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Chypre, porte-avions britannique au service d’Israël

Ancienne colonie britannique, longtemps soutien de la cause palestinienne, incarné par son premier président Mgr Makarios, Chypre est devenue un partenaire d’Israël sur fond de rivalités avec la Turquie. Toujours présentes sur l’île, les bases britanniques jouent un rôle crucial dans cette alliance.

Deux hommes en costume se serrent la main devant des drapeaux et des étagères de livres.
Jérusalem, 11 mai 2023. Le président israélien Isaac Herzog lors d’une réunion avec le président chypriote Nikos Christodoulides, en visite en Israël.
Haim Zach

« De Chypre à la Palestine, l’occupation est un crime », « Nikos [Christodoulides] on sait que tu soutiens le génocide »… Les opposants à la normalisation des relations entre Nicosie et Tel-Aviv se sont fait entendre avant la visite, le 4 mai 2025, du président chypriote en Israël, où il devait rencontrer le premier ministre Benyamin Nétanyahou, visé par un mandat d’arrêt international pour crimes contre l’humanité.

En fustigeant la colonisation israélienne et le génocide à Gaza, les manifestants ont rappelé le devoir moral et historique de Chypre, dont une partie du territoire demeure sous occupation turque. Ils ont ainsi souligné que les violations du droit international mettent en péril l’intégrité de la République. Quelques jours plus tôt, le 2 mai, le président turc Recep Tayyip Erdoğan s’était rendu en République turque de Chypre nord1 avec un agenda séparatiste explicite : une solution à deux États marquerait alors le passage d’une occupation illégale à une annexion définitive.

Dans le cadre de sa rivalité historique avec Ankara, Nicosie cherche à garantir sa sécurité face à l’occupation turque et entretient, en ce sens, une alliance étroite avec Tel-Aviv, ainsi que des partenariats stratégiques. Ces derniers se sont renforcés après la découverte, en septembre 2011, de gisements de gaz naturel en mer, qui a poussé le gouvernement turc à réaffirmer ses ambitions territoriales. Chypre s’est alors tournée vers Israël pour défendre et sécuriser l’exploitation de ces ressources2. Cette alliance s’est aussi accentuée dans le secteur de la défense avec des manœuvres communes, une coopération entre services de renseignement et un approvisionnement de matériel militaire.

Exercices militaires conjoints et transferts d’armement

Cette alliance militaire s’est illustrée notamment par d’importants exercices menés par l’armée israélienne en juin 2017 puis en juin 2022 dans les montagnes du Troodos, dont la topographie évoque celle du sud du Liban. Ces manœuvres ont ensuite servi lors des récentes invasions et de l’occupation militaire de cette région du territoire libanais.

Parallèlement, cette coopération militaire s’est matérialisée avec l’acquisition, par Nicosie, d’équipements technologiques de contrôle et de surveillance des frontières. Ainsi, en octobre 2019, Chypre a annoncé l’achat de drones à Israël pour protéger sa zone économique exclusive (ZEE) d’éventuelles violations turques. En novembre 2021, Chypre a délégué à l’armée israélienne le dispositif de surveillance pour contrôler les activités le long de la zone tampon séparant les parties grecque et turque de l’île3. Ce système est le même que celui utilisé pour la barrière de séparation entre Israël et la Cisjordanie occupée, la Palestine servant de laboratoire pour les exportations israéliennes de technologies de contrôle et de surveillance dans le monde entier4.

En décembre 2024, Chypre a également reçu un système de défense anti-aérien développé en Israël. Or, cette commande, passée par le précédent gouvernement dans le cadre d’un programme de modernisation militaire, contrevenait aux engagements internationaux de Nicosie. En effet, lors de l’assemblée générale des Nations unies en septembre 2024, Chypre avait voté en faveur d’une résolution imposant des sanctions et un embargo sur les armes déployées dans le cadre de la politique illégale de colonisation et d’occupation israélienne dans les territoires palestiniens.

Aujourd’hui, la normalisation de cette coopération a pour toile de fond la campagne dévastatrice d’Israël contre Gaza. En juin 2024, du fait de son rôle stratégique comme base logistique en Méditerranée, la République de Chypre a été visée par des menaces explicites de Hassan Nasrallah, alors secrétaire générale du Hezbollah. Peter Stano, porte-parole de l’Union européenne (UE) a dû mettre en garde qu’une attaque envers l’un de ses États membres (depuis 2004) serait considérée comme une agression contre l’ensemble des 27 conformément à la clause de défense mutuelle.

Des bases militaires britanniques complices du génocide

Rappelons que Chypre a obtenu son indépendance du Royaume-Uni en 1960. Toutefois, Londres a pu imposer le maintien de deux bases militaires, Akrotiri et Dhekelia, qui s’étendent sur 250 km², soit 3 % du territoire chypriote. Ces enclaves autonomes, héritage colonial, sont essentielles aux intérêts stratégiques américano-britanniques, mais aussi à ceux de l’allié israélien. Elles sont actuellement directement impliquées dans les opérations israéliennes contre Gaza.

C’est de Chypre que décollent discrètement des avions de reconnaissance britanniques et américains, des appareils de transport militaire et des vols des forces spéciales. Or, l’utilisation de ses bases pour des opérations secrètes soulève la question de la complicité de Londres dans des crimes contre l’humanité commis à Gaza.

Le gouvernement britannique n’a jamais cessé de délivrer des licences d’exportation d’armes vers Israël, même s’il s’est engagé publiquement en faveur d’un cessez-le-feu et du déblocage de l’aide humanitaire à Gaza. Sollicité à différentes reprises, il s’est refusé à répondre au sujet des activités menées dans et à partir des bases militaires d’Akrotiri et Dhekelia en invoquant la protection de la sécurité des opérations.

L’arrivée au pouvoir en juillet 2024 d’un gouvernement travailliste n’a pas changé la donne, au contraire. Le premier ministre Keir Starmer a visité la base d’Akrotiri en décembre 2024 et les vols des forces spéciales américaines vers Israël ont doublé, selon le site d’investigation britannique Declassified UK5 . Sur près d’un an et demi, le Royaume-Uni a offert une assistance militaire à Israël en assurant 645 vols de surveillance, soit 47 % des vols au-dessus de Gaza (33 % pour les États-Unis et 20 % pour Israël), selon une enquête d’Al Jazeera6. Entre le 3 décembre 2023 et le 6 juin 2024, la Royal Air Force a effectué 250 vols de reconnaissance entre Akrotiri et Gaza, soit un à deux vols par jour, à l’exception des samedis, précise un rapport du British Palestinian Committee (BPC)7.

Ce pont aérien, combiné aux vols de surveillance et de ravitaillement, a participé au nettoyage ethnique en cours à Gaza et dans les territoires occupés et, au-delà, à des campagnes de bombardements visant le Liban, le Yémen et la Syrie. Alors même que s’organisent des mobilisations pour entraver les transferts d’armements vers Israël, comme en témoignent l’embargo décrété par le gouvernement espagnol ou encore la grève des dockers grecs et marocains pour bloquer les déchargements de matériel militaire à destination des ports israéliens. Malgré les critiques d’organisations humanitaires, le gouvernement travailliste ne renonce pas. Au contraire, il criminalise les associations pro-palestiniennes qui s’y opposent.

Londres, piégé par sa « relation spéciale » avec Washington, risque d’être exposé aux conséquences légales de ses opérations à Chypre devant la justice internationale. Sa responsabilité pourrait être engagée, notamment sur les fondements de complicité de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Ainsi, Chypre, héritier d’un long combat contre la colonisation britannique et l’occupation militaire turque, se retrouve face au peuple palestinien, lui aussi en lutte pour mettre fin à la domination coloniale israélienne.

1NDLR. État reconnu uniquement par Ankara depuis l’invasion partielle par la Turquie en 1974.

2«  Cyprus buys Israel drones to monitor waters amid Turkey natural gas tensions  », The Times of Israel, 7 octobre 2019).

3«  Buffer zone surveillance deal signed with Israel  », Cyprus Mail, 4 novembre 2021  ; Daniel Avis, «  Israel to Build Surveillance System for Cyprus Green Line  », Bloomberg, 4 novembre 2021.

4Antony Loewenstein, The Palestine Laboratory. How Israel Exports the Technology of Occupation around the World, Verso, Londres/New York, 2023.

5Matt Kennard, “U.S. special ops flights to Israel from UK’s Cyprus base surger under Starmer”, UK Declassified, 10 octobre 2024.

6Al Jazeera, «  What impact has US, UK military assistance had on Israel’s war ambitions  ?  », 23 octobre 2023.

7«  British military collaboration with Israel  », British Palestinian Committee, janvier 2025

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