Des universités iraniennes miroir des contradictions de la République islamique

Brillantes réussites et fuite des cerveaux · Après avoir fermé durant deux ans les universités à la suite de la révolution de 1979, la République islamique a massivement investi dans l’éducation supérieure et créé un réseau d’universités scientifiques de haut niveau. En revanche, le domaine des sciences sociales est plutôt négligé. Un désir de coopération internationale universitaire s’exprime aussi avec force, dont la France semble rester à l’écart.

Cérémonie de remise des diplômes à l’université Amirkabir.
IRNA, 2015.

Sur une population de 77 millions d’habitants, l’Iran compte environ 4,5 millions d’étudiants (contre 2,5 millions en France) et 70 000 enseignants universitaires1. L’éducation de masse inclut un système drastique de sélection des meilleurs élèves et étudiants : lycées pour « surdoués » dans chaque grande ville, cours privés supplémentaires pour élèves et étudiants, sélection sévère à l’entrée à l’université et à chaque entrée dans un nouveau cycle. Pour eux, la scolarité est gratuite, logement inclus. Au-delà de ces admis, au moins un tiers des étudiants acceptés dans les universités prestigieuses le sont sur une liste supplémentaire, moyennant le paiement de droits comparables à ceux des universités privées.

Les études universitaires se déroulent en trois cycles : la licence en quatre ans ; puis, après un concours très sélectif, un master en deux ans ; et à condition de passer une nouvelle sélection drastique pour peu de places offertes, la préparation d’une thèse décomposée en deux années de cours suivies de trois ou quatre ans de recherche et d’écriture. Soit un total d’au moins onze ans pour décrocher le titre envié de « docteur », à quoi s’ajoutent souvent une ou deux années de préparation au concours d’entrée à l‘université.

Un réseau universitaire de qualité

Les cinquante-quatre universités d’État sont classées implicitement suivant quatre critères corrélés : le choix des étudiants lors du concours national d’entrée, le nombre de thèses soutenues, la proportion de professeurs titulaires d’un PhD étranger et la proportion d’anciens étudiants s’étant établis à l’étranger. La majorité des meilleurs scientifiques iraniens vivent en effet en dehors du pays et les positions souvent élevées qu’ils y ont acquises participent à la réputation de leurs universités d’origine. Huit universités sont ainsi classées parmi les 800 meilleures du monde par le Times Higher Education World University Ranking 2015-20162.

Si on peut globalement considérer comme très bonne la qualité des enseignements de toutes les universités d’État, certaines se distinguent particulièrement :

➞ en sciences et technologie, l’université Sharif, l’université de Téhéran, l’université de technologie d’Ispahan, l’université polytechnique Amirkabir, l’université des sciences et des techniques Elm’o Sanat, l’université Khajeh Nasir Toosi ;
➞ en sciences humaines et sociales, les universités de Téhéran, Chahid Beheshti, Allameh Tabatabai ;
➞ dans les domaines artistiques, la faculté des Beaux-Arts de l’université de Téhéran, et l’université de l’art de Téhéran ;
➞ parmi les quarante-deux écoles publiques de médecine rattachées au ministère de la santé, les trois universités considérées comme les meilleures sont à Téhéran. Suivent celles de Mashhad, Chiraz et Tabriz.

Les étudiants non admis dans les universités d’État vont généralement à l’université islamique Azad, libre et payante, qui regroupe 1,7 million d’étudiants dans ses deux cents centres disséminés à travers le pays. La qualité de l’enseignement y est très inégale et l’activité de recherche bien moindre. Certains centres, comme celui de Téhéran, bénéficient cependant d’importants financements qui ont récemment permis d’élever leur niveau en les rapprochant des universités publiques. Ces universités Azad sont liées au groupe politique qui gravite autour de l’ex-président Hashemi Rafsandjani, mais sous tutelle du ministère.

La proportion de femmes est beaucoup plus forte dans les premiers cycles scientifiques des universités publiques (56 %) que dans les universités Azad (40 %). Elle diminue ensuite au niveau des masters et des formations doctorales.

Fuite des cerveaux

L’élitisme continu dans la scolarité — et peut-être aussi l’aspect très intellectuel de la culture chiite — produit (y compris dans certaines universités Azad) des diplômés de haut niveau et par conséquent le départ pour l’étranger en masse des meilleurs cerveaux. Le ministère des sciences, de la recherche et de la technologie iranien avançait il y a peu le chiffre de 180 000 départs de diplômés chaque année. Parfois jusqu’à 100 % des promotions de masters des meilleures universités quittent le pays, en général pour les États-Unis ou le Canada qui, depuis une dizaine d’années ont largement ouvert leurs portes. Singapour, la Malaisie ou l’Allemagne sont aussi des destinations. Quant à la France, sa politique fortement restrictive dans l’attribution des visas d’étude a pour conséquence un chiffre relativement faible mais stable d’environ 2 000.

Un cas emblématique de la réussite des Iraniens a été en août 2014 l’attribution de la Médaille Fields (équivalent du Prix Nobel en mathématiques) à Myriam Mirzakhani, Iranienne née en 1977, ancienne élève du lycée d’élite « Farzangan » de Téhéran et lauréate des Olympiades internationales de mathématiques pour lycéens en 1994 et 1995, avec un score complet et rare de 42/42, puis étudiante de l’Université Sharif qu’elle quitta après son diplôme BSc pour rejoindre Harvard puis Stanford. Les trois quarts des médaillés iraniens de ces Olympiades internationales depuis une dizaine d’années sont maintenant dans des universités américaines ou britanniques. Myriam Mirzakhani est la première et à ce jour la seule femme récipiendaire de cette médaille Fields.

Cette fuite des cerveaux dès la sortie des lycées d’élite est amplifiée par divers facteurs : l’absence de débouchés professionnels sur place (un tiers des jeunes diplômés sont sans emploi), l’inadéquation des formations avec les besoins d’une industrie à construire, l’existence d’une diaspora iranienne offrant des conditions d’accueil et d’entraide, la volonté d’éviter les 18 mois de service militaire pour les hommes, et enfin la pression sur la vie privée et sociale, considérée comme rétrograde à l’époque d’Internet et des paraboles.

En manque de formations professionnelles

Le manque de professionnalisation des études adaptée aux besoins économiques du pays est récurrent. De plus, si l’Iran fournit de bons, voire d’excellents spécialistes en sciences et technologies et en médecine, cette excellence ne se retrouve pas en sciences humaines, à quelques exceptions près. Les formations en économie et gestion, en entrepreneuriat, en management et organisation du travail, mais aussi en maintenance industrielle, sont largement déficientes. Une envie d’y remédier semble émerger, avec la création de parcs technologiques associés à certaines universités, l’existence à l’université de Téhéran d’une faculté d’entrepreneuriat, ou encore la volonté exprimée d’autonomie des universités. Car il existe un créneau de coopération autofinancée à développer : celui de l’aide technique à l’implantation de formations professionnalisantes courtes, éventuellement en alternance, et dont la mise en place pourrait être faite avec le soutien de sociétés françaises investissant en Iran.

L’implantation d’entreprises — nationales ou étrangères — dans le pays nécessite de trouver sur place les cadres intermédiaires adaptés à leurs besoins, et par conséquent de développer les formations adéquates et de former des équipes de formateurs. Il suffirait pour cela de créer une situation exemplaire au sein d’une université iranienne. Elle aurait rapidement valeur d’exemple et serait dotée d’un fort potentiel d’essaimage.

Un désir de coopération

En septembre 2015, le ministre des sciences Mohammad Farhadi a fait connaître son désir de renforcer les coopérations avec des universités européennes, par des cours conjoints, des échanges universitaires, des co-encadrements de thèses, des copublications scientifiques, ou encore l’implantation d’antennes d’universités étrangères en Iran. En février 2016 a été décidé le principe d’une implantation en Iran d’une université internationale destinée à devenir « un portail de communication » entre l’Iran et les universités allemandes. L’École polytechnique de Lausanne, qui accueille déjà 170 étudiants iraniens qui s’ajoutent à 2 400 inscrits iraniens à ses Massive Open Online Courses (Mooc), vient de signer deux accords avec Sharif et l’université de médecine de Téhéran.

La recherche scientifique en Iran pêche par la faiblesse des laboratoires, une mentalité très individualiste rendant difficile l’élaboration d’une politique de recherche tant au niveau national qu’au niveau local, la sous-rémunération des chercheurs qui les oblige à avoir un second métier (cours privés, consultance, investissements immobiliers…). Quelques équipes de chercheurs très actifs produisent néanmoins des résultats de qualité, parfois en relation avec des équipes étrangères. Plusieurs sont impliquées dans le programme Gundishapour de coopération scientifique avec la France, dont chaque projet conduit à au moins une copublication franco-iranienne. L’Iran fait d’ailleurs depuis 15 ans un net effort pour augmenter sa part dans les publications internationales — surtout en mathématiques et en sciences pour l’ingénieur.

En recherche fondamentale, une dizaine de centres peuvent être considérés comme de très bon niveau. L’Iranian Research Organisation for Science and Technology (Irost) est le plus grand d’entre eux. Avec plusieurs antennes dans le pays, il coordonne les recherches dans divers domaines, dont le secteur de pointe en biotechnologie. À Téhéran, l’Institut de recherche en sciences fondamentales est d’excellent niveau dans plusieurs domaines. Il invite régulièrement des chercheurs occidentaux, dont plusieurs français avec qui est développé un programme de thèses codirigées en mathématiques. L’Institut des sciences fondamentales de Zanjan à l’ouest de Téhéran, de niveau international, est en relation avec le Centre de physique théorique de Trieste. ll regroupe quelques dizaines de chercheurs soumis à la forte pression du « publier ou périr ».

La diaspora en Amérique du Nord

Une forte proportion d’intellectuels, d’universitaires et de cadres d’entreprise iraniens ont un proche parent installé en Amérique du Nord. Selon une étude de 2004, la diaspora iranienne aux États-Unis comptait environ 700 000 personnes dont le quart aurait un niveau d’études bac+5, et un niveau de revenu moyen de 20 % supérieur à celui des Américains. Les meilleurs étudiants des masters et doctorats des meilleures universités américaines sont de plus en plus souvent des Iraniens3. Il y aurait aux États-Unis plus de 11 000 étudiants iraniens.

Si le régime trouve la voie de la démocratie et de son intégration internationale, la diaspora nord-américaine pourrait être disposée à réinvestir dans la République islamique ses compétences et ses moyens de financement dans des joint ventures, valorisant ainsi les compétences acquises à l’étranger. Les structures actuellement mises en place de pôles et parcs technologiques seront alors la base du développement d’entreprises technologiques mixtes américano-iraniennes qui devraient permettre au pays d’affronter les défis posés par ses propres transformations démographiques et sociologiques.

Les États-Unis sont particulièrement bien placés. Des scientifiques iraniens sont régulièrement invités dans des colloques aux États-Unis, lesquels recrutent volontiers et de plus en plus d’étudiants des trois meilleures universités — Sharif, l’université de Téhéran et l’université de technologie d’Ispahan. Des Mooc leur ont d’ailleurs été ouverts dans des domaines réputés « non sensibles », afin de multiplier les échanges inter-universitaires. Dans le même esprit, en 2014, une quinzaine de mathématiciens iraniens très impliqués dans l’enseignement des mathématiques ont été accueillis durant une vingtaine de jours pour y donner des conférences et rencontrer plusieurs collègues de haut niveau. Du côté iranien, en juin 2015 une délégation américaine de six universités conduite par le président A. E. Goodman de l’Institute of International Education (IIE) était invitée en Iran où elle a visité treize universités et centres de recherche. Les conclusions ont marqué la détermination de construire de fortes coopérations entre les deux pays. Cette résolution de renouer les liens universitaires entre l’Amérique et l’Iran est critiquée par les conservateurs et le quotidien Kayhan a accusé cette délégation d’être un ramassis d’espions de la Central Intelligence Agency (CIA).

La relance des relations scientifiques avec la Russie est perceptible, avec des visites officielles de part et d’autre. Le Canada manifeste clairement son désir de faire venir des scientifiques iraniens dans ses laboratoires. Singapour joue la carte de l’attrait des jeunes scientifiques : avant 2008, une quarantaine de nouvelles bourses de thèse de quatre ans y étaient chaque année attribuées à des étudiants de l’université de technologie d’Ispahan. La Malaisie aussi se veut attractive et il semble que, tout en restant discrète, l’Allemagne augmente son flux d’entrée d’étudiants iraniens.

Un enjeu pour la France

Une longue tradition de francophonie et de francophilie existe dans certains milieux, touchant particulièrement le droit et la médecine. En 2014, on estimait à 35 000 le nombre de personnes apprenant le français en Iran, et ce nombre est en constante augmentation (il était de 25 000 en 2009). Le système scolaire public ne répondant pas à la demande de la société, ce sont des écoles privées et plus encore le développement des instituts privés de langues qui ont permis cet accroissement. La qualité de l’enseignement est généralement assez bonne et quelquefois très bonne, ce qui, conjugué aux habitudes de travail des jeunes Iraniens formés par un système scolaire très sélectif, assure une forte « productivité » des cours de langue : parmi les débutants qui commencent à apprendre le français, la proportion de ceux qui communiquent aisément 18 mois plus tard est particulièrement élevée. Mais c’est le Québec que visent souvent ceux qui apprennent le français. Comme une étape avant les États-Unis.

Dans une société marquée par l’obsession et le mythe de l’indépendance technologique (obsession partagée aussi bien par les réformateurs que les conservateurs), la France ne peut se dispenser d’être présente sur le terrain des sciences et techniques. C’est à la fois un enjeu d’image, donc d’influence, et un enjeu économique : les grandes potentialités économiques de l’Iran n’ont pas disparu avec la crise, et l’Iran redeviendra tôt ou tard un paradis des investisseurs. Il y aura alors besoin de relais dans ce monde industriel et auprès des ministères techniques.

Les divers domaines de la science et de la technologie sont ceux où la France a le plus investi dans la formation des Iraniens. Il y a en Iran plusieurs centaines de titulaires d’une thèse soutenue en France dans de nombreux domaines. Beaucoup de ces « docteurs français » occupent désormais en Iran des positions de responsabilité scientifique, administrative ou industrielle. Le suivi de ces diplômés n’existe pas actuellement ; il serait pourtant aisé avec les moyens qu’offre Internet et ne pourrait qu’être bénéfique pour ancrer l’influence française dans un pays en pleine mutation.

1Ils étaient respectivement 2,1 millions et 42 000 en 2003.

2Dans le classement de Shanghai, seule figure l’université de Téhéran, au rang 301.

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