité par ce biais. La loi dite « du Retour » en vigueur depuis 1950 accorde en effet de droit la nationalité juive à tout juif migrant en Israël. La raison d’être de cet accueil dans l’armée est de « permettre à de jeunes Juifs de partout dans le monde de renforcer leur relation avec Israël et avec le peuple juif en se portant volontaire pour l’armée israélienne. Les programmes des Forces de défense israéliennes visent à contribuer à la défense d’Israël, seule démocratie du Moyen-Orient, et à fournir de jeunes leaders compétents et enthousiastes aux communautés juives »1.
Les effectifs de volontaires pour Mahal semblent cependant relativement faibles. Selon un article de 2007 du Jerusalem Post, un peu plus de mille juifs non israéliens seulement se sont portés volontaires de 1988 à 2007 pour passer dix-huit mois dans les rangs combattants de l’armée israélienne. Faute de statistiques disponibles sur Mahal, celles qui concernent Sar-El peuvent néanmoins servir de repère : sur les 4011 participants à Sar-El en 2012, les principales nationalités de très loin les plus représentées étaient les États-Unis (1221) et la France (1086), parmi une soixantaine de pays d’origine répertoriés.
La raison d’être de cet accueil au sein de l’armée israélienne est la même que pour les nombreux programmes civils offerts aux juifs non israéliens : le renforcement des réseaux de solidarité au sionisme au sein des communautés juives dans le monde et leur entretien idéologique. Cette stratégie est poursuivie depuis la création d’Israël. Nombreux en effet sont les juifs non israéliens, notamment en France, à revendiquer leur appartenance morale à Israël, comme s’il s’agissait pour eux de compenser leur non-citoyenneté de l’État d’Israël, pays en permanence « menacé » auquel chaque juif se doit de donner sa contribution. Ces programmes, qu’ils soient militaires ou civils, semblent atteindre leurs objectifs auprès des impétrants, qui en reviennent généralement encore plus défenseurs de la cause israélienne qu’ils ne l’étaient auparavant.
Cette situation alimente cependant un paradoxe : d’un côté un engouement pour Israël des juifs de l’extérieur, qui se manifeste entre autres en Europe par l’augmentation du flux migratoire juif et en particulier français vers Israël : 49 % de plus (de 1469 à 2185) pour les neufs premiers mois de 2013 par rapport à la même période de l’année 2012 (1907), et de l’autre la proportion croissante d’Israéliens qui quittent Israël, essentiellement vers l’Amérique du Nord et l’Europe, en quête d’une vie socioéconomique meilleure et las de l’état de guerre permanent. À tel point que l’immigration nette israélienne est en train de décliner : en 2012, les Israéliens quittant Israël étaient aussi nombreux que les nouveaux immigrants (16 000).
Le discours martelé par le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, qui amalgame à dessein antisionisme et antisémitisme cherche à accroître les vocations à l’Aliyah2 au sein des communautés juives dans le monde. Repris en écho par les défenseurs d’Israël à l’étranger, il fait accroître non sans succès la perception de l’antisémitisme régnant, en décalage par rapport à sa réalité concrète. Il contribue à dynamiser les gestes de solidarité que constituent en particulier le séjour des juifs non israéliens dans l’armée israélienne afin de participer, ne serait-ce qu’un temps, à la défense et la cohésion de l’ « État juif ». En août 2012, dans un discours de bienvenue d’un groupe d’Américains venus rejoindre l’armée israélienne, le premier ministre déclarait : « Nous voyons aujourd’hui un nouvel antisémitisme virulent, et nous devons nous défendre nous-même contre cela. La tâche la plus importante est de défendre l’État juif. C’est ce que nous faisons, c’est ce que vous allez faire et je suis fier de vous »3.
Un paradoxe français
Avec Israël, nous sommes donc loin du cas des autres pays. Ce que l’on pourrait, à la rigueur, qualifier de « mercenariat » s’agissant de la Légion en France, et aux États-Unis de ticket d’accession à la citoyenneté américaine, relève uniquement en Israël du soutien à une idéologie, le sionisme, à l’adresse unique de la communauté juive. Ce qui différencie également le Français engagé dans l’armée américaine de son compatriote volontaire pour l’armée israélienne, c’est que l’un subit, afin de vivre définitivement aux États-Unis, son éventuelle participation à des opérations militaires "hors" droit international, comme en Irak en 2003, alors que l’autre va intentionnellement participer à l’occupation de territoires, en violation du droit international. Mais cette démarche-là ne semble interroger personne, pas plus que les éventuelles implications de Français dans des violations de la charte internationale des droits de l’Homme ou du droit de la guerre. La question reste cependant posée.
La légitimité de la démarche mérite également attention. Alors qu’un Français non israélien, au nom de son appartenance à la communauté juive, trouve légitime de défendre une occupation illégale de territoires, un Français non palestinien, au nom de ses racines arabes, ne peut-il pas trouver tout aussi légitime d’aller défendre sur le terrain les Palestiniens contre l’extension illégale des colonies sur leurs territoires ? Laquelle de ces deux démarches repose sur une légitimité en accord avec le droit international et le droit français ? Il est fait grand bruit par ailleurs des Français musulmans qui vont combattre en Syrie aux côtés de la rébellion soutenue par la France, mais qui ont le tort de rejoindre des groupes djihadistes répertoriés comme terroristes. Mais personne ne parle de ces Français qui, depuis des années, vont participer sous uniforme israélien à une occupation officiellement dénoncée par l’ONU et par l’État français. Il y a pour le moins un paradoxe en France et, si l’on base la légitimité sur le droit, un grand flottement. Imaginons qu’un citoyen français, sous uniforme israélien, se trouve confronté dans les territoires occupés à un autre citoyen français engagé dans le soutien de la cause palestinienne. Il conviendrait alors d’éclairer, vis-à-vis du droit français, le statut légal de chacun de ces deux ressortissants.
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1Everything you need to know about becoming an Israeli soldier and being recognized as a « Chayal Boded », The Jewish agency for Israel.
2« Littéralement : "élévation spirituelle". Acte d’immigration en Israël par un juif.
3Vanessa Isenson, « Israeli army welcomes North American volunteers », DW.DE, 27 août 2012.