Chine. La répression de l’islam menace-t-elle ses relations avec les pays musulmans ?

Vingt-six pays à prédominance musulmane inquiètent la Chine, qui redoute de les voir contribuer au renforcement du sentiment religieux dans sa population musulmane de souche turque. Si le monde islamique décidait de reprocher à Pékin sa répression au Xinjiang — agression la plus brutale contre l’islam dans l’histoire récente —, cela pourrait avoir de lourdes conséquences.

Aïd el-Fitr à la mosquée Id Kah de Kashgar, province du Xinjiang.
Preston Rhea, 10 septembre 2010

La liste de 26 pays musulmans qui inquiètent la Chine apparaît dans un récent rapport de Human Rights Watch sur la répression dans la province stratégique du nord-ouest de la Chine. Le texte décrit les méthodes de l’État de surveillance le plus inquisitorial du XXIe siècle dans sa tentative de « rééduquer » une population de dix millions de personnes — principalement les Ouïgours, un groupe musulman d’origine ethnique turque, ainsi que d’autres musulmans d’Asie centrale. Ce projet de rééducation vise à remodeler les convictions religieuses de la population et de lui faire adopter une interprétation de l’islam conforme aux préceptes du Parti communiste chinois plutôt qu’aux prescriptions des textes sacrés islamiques. Ceci dans le but de contrer les aspirations nationalistes, ethniques ou religieuses des musulmans d’ethnie turque, et aussi de les empêcher d’utiliser la violence dans des buts politiques.

La Chine craint que leurs sentiments nationaux et religieux ou leur militantisme ne remettent en cause son pouvoir au Xinjiang, qui abrite 15 % de ses réserves prouvées de pétrole, 22 % de ses réserves de gaz et 115 des 147 matières premières de la République populaire ainsi qu’une partie de son arsenal nucléaire1.

Dans la liste des 26 États, on trouve d’ex-Républiques soviétiques d’Asie centrale, ainsi que l’Afghanistan et le Pakistan, plusieurs de ces pays étant limitrophes du Xinjiang. Il y a aussi des pays d’Asie du Sud-Est comme la Malaisie et l’Indonésie, et des pays-clés comme l’Arabie saoudite, l’Iran et la Turquie qui ont des liens historiques, ethniques et linguistiques avec les musulmans turcs de Chine, et qui font preuve depuis plusieurs décennies d’empathie envers les aspirations ouïgoures2.

Trop longtemps à l’étranger

La répression chinoise, selon un plan élaboré par les autorités de la ville de Baluntai, dans le centre-nord du pays vise notamment les musulmans d’ethnie turque qui restent en contact avec leur famille et leurs amis à l’étranger, les personnes qui sont restées « trop longtemps » à l’étranger et celles qui ont organisé des pèlerinages en Arabie saoudite de façon indépendante et sans autorisation officielle. La Chine est particulièrement préoccupée par les contacts des Ouïgours avec les pays musulmans.

Il était 2 heures du matin et mes filles (nous étions dans un pays étranger) discutaient au téléphone avec leur père, qui était au Xinjiang. Vous savez, elles adorent leur père, et elles lui disaient tous leurs secrets... Quand soudain mes filles sont venues me dire : « Les autorités enlèvent papa ! » Inzhu, mère de famille de 50 ans résidant dans un pays non identifié, citée par Human Rights Watch.

Le silence du monde musulman constitue pour la Chine une lame à double tranchant. La campagne chinoise au Xinjiang est facilitée par le mutisme de gouvernements pour la plupart très endettés auprès de Pékin, et désireux de préserver de bonnes relations économiques. Ce qui permet à la Chine d’ignorer largement les critiques des nations occidentales, des organisations de défense des droits humains, et de la diaspora ouïgoure.

Vers une modification de la politique du Pakistan ?

D’un autre côté, les pays musulmans peuvent tirer profit de leur silence. Le premier ministre malaisien Mahathir Mohamad a apparemment exploité ce levier. Après avoir mené une campagne électorale antichinoise qui l’a ramené au pouvoir en mai, à 93 ans, il a suspendu des projets d’infrastructures soutenus par la Chine dans le cadre du projet de « Nouvelle Route de la soie »3, d’un montant de 22 milliards de dollars (18,8 milliards d’euros). Ce levier pourrait également être utilisé par le Pakistan, qui a manifesté son intention de revoir ou de renégocier des accords liés au Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), joyau de la Nouvelle Route de la soie. Ces accords constituent, avec un montant de plus de 50 milliards de dollars (42,7 milliards d’euros), le plus gros investissement chinois dans un seul pays. Le danger pour la Chine, c’est que l’avalanche de révélations sur sa campagne de répression au Xinjiang ne permette plus aux pays musulmans de garder le silence. Jusqu’ici des pays comme l’Égypte, l’Afghanistan, les Émirats arabes unis, la Malaisie ont extradé des Ouïgours vers la République populaire pour lui complaire, où ils risquent l’incarcération.

La répression risque également d’engendrer un effet boomerang, en alimentant la radicalisation tant à l’intérieur qu’à l’étranger. Une étude réalisée par Qiu Yuanyuan, chercheur à l’Ecole du parti du Xinjiang où sont formés les officiels, et citée dans le New York Times met en garde contre le fait qu’« on a fixé à tort et sans réfléchir des objectifs chiffrés de transformation par l’éducation. Les cibles sont imprécises et leur champ s’est élargi. »

Relations tendues avec le Kazakhstan

Les risques pour la Chine augmentent également à travers des imbroglios comme ce récent procès au Kazakhstan qui a forcé le gouvernement d’Astana à un difficile équilibre : éviter de froisser la Chine sans prêter le flanc aux accusations de ne pas défendre les droits et la sécurité des ressortissants kazakhs. Les Kazakhs ont été stupéfaits d’entendre Sauytbay, 41 ans, Chinoise d’origine kazakhe expliquer à un tribunal du Kazakhstan, lors d’une audience publique, qu’elle avait été employée dans un camp de rééducation chinois réservé aux Kazakhs, qui comptait 2 500 détenus. Elle a ajouté qu’elle avait connaissance de deux autres camps pour détenus kazakhs. Sayragul Sauytbay était jugée pour être entrée illégalement au Kazakhstan. Elle a raconté avoir fui la Chine quand les autorités lui ont dit qu’elle ne serait jamais autorisée à rejoindre sa famille au Kazakhstan à cause de sa connaissance de l’existence des camps. Elle a été condamnée à une peine de six mois avec sursis et a été autorisée à rester au Kazakhstan, où résident déjà son mari et ses enfants, récemment naturalisés.

La répression contre les Chinois d’ethnie kazakhe, communauté de 1,25 million d’habitants a déclenché de violentes protestations au Parlement du Kazakhstan. « Il faut en parler avec les Chinois. Toute délégation qui se rend en Chine doit aborder ce sujet [...]. La question clé est celle du respect des droits humains des Kazakhs ethniques dans tous les pays du monde », a déclaré le député Kunaysh Sultanov, ancien vice-premier ministre et ex-ambassadeur en Chine. Le sentiment antichinois dans la province frontalière pakistanaise chinoise du Gilgit-Baltistan s’est intensifié au début de l’année après qu’une cinquantaine d’Ouïgoures mariées à des Pakistanais] ont été détenues lors de leurs visites au Xinjiang, et que la Chine a refusé de renouveler les visas des maris pakistanais résidant au Xinjiang.

En dehors des considérations économiques, la Chine a jusqu’à présent bénéficié du fait que les acteurs politiques et dirigeants musulmans voient plus d’avantages politiques à soutenir des causes comme celle des Palestiniens, plutôt que d’autres moins visibles dans le monde islamique. « On est plus populaire en se déclarant antisioniste et en se battant pour les Palestiniens qu’en défendant les Rohingyas ou les Ouïgours », a déclaré Ahmad Farouk Musa, directeur du Front de la renaissance islamique, une ONG malaise. Un pari que les pays musulmans et la Chine ont gagné jusqu’ici, mais qui pourrait s’avérer coûteux s’ils finissaient par le perdre.

1James Reardon-Anderson, The Red Star and the Crescent : China and the Middle East, Oxford University Press, 2018.

2James Dorsey, China and the Middle East : Venturing into the Maelstrom (Global Political Transitions), Palgrave Macmillan, juillet 2018.

3NDLR. Établissement d’un ensemble de liaisons maritimes et de voies ferroviaires entre la Chine et l’Europe et stratégie chinoise de développement pour promouvoir la coopération entre les pays sur une vaste bande s’étendant à travers l’Eurasie.

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